En fait, à l’époque de l’Emirat libanais il y avait deux événements relativement important. D’abord, la domination des émirs maanides qui représente un fait historique saillant, puisque, c’est la première fois que toutes les familles féodales dispersées dans Mont-Liban se trouvent liées ensemble en constituant un pouvoir stable et permanent, « un pouvoir qui a un système militaire et administration bien organisé » 587 . Ensuite, la réussite de Fakhrédine-II à créé une vie commune, aussi bien qu’elle a développé des traditions communes entre les Maronites (au nord) et les Druzes (au Chouf). Cette réussite « considérée ultérieurement en tant que le pierre angulaire dans la construction du Liban » 588 .
En 1697, les émirs Chéhabites ont pris le pouvoir. A cette époque, les relations entre les différentes familles féodales deviennent de plus en plus étroites. Ainsi, naissent les fondements d’une structure sociale traditionnelle et hiérarchisée.
La règne des Chéhabites a son apogée avec l’émir Bachir II (1788-1840) en réalisant une indépendance du Liban, à l’égard de l’autorité Ottomane, et en fortifiant l’indépendance administrative du Mont-Liban, considérée de la part de toutes les familles féodales (Maronites et Druzes) comme moyen de se défendre ‘’ l’identité collective’’ contre les Ottomans. Cette volonté d’indépendance a suscité la peur de l’empire Ottoman, qui a décidé d’exiler Bachir II. Par conséquence, la faiblesse du ’’pouvoir ‘’des familles féodales s’est accentuée, et les paysans ne se soumettent plus à leurs chefs féodaux. Ainsi, «à partir de cette période, et pour la première fois, les relations interconfessionnelles sont en danger, et se sont menées pour être la question centrale du pays» 589 .
En réalité, cette crise de relation des familles féodales et des paysans, résultante de la faiblesse du système féodal, accompagnée par une crise économique et une famine ont contribué à créer la Révolution des Paysans Maronites contres les féodaux (Maronites et Druzes) au Keserwan. Cette révolution, « promptement s’est transformée en affrontements confessionnels, ont contribué à établir une solidarité confessionnelle au lieu d’une solidarité entre les membres d’une même classe sociale (chez les Maronites aussi bien que chez les Druzes), en préparant le terrain pour les massacres de 1859-1860» 590 .
Ainsi, le premier conflit interconfessionnel était ouvert suite à la chute de la famille de notables Chéhab en 1841 et se prolongea jusqu’à 1861et se termina par des massacres.
En gardant l’objectivité de la présentation des événements historiques, nous signalons que derrière les affrontements sanglants des Maronites-Druzes, « on retrouve …les projets hégémoniques contradictoires de deux grandes puissances coloniales de l’époque : La France et l’Angleterre » 591 .
En fait, le soutien de la France envers la communauté Maronite aux niveaux culturel, économique et politique a poussée l’émir Bachir Chéhab II (Maronite) à briser la puissance de la féodalité Druze, dernier obstacle, et à réaliser sa prépondérance absolue sur Mont-Liban. Il s’est aidé de l’armée égyptienne d’Ibrahim Pacha. Par cette alliance avec l’Egypte, l’émir Bachir chéhab II s’est classé sur un axe franco-égyptien auquel s’oppose un axe anglo-ottoman qui s’efforce par tous les moyens de contenir l’expansion égyptienne menaçante pour l’Empire Ottoman et également pour les intérêts coloniaux anglais dans l’Orient.
Ainsi, ces affrontements ont été le résultat d’une situation complexe au niveau mondial et régional renforcée par un bouillonnement populaire contre le système de payer les impôts aux féodaux, et non le résultat d’un affrontement islamo-chrétien. Ce qui le démontre, c’est qu’au cours des combats, les familles « Harfouche, chiites de Békaa, protégent les Grecs-catholiques de Zahlé contre les Druzes de Wadi-al-Taym » 592 .
Pour mieux renforcer leur emprise, les Ottomans cherchent à influencer la querelle entre les maronites et les Druzes. Les Britanniques, de leur côté, profitent des circonstances pour avaler les positions françaises au Liban. Avec cette situation mondiale, il est logique de considérer que les crises de XIX°siècle n’auraient jamais pris des orientations dramatiques, violentes, et des formes confessionnelles aiguës sans l’influence des facteurs externes ébranlant la symbiose interconfessionnelle vécue durant deux siècles et demi.
En 1843, et suite à la ‘’Révolution des Paysans’’ contre les familles féodales et le ‘’système des notables’’, la montagne libanaise fut divisée en deux unités administratives ou districts (Kaémakamates) : l’un maronite, au nord centré sur Békfaya à Kesrouan, l’autre Druze, au sud centré sur Beit-Eddin dans le Chouf et Deir al Quamar relèvera directement d’Istanbul. Mais entre 1843 et 1861 la faiblesse du pouvoir Ottoman s’aggrave et les contraintes exercés par la France et la Grande Bretagne s’accroîtrent. Par conséquence, une Commission Diplomatique s’est réunie pour donner un nouveau statut pour le Liban. Mais cette fois ci, les cinq puissances européennes à l’époque, sont représentées aux côté de l’Empire Ottoman. Il ne reste à Istanbul que de sauver les apparences en promulguant le règlement par ’’ Firman impérial’’.
Ce nouveau système administratif représente le Statut Organique du Mont-Liban. Grâce à ce système élaboré le 9 Juin 1861 la montagne obtient un statut spécifique : présidée par un gouverneur Libanais chrétien, nommé par les Ottomans, et approuvé par les puissances européennes garantes qui surveillent l’application du Statut, dont notamment, la France. Mais à coté de ce Protocole de 1861, un Conseil Administratif assiste à gouverner mais à voix consultative. Il a été composé de douze membres, deux représentants pour chacune des six confessions principales. La répartition communautaire des sièges est la règle à tous les niveaux de la hiérarchie administrative et judiciaire. Ce principe sera repris plus tard dans le Grand-Liban.
Signalons que cette division administrative est un fait marquant dans l’histoire du Liban contemporain puisqu’elle constituera « l’entité de référence sur laquelle va se fonder la formation politique du Liban indépendant en 1943 » 593 . C’est à cela que consiste l’origine du système confessionnel au pays.
Nous considérons que cette division administrative en deux pôles, l’un chrétien, l’autre musulman, malgré son avantage d’arrêter le conflit entre les Maronites et les Druzes, a joué un rôle à institutionnaliser l’affrontement interconfessionnel et pose, sans la résoudre, la question des districts mixtes, puisque les regroupements communautaires n’ont jamais dessiné à l’époque de territoires confessionnels homogènes. C’est une «démocratie confessionnelle» 594 qui vient de naître.
Or, un long intervalle de paix et de calme semble régner entre 1861-1920, la date de la création du Grand-Liban constitué comme un moment fondamental pour les raisons suivantes :
D’abord, c’est la première fois qu’il existe au Liban un rassemblement de plusieurs régions en une seule entité politique.
Ensuite, parce que la constitution de l’Etat libanais était