III.2- Mondialisation et problématique culturelle 

Suite à la mondialisation et au jeu d’échange résultant de la révolution des moyens de communications « un fait massif s’impose : la réalité de brassage socioculturel » 289 .Ce qui signifie que l’attention devrait se porter sur la problématique de la culture sous l’influence de la mondialisation.

En fait, quand on parle de la mondialisation, cela signifie qu’on parle, par conséquent, des rencontres interculturelles et du côté relationnel que se soit interindividuel ou intergroupe. Ce qui renvoie à l’idée que la majorité des sociétés humaines sont devenues multiculturelles. Sachant que le multiculturalisme « affirme l’idée que toute collectivité possède un droit imprescriptible à accéder à sa propre culture » 290 , la question qui s’impose ici : A quel degré la mondialisation a respecté ce droit ? Et à quel degré elle respecte la liberté d’expression culturelle ?

En effet, pendant longtemps, la notion de la culture signifie « le patrimoine et l’héritage d’objets, de modes de pensée et de comportements qui donnent son identité à un groupe humain et à ses membres : la culture serait ce qui me fait Anglais, Papou, ou Kabyle. Aujourd’hui, cet enchaînement n’est plus recevable, les traditions qui n’en sont pas, les différences qui s’effondrent ou se construisent, les mélanges qui apparaissent au grand jour font que l’idée de ‘’culture’’ prend un nouveau sens » 291 .Ce dernier est assorti avec les transformations spatio-temporelles résultantes de la mondialisation permettant à tous les individus présents sur le globe terrestre de communiquer les uns avec les autres. A ce propos Demorgon a constaté « que les transformations spatio-temporelles entraînent des transformations notionnelles. Les cultures sont dans des dynamiques d’évolution différentes en raison des situations nouvelles et des leurs trajets antérieurs eux-mêmes différents » 292 . Il pense que la culture ne doit pas être envisagée comme des produits du passé en voie de disparition « mais comme des matrices d’action et de pensée qui se testent en fonction des contraintes nouvelles […] une culture vit tout autant à travers ses stratégies et ses formations nouvelles qu’à travers ses formations antérieures » 293 . Parmi ses formations nouvelles il y a le développement des moyens de communications (l’Internet) dont le sujet devient une cible des messages de plus en plus nombreux, qui circulent de plus en plus rapidement, élargissant la vision du monde et obligeant les personnes à développer et amplifier leurs connaissances et modifier leurs systèmes d’interprétation. Ainsi, la culture devient un enjeu pour interpréter un monde de plus en plus accessible, mais sûrement instable. Un monde devenu un village global sur le plan technique, mais il ne l’est pas encore sur le plan culturel, social et politique. Un monde qui est devenu face au couple puissant et omniprésent : culture-communication qui, actuellement, influence la société et même la politique : « il est impossible de penser le monde contemporain sans une théorie de communication, c’est-à-dire une théorie des rapports entre culture, communication, société et politique » 294 .

Donc, la communication devient un acteur central sur la scène de la mondialisation et de la politique de XXIème siècle caractérisé par un fait majeur :« le surgissement du triangle infernal identité-culture-communication. Les conflits et les revendications politiques, à commencer par le terrorisme international, sont la preuve de ce surgissement. Aux inégalités traditionnelles entre le Nord et le Sud s’ajoutent les risques à la culture et à la communication politiques liés » 295 . D’où l’importance de la cohabitation culturelle en tant que facteur pour résoudre les problèmes liés à la mondialisation, surtout celle de communication.

En réalité, il est indispensable de prendre compte de la dimension culturelle dans la communication, car en revenant aux caractéristiques de la communication, on trouve qu’elle renferme trois dimensions : la technique, la politique et les conditions socioculturelles. Sachant que si les deux premières dimensions modifient vivement et d’une façon parallèle, la troisième est la plus compliquée et la plus lente à s’installer. Les individus, en général, changent moins vite leur manière de communiquer qu’ils ne changent d’outils. D’ici, il nous semble que les techniques, les entreprises culturelles internationales et les réseaux ne suffisent pas à accroître l’intercompréhension culturelle; ce qui nous montre l’importance saillante du facteur culturel dans la communication. « En d’autres termes, la fin des distances physiques révèle l’importance des distances culturelles […] tel est le point de départ du XXIème siècle : la rupture entre information et communication, la difficulté de passer de l’un à l’autre » 296 . Ce passage que nous considérons comme un facteur essentiel pour réaliser une cohabitation culturelle. Il signifie aussi, un passage de l’information (message) à la communication (relation) et entre les deux existe la culture, c’est-à-dire les différents points de vue sur le monde. Malheureusement,  « les industries culturelles confondent la mondialisation des marchés avec l’approbation des consommateurs, elles oublient que consommer n’est pas nécessairement synonyme d’adhérer » 297 , également informer ne signifie pas nécessairement communiquer car « il ne s’agit plus seulement de produire et de diffuser davantage d’information, il faut surtout que les individus, les collectivités et les peuples les acceptent » 298 .

