IV.2- Recherches interculturelles et critères scientifiques

Pour être généralisable, toute recherche doit répondre à certains critères autour desquels se rassemblent les scientifiques : clarté de concept, l’aspect courant des méthodes, la possibilité de refaire la recherche et d’en vérifier les résultats forme le nœud central de ce consensus.

Dans les situations de l’hétérogénéité culturelle, plus que celle de l’homogénéité, l’objet de recherche ressemble à un cristal qui brille avec des reflets changeants selon l’éclairage, autrement dit, les images offertes sont dépendantes de l’appartenance du chercheur qui s’efforce de les comprendre.

Contrairement à la tendance qu’on a souvent à s’imaginer, les exigences de la science ne s’appliquent pas d’une façon uniforme.

En effet, tout travail de recherche, nécessite un réajustement des critères scientifiques conditionnés par l’objet spécifique visé, les concepts et les sujets du connaissances qui construisent les procédures de cette recherche s’emploient à le faire chacun à leur manière « les chercheurs sont des hommes et des femmes comme les autres…avec des échelles de valeurs différentes voire des idéologies différentes qu’ils s’efforcent d’écarter de leur travail sans y parvenir toujours complètement » 418 .

En ce travail de recherche, il faut prendre en considération les facteurs concrets déterminants la pratique de la recherche afin de préciser ses limites et ses contours. Ces déterminants ne concernent pas seulement les moyens matériels dont ils utilisent les chercheurs, mais aussi leur références théoriques et les contraintes qu’ils subissent et qu’ils ne peuvent y s’échapper telles que les conflits d’écoles, les compétitions intra et inter institutionnelle.

Les critères de recherches scientifiques sont multiples, parmi de celui-ci on aborderait : l’élaboration de données vérifiables, l’élaboration des hypothèses, la généralisation par analogie. La question qui s’impose d’abord, est : dans quelle mesure les recherches interculturelles permettent aux chercheurs d’émettre des données capables de faire l’objet de vérification ?

En effet, c’est dans la mesure où les observations rapportées sont capables d’être vérifiées, qu’elles peuvent être considérées comme des données scientifiques.

En réalité, les études portant sur des situations caractérisées par l’hétérogénéité culturelle risquent, plus que toutes autres, d’encourager des développements spéculatifs par imprudence ou en raison des projections incontrôlées. D’où l’importance d’être vigilant et de maintenir une surveillance attentive tout au cours de la démarche permettant le recueil des données.

Concernant la question des hypothèses, on remarque que le visé de la démarche scientifique est d’atteindre la cohérence qui permet de relier des faits auxquels on s’intéresse, à insérer le fait expliqué dans une catégorie plus ou moins large de faits qui s’expliquent tous de la même façon et non nécessairement à rechercher des relations de causalité.

Dans un contexte culturellement hétérogène, il n’est pas facile de saisir des facteurs au dépend des autres, comme ce qui se passe dans la méthodologie expérimentale qui change les causes hypothétiques. La formulation d’hypothèses vraisemblables nécessite des systèmes complexes de causalité et non faire recours à un facteur univoque. Alors, une multitude des facteurs interdépendants peuvent en l’occurrence être invoqués en constituant des structures aux limites incertaines. Par conséquence, l’explication des comportements sera relative, consiste à les confronter avec de plusieurs modèles.

Les qualités du chercheurs concerné à ce niveau consistent au son bon sens, d’un côté, et à la profondeur des compréhensions qu’ils ont des conduites auxquelles ils s’intéressent ainsi que des situations totales de leur réalisation, que d’un savoir-faire délicat et méticuleux qui se réduirait à la simple utilisation de techniques, notamment statistique. Il en est de même pour la mise à l’épreuve de l’hypothèse : C’est la culture du chercheur qui assure les meilleures aptitudes à déterminer la compatibilité de celle-ci avec la totalité des rapports statistiques observés.

Une recherche renvoyant, à un système structuré d’hypothèses articulées entre elles, fait appel au concept du ‘’ modèle’’. Un modèle est composé d’une structure de variables, c’est-à-dire, un ensemble de variables entre lesquelles existent des liens déterminés. Ce modèle, permet de comprendre des variables observées, surtout les variables hypothétiques non observables, capables d’influencer les observations et les rapports causales réciproques, structurés d’une façon complexe. Dans les études interculturelles, il n’est pas courant que l’ont utilise cette notion, mais une autre explication à laquelle le modèle débouche, une autre interprétation peut toujours se remplacer, c’est-à-dire une autre hypothèse, relativement compatible avec les observations récoltées, et qui s’articule à un autre modèle. C’est sur la réalité humaine effective que le regard des chercheurs se porte, et ils ne sont guère disposés à s’en écarter pour aborder des abstractions que sont les modèles structuraux.

