I- Problématique 

L’identité est une notion complexe ayant un caractère paradoxal, d’où l’absence d’un seul paradigme ou conceptualisation la concernant. La complexité de ce concept est renforcée par la diversité des approches qui le traitent sur le plan théorique, aussi bien que méthodologique. C’est pourquoi, l’identité devient un thème carrefour qui intéresse plusieurs disciplines en sciences humaines telles que la philosophie, la sociologie, les sciences politiques (confrontées aux questions posées par l’identité nationale et culturelle), la psychologie : la psychologie sociale et la psychologie interculturelle.

Partant de cette complexité, la détermination de’’ l’identité ‘’sera une question interprétative, qui prédispose une certaine ambiguïté, spécialement, dans les sociétés multiculturelles où la ‘’construction identitaire’’ de l’individu est corrélativement liée au facteur culturel des groupes ou des communautés qui constituent la société. Sachant que la socialisation de la personne est, effectivement, un ‘’fait’’ de transmission des valeurs par l’apprentissage des normes, des modalités de comportements et des lois sociales.

Par conséquent, la ‘’construction identitaire’’, n’est plus une question socio familiale et individuelle, elle est un processus culturel guidé par le principe de ‘’contact des cultures ‘’, notion qui donne à la construction identitaire une dimension dynamique, et qui exige de prendre en considération l’Autrui dans sa différence, et le type des relationstissées avec lui. De ce fait, l’identité est inséparable du concept d’Altérité. Elle n’est plus « qui suis-je, mais qui suis-je par rapport aux autres et que sont les autres par rapport à moi » 453 .

Ainsi, la ‘’construction identitaire’’ est le résultant d’un fait interactif et relationnel, dans le sens d’une ‘’communication interculturelle’’. En fait, elle est un ’’fait culturel’’, que la société a confié à plusieurs institutions socioculturelles, spécialement, à la famille : structure qui a une importance saillante dans la société libanaise.

D’ailleurs, la construction identitaire est un processus psychosocial qui permet à l’individu d’avoir un sentiment de particularité de son existence humaine par rapport aux autres traduit par la notion ‘’identité’’. Celle-ci signifie un sentiment de conscience de soi résultant « des différentes identifications du sujet (Erikson, 1950 -1958) » 454 qui se construit par l’interaction entre son soi, d’un côté, et l’ensemble « des relations que le sujet noue avec la totalité des processus sociaux et les individus qui s’y sont engagés » 455 .

Alors, l’identité résulte « d’un processus complexe qui lie étroitement la relation à soi et la relation à autrui » 456

Individualisation et socialisation constituent les deux faces d’un même ‘’fait ‘’ qui est la construction identitaire, processus guidé par double mécanisme de différenciation et d’identification à l’environnement et à autrui. Ainsi pour nous, l’identité comme un oiseau qui ne vole qu’avec ses deux ailes, l’une individuelle et l’autre sociale.

A propos de la notion de ‘’l’appartenance’’ qu’elle soit ‘’familiale’’ ou ’’confessionnelle’’, nous désignons par ce terme un sentiment d’engagement de l’individu avec un groupe, dont il partage le même sort, les mêmes valeurs, et qui représente pour lui un groupe de référence.

Tout au long de la guerre, la ‘’construction identitaire’’ des individus au Liban se distingue par l’empreinte de l’appartenance confessionnelle. Donc, ’’l’appartenance au groupe’’ devient comme un principe d’organisation psychosociale qui guide les relations entre les différentes communautés confessionnelles. La complexité de ce fait d’appartenance se traduit par un sentiment d’appartenance à trois dimensions : familiale, confessionnelle et nationale, mélangées, pâtées mais, bien sûr caractérisées par la domination d’un certain type d’elles.

Dans cette recherche, nous allons dévoiler si l’interaction interconfessionnelle d’après guerre, guidée par le principe de ‘’contact des cultures’’ a changé la situation et réussi à rendre la question identitaire détachée de sa dimension confessionnelle. Ce détachement nous le découvrirons, d’un côté, à travers le refus des jeunes du confessionnalisme, et d’autre côté, à travers le désir des jeunes de vivre en commun Musulmans et Chrétiens en participant ensemble à une expérience du partage culturel.

Si les résultats de terrain nous montreront que ce détachement est réalisé, cela signifie qu’il y a une nouvelle dynamique relationnelle interconfessionnelle de nature interculturelle, et que la ‘’construction identitaire’’ commence à être un ‘’fait interculturel‘’ a des nouvelles représentations sociales.

Notre perspective consiste à étudier l’identité au Liban en tant qu’un processus psycho-sociale qui commence à être un fait interculturel et en tant qu’un champ de dévoilement de certaines représentations socio-culturelles ambiantes permettant aux libanais de se définir et reconnaître les uns les autres.