Par conséquence, le besoin de la communication chez les individus est inséparable de leur identité culturelle, considérée comme critère qui détermine ce qu’ils refusent ou acceptent des flux de messages reçus par jour. Et l’on comprend très clairement, alors, pourquoi les pays développés n’ont pas la même attitude, ni la même perspective à l’égard de la mondialisation que les autres pays, surtout, ceux nommés sous-développés : tout simplement parce que celle-ci ne menace pas leur identité culturelle. On note alors l’importance d’une réflexion scientifique sur les enjeux socioculturels et socio politiques des rapports entre communication et culture à l’heure de la mondialisation car les moyens de communications, à côté de leur utilité en tant que facteur d’ouverture sur le monde, peuvent faire l’objet d’un effet-boomerang : « Internet peut créer, après la phase d’euphorie, un profond sentiment d’expropriation de soi-même. Internet et l’ensemble des techniques de communication seraient alors assimilés à l’impérialisme culturel occidental, créant des réactions violentes, dont de nombreux exemples émaillent l’histoire de ces trente dernières années, où s’exacerbent les questions de territoire, les irrédentismes culturels et religieux » 299 . C’est là que consiste l’importance que la multiplication des moyens de communication qui doit être accompagnée d’une responsabilité culturelle et politique afin que ces techniques et la communication assument en tant que lien social et dépassent son rôle actuel comme moyen qui reproduit le « phénomène de recontextualisation des produits culturels américains ou occidentaux [qui] est à l’œuvre de toutes les sociétés non occidentales» 300 .

Ainsi, lier d’une manière satisfaisante, communication, mobilité, identité et culture, sera une condition indispensable pour avoir une cohabitation pacifiste des cultures, sinon, la relation communication-culture peut être source de retour des affrontements identitaires. D’où la culture peut devenir un enjeu politique, elle n’est plus seulement liée à des territoires, elle peut être en réseaux dispersée dans des endroits différents du globe. Elle devient plus mobile, dépendante des acteurs économiques, religieux et sociaux. Tout enjeu culturel peut devenir un enjeu politique. « Avec la mondialisation de communication, la culture devient constamment une ressource politique. Et toute activité sociale peut être investie d’une dimension culturelle […] tout peut acquérir une signification culturelle, et donc politique» 301 . La politique et la culture se dissolvent alors totalement l’un dans l’autre. C’est pourquoi les crises politiques reposent souvent sur des crises culturelles, surtout, identitaires. Comment la mondialisation a influencé la problématique de l’identité - altérité ? Voici le thème que nous allons aborder.

Notes
289.

De Certeau, M., (1985), Idéologie et diversité culturelle, in Actes du colloque : Diversité culturelle, société industrielle, Etat nationale, Paris, L’Harmattan, P : 231.

290.

Journet, N., Le multiculturel en question, in Au cœur des cultures, Sciences Humaines, Auxerre, 1997, n° 77, P : 32.

291.

Cuche, D., Nouveaux regards sur la culture : L’évolution d’une notion en Anthropologie, in Sciences Humaines, Auxerre, 1997, n°77, P : 21.

292.

Ibid., Complexité des cultures et de l’interculturel, P : 10.

293.

Ibid., Complexité des cultures et de l’interculturel, P : 10.

294.

Ibid., L’Autre mondialisation, P : 13.

295.

Ibid., L’Autre mondialisation, P : 11.

296.

Ibid., L’Autre mondialisation, P : 19.

297.

Ibid., L’Autre mondialisation, P : 21.

298.

Ibid., L’Autre mondialisation, P : 22.

299.

Ibid., L’Autre mondialisation, P : 25.

300.

Ruano-Borbalan, J-C, Planète @culture.com, in Cultures : la construction des identités Sciences Humaines, Auxerre, 2000, n° 110, P : 33.

301.

Ibid., L’Autre mondialisation, P : 52.