D’ailleurs, dans les situations de contact culturel, les explications des faits étudiés peuvent être généralisées grâce à l’analogie existante entre les cultures. Une interprétation qui apparaît valable pour un champ scientifique précis peut fournir de ‘’modèle’’ pour expliquer d’autres séries d’observations réalisées dans un domaine voisin.

Certains chercheurs refusent cette perspective, pourtant l’analogie présente un intérêt heuristique,- même si elle ne permet pas de démonstrations- puisqu’elle incite à faire surgir de nouvelles hypothèses, d’emblée elle débouche à des nouveaux horizons.

Quel que soit le niveau auquel s’intéresse le chercheur, sa tâche consiste à élaborer une forme de vérité selon des normes en vigueur, c’est-à-dire, il faut adopter une perspective concise et unidimensionnelle de la science, spécialement lorsqu’il envisage de mettre celle-ci au service de l’étude des comportements humains en situation de contact culturel. Dans ces conjonctures, l’appartenance à la quasi-idéologie empêche l’accès de la psychologie interculturelle aux investigations scientifiques et pousse ces études au risque de demeurer spéculatives, dépourvus de la connaissance claire des conséquences de leur pratique, ce qui n’est pas sans danger.

En admettant une conception multidimensionnelle de la recherche, la psychologie interculturelle, comme tout autre objet, peut être mise à jour et selon divers éclairages. Le problème consiste à mettre en vigueur la cohérence parmi ses différents aspects possibles au lieu de s’occuper de savoir si tel de ces aspects plus vrais que tel autre. C’est une question de préoccuper de parvenir à une complémentarité cohérente et un langage scientifique uniforme.

D’ailleurs, en situation culturellement hétérogène, à quel langage appellent-il, donc, d’utiliser pour construire des outils scientifiques occidentaux qui seront appliqués sur populations étrangères qui ne favorisent pas le code occidental élaboré ?

En effet, l’apprentissage du ’’code élaboré’’ compatible avec les exigences de la recherche scientifique se confond en réalité avec une soumission à un code qui a des significations claires non conflictuelles. Il ne s’agit pas de construire un instrument de communication scientifique à usage universel puisque le système du langage scientifique agir d’une certaine manière en tant que pratique sociale, et son usage nécessite l’acquisition d’une capacité de communication. L’élaboration des notions latentes (sous-jacents) dans les recherches scientifiques devrait être devancée par une étude des rapports existants entre pratiques langagières et les diverses propriétés des situations sociales.

Ainsi, pour que l’utilisation du langage scientifique soit pertinente, dans une situation interculturelle, les chercheurs doivent avoir accès au sens de ce langage ‘’ en situation ‘’. Ils doivent savoir se positionner par rapport aux exigences de ‘’ ce code ‘’ et administrer au mieux les réactions qu’il occasionne.

D’une autre perspective, le chercheur est confronté à un acteur social qui possède une culture différente, il ne le partage pas la même culture (qui a produit le système scientifique auquel il adhère). D’où la nécessité de prendre en compte les caractéristiques de cet individu étranger, de ses besoins, ses motivations, lors de l’observation, de «sa propre manière de se situer par rapport aux code en présence, éventuellement de ses inquiétudes, contradictions et blocages face au souci de leur acquisition dans un contexte conflictuel » 419 .

Alors, l’hétérogénéité culturelle est un facteur qu’il faut prendre en compte, spécialement, dans l’étape de la construction des variables :

Construire une variable c’est accorder à des données la qualité de rendre réelle et observable un concept abstrait constituant, avec autres, la théorie latente de la recherche.

Les variables sont plusieurs, certaines sont directement saisissable : les variables classiques, âge, sexe…d’autres sont ‘’latentes’’  ou ‘’sous-jacente’’ ou  ‘’intermédiaires’’, elles s’intéressent le chercheur non pas en elles mêmes mais en tant que indicateurs des phénomènes insaisissables directement.

Dans les recherches classiques, les distinctions entre les variables observables et variables intermédiaires, d’un côté, et entre variables directement saisissables et indicateurs, d’autre côté, sont difficiles à établir. Le problème devient beaucoup plus compliqué dans la situation d’hétérogénéité culturelle puisque l’ambiguïté règne et empêche la distinction entre les variables et à quels niveaux ils appartiennent, c’est-à-dire, si elles sont intéressant par elles-mêmes où par ce qui les relient avec d’autres facteurs.

Alors, la solution est par la détermination opérationnelle des concepts, ce qui délimite à quel niveau de variables appartiennent les données collectées, et évite l’usage de termes trop spéculatifs au dépend du réel quotidien.

En situation de contact des cultures, on s’est préoccupé -souvent- de résoudre des problèmes pratiques plutôt que de participer au développement de théories. La construction des concepts et variables est inséparable de leur contexte culturel et son champ d’investigation, sinon le psychologue interculturel sera la victime de tous risques de modification de sens possibles. Il doit bien prendre en considération que dans la rencontre des cultures, ce sont les présupposés, le bon sens et une expérience non systématisée qui inspire et guide le chercheur dans le choix des questions à poser et dans leur formulation.

Le recours à la définition opérationnelle des concepts est le moyen d’éliminer ce qui est flou ou contradictoire. Bref, « un concept qu’il ne s’avère pas possible d’opérationnaliser, (…) est certainement un concept douteux, qui pose problème » 420 .

Pour arriver à l’opérationnalisation, le chercheur parte d’un savoir antérieur déjà acquis, qui surgit l’intuition de la notion qui contient le fait qui va être l’objet de l’étude. A ce niveau, la notion est de nature hypothétique, abstraite. Il s’agit d’en préciser une manifestation possible et d’imaginer un dispositif permet de fournir les moyens de l’observer. Si à ce moment, le chercheur arrive à organiser, à l’intérieur de ce dispositif, les opérations d’observation et à mesurer ce qui rend réelle et concrète la notion hypothétique abstraite, il se livre à son opérationnalisation.

En situation d’hétérogénéité culturelle, le chercheur doit être conscient et en veille permanent à empêcher l’entrée de la confusion entre la phase initiale d’élaboration de la notion hypothétique et l’épisode d’interprétation de ses résultats, afin d’assurer la crédibilité de sa recherche.

Dans le domaine de la psychologie interculturelle, la majorité des recherches réalisées émergent du terrain sont de nature empirique, c’est pourquoi les élaborations théoriques sont –relativement- fragmentaires et rares.

Or, les variables que le chercheur s’efforce d’établir ne peuvent pas être basées sur les outils d’observation utilisés, car la signification de chacun d’eux est tributaire aux sujets concernés et de la théorie qui en permet l’interprétation.

En situation interculturelle, ce n’est pas une seule hypothèse qui permet l’interprétation des données, mais plusieurs variables hypothétiques envisagées simultanément.

En fait, chaque étude en établissant son corpus d’observation est proie d’une ‘’ erreur ‘’. Certaines erreurs sont systématiques, car les facteurs qui occasionnent sont stables et agissent toujours dans le même sens. En psychologie interculturelle, les erreurs sont probables et s’annuler entre elles. C’est la comparaison des observations répétées qui permet d’éclairer les erreurs aléatoires, la moyenne de leurs mesures est admise comme ‘’la valeur vrai’’, et la dispersion des mesures -le plus souvent leur variance- fournit l’indice des erreurs aléatoires.

Pour faire la part entre ce qui est aléatoire et ce qui est systémique, le chercheur peut répéter les observations, ou vérifier des hypothèses déduites de résultats moyens obtenus parmi plusieurs groupe que distingue un facteur par exemple le sexe ou l’origine socioculturelle.

Concernant l’usage des statistiques descriptives en psychologie interculturelle, on remarque qu’un entrave majeur apparaît dans les situations de contact des cultures consiste dans la difficulté à réunir suffisamment des données collectées dans des conditions équivalentes, permettant un traitement statistique.

Le traitement statistique des données permet de saisir des rapports qui ne peuvent être capturés par la simple observation du chercheur quel que soit son bon sens et l’étendu de sa culture. D’où l’importance du recours à la statistique dans les contextes hétérogènes culturellement.

L’usage des statistiques permet de clarifier les observations, en écartant de l’interprétation des données les valeurs qui ne sont pas représentatives. Aussi, sur le fondement des mêmes données, l’usage statistique permet d’élaborer plusieurs résumés, exposant divers interprétations possibles, ce qui ouvre le chemin à assurer l’exactitude et au repérage des oppositions. Il faut être vigilant à l’égard de l’utilisation des traitements statistiques comme un instrument d’analyse, en les utilisant sur la totalité des données en fonction de contexte de cette information.