Alors, notre perspective se situe à l’articulation entre dynamique psychosociale et dynamique interculturelle et représentationnelle qui permet de comprendre les liens entre les processus ‘’identitaires ‘’et ceux de ‘’contacts des cultures’’. D’où notre choix d’adopter une approche pluridisciplinaire, caractérisée par sa richesse conceptuelle et sa diversité dimensionnelle, d’où s’interfèrent les analyses psychosociales, interculturelles, sociologiques, anthropologiques et historiques, dans le but de comprendre la dynamique relationnelle entre les différents groupes confessionnels composants la société libanaise.

La notion de départ est édifiée sur la pierre angulaire suivante : le contact des cultures, n’est pas un fait statique. En psychologie interculturelle l’importance est accordée au processus d’agissement réciproque des facteurs culturels, d’un côté, et des individus, d’autre côté. La problématique est surtout centrée sur le ‘’contact des cultures’’ en tant qu’un fait dynamique qui influence les relations interconfessionnelles et la façon selon laquelle ce contact influe la question identitaire chez les jeunes : leur construction identitaire et leurs représentations de l’identité socio-culturelle du pays.

L’interaction interculturelle serait appréhendée en fonction de l’appartenance confessionnelle, et par conséquence, l’attitude de la tolérance que fait l’individu à l’égard d’autrui et de sa différence, surtout la différence confessionnelle au cas du Liban, ainsi que l’influence qu’elle exerce sur les comportements, les attitudes et les représentations que fait l’individu.

La dynamique des interactions s'établit sur un duo conceptuel impliquant, d’un côté des concepts d’espace personnel et d’autre côté, des notions d’espace collectif. De l’espace personnel nous avons choisi la notion de’’ construction identitaire ‘’qui renferme en ses entrailles les concepts de l’appartenance familiale, l’appartenance confessionnelle. De l’espace collectif nous avons choisi le concept de ’’l’identité socio-culturelle ’’ quirenferme l’identité nationale.

L’objectif vise à déterminer si l’interaction interculturelle après la guerre produit une convergence autour des questions’’ nationales’’ (considérées épineuses tout au long de l’histoire du pays) et ‘’internationales’’ afin de repérer les points de convergence (considérés comme un indice d’un partage culturel). Il s’agit de détecter comment les jeunes définissent l’identité socio-culturelle libanaise. Et cette définition se repose sur quelle représentation ? Quelles images l’accompagnent chez les jeunes de différentes confessions, dans le visé de dévoiler si l’appartenance confessionnelle n’est plus un facteur déterminant de la question identitaire au Liban. Bref, il s’agit de savoir la réalité de la situation de l’interculturalité et de la tolérance intercommunautaire chez la génération d’après-guerre, qui va devenir la majorité dans le pays ; sachant que ces jeunes ont vécu les atrocités de quinze ans de conflits sanguins. D’où, l’importance conceptuelle et méthodologique d’adopter le concept de représentation sociale en étudiant l’identité socioculturelle.

En fait, cette importance attribuée aux interactions interconfessionnelles et interculturelles cache un ensemble de questionnements.

-Quelle place occupe l’appartenance confessionnelle par rapport à l’appartenance familiale et nationale chez les jeunes?

-Est-ce que les jeunes considèrent que l’appartenance familiale est indispensable pour la construction identitaire de l’individu?

-Le contact des cultures, serait-il susceptible de se développer malgré la diversité qui renferme certaines différences culturelles de ce petit pays ?

-Les diverses occasions de l’interaction interculturelle et interconfessionnelle, offrent-elles aux jeunes l’opportunité de nouer des liens de prédilection en contactant l’Altérité ?

L’ensemble de tous ces questionnements, implique des probabilités, des hypothèses.

En tant que réponses sur ’’la liste d’attente‘’ pour être confirmées, les hypothèses formulées forment un tissu de fond qui sera présent tout au long de la recherche, de manière à pouvoir les infirmer ou les confirmer à la lumière des résultats. Les hypothèses adoptées vont représenter une part des objectifs de la recherche par leur mise à l’épreuve et leur évaluation. L’élaboration des hypothèses consiste à solliciter un lien possible entre :

-L’ensemble des exigences propres au milieu de l’individu,  

-Les particularités constituantes des membres de l’échantillon,

-La totalité des réactions et conduites interdépendantes repérées à partir des visites exploratoires du terrain.

Notes
453.

Ruano-Borbalan, J-C.,  La construction de l’identité, in L’identité, l’individu, le groupe, la société, Sciences humaines, Auxerre, 1998, hors série, P : 2.

454.

Ibid., Adolescence et crise : la quête de l’identité, P : 7.

455.

Ibid., L’Esprit, le Soi et la Société, P : 115.

456.

Ibid., L’identité personnelle, P : 21.