Dans une situation hétérogène culturellement, il doit tenir compte de ’’l’homogénéité de la variance’’ des valeurs des autres différents, c’est-à-dire, vérifier la présence d’une interaction entre des variables indépendantes sur une variable dépendante.

Ajoutons qu’il faut ne pas ignorer le degré de similitude entre deux variables, et donc, leur corrélation puisque celle-ci est elle-même dépendante d’autres facteurs en question. Ces démarches permettent d’éviter les pièges que pose l’interprétation aléatoire de données hétérogènes sans prendre en considération le contexte culturel.

On peut dire que l’usage de statistique est une exigence qu’impose le traitement d’un ensemble d’informations qui dépassent les aptitudes humaines. Il faut, donc, réduire en fonction des méthodes relatives aux données en rapport avec l’hypothèse qu’implique le chercheur.

Parlons maintenant de la généralisation et l’étude interculturelle. En effet, en psychologie interculturelle, lorsqu’il s’agit de choisir le sujet, le chercheur est confronté à deux problèmes. Il s’agit, d’abord, du choix des groupes culturels qui doivent répondre exactement aux exigences du chercheur. Ensuite, il y a le problème des sujets capables de représenter le groupe auquel ils adhèrent.

Il faut, donc, bien comprendre les événements en question pour que la généralisation de l’étude interculturelle soit possible. En psychologie interculturelle, il faut cibler le contenu des situations en cours de recherche. C’est uniquement grâce à ces contenus, la structure de fait étudiée, son explication deviennent effectif, voire, capable d’être envisagés.

D’ailleurs, l’observation en recherche interculturelle sert à décrire les phénomènes dans leur état naturel et à déterminer les interactions entre les variables d’une optique abstraite. Notons, que dans ce cas, le travail de l’observateur devient, exceptionnellement, quasi expérimental ou pré-expérimentale.

Qu’il ait le caractère observateur ou expérimentateur, le chercheur doit toujours viser l’hypothèse pour vérifier l’intérêt de l’utilisation des liens souvent statistiques entre les variables indépendantes et dépendantes.

Ajoutons l’importance de l’enquête dans le domaine interculturel. Elle ne peut pas remplacer l’analyse de dynamique sociale, mais elle la complète de façon indispensable pour montrer le vécu des individus.

La divergence culturelle oblige à spécifier l’étude en fonction de la confrontation des situations concernées, abordées différemment.

Tout comme l’expérimentaliste, l’enquête interculturelle vise à éclairer les hypothèses et développer une perspective critique afin de vérifier les conditions.

Vis-à-vis de la complexité des faits sociaux, le chercheur exclu toute théorie permettant de lui recommander les variables pertinentes.

Enfin, nous terminons avec les échelles d’attitudes. En fait, lorsque nous faisons appel à la mesure des attitudes, les outils auxquels on fait appel nommé des échelles, qui ont pour but d’accorder de ‘’nombres’’ aux choses, autrement dit, mettre des suppositions en fonction de contexte qui contourne le fait étudié.

Les échelles sont plusieurs types : nominales, ordinales, d’intervalles et de rapports.

Quelle que soit le type d’échelles l’acceptation ou le rejet des énoncées, ou la réponse positive ou négative à une question, se relient toujours à une position sur l’échelle.

Après ce survol méthodologie, la question qui s’impose concernant la psychologie expérimentale dans l’approche interculturelle, est-elle une Utopie ou une nécessité ?

La psychologie interculturelle ne se limite pas à une simple description de la culture mais elle a pour objectif d’examiner le caractère récepteur et/ou résistant des pensées et des actions des individus soumis aux influences culturelles.

En effet, la culture n’est pas une variable indépendante puisque des facteurs d’influences multiples dominent. Afin de contourner ce problème, donc, il faut élargir les modèles de causalité au-delà des modèles expérimentaux.

Dans la perspective de la psychologie interculturelle, les cultures sont des identités dynamiques. Le chercheur s’intéresse aux facteurs observés systématiquement.

Les horizons de la psychologie interculturelle peuvent, alors, s’ouvrir à l’infini en émergeant plusieurs projets de développement expérimentaux car les variations des conditions deviennent illimitées.

Notes
418.

Reuchlin, M., (1992), Introduction à la recherche en psychologie, Tours, Nathan, P : 13.

419.

Camilleri, C., (1985), Anthropologie culturelle et éducation, UNESCO, Lausanne, Delâchaux et Niestlé, P : 135.

420.

Ghiglione, R., Matalon, B., (1978), Les enquêtes sociologiques, théories et pratique, Paris, Armand Colin, P : 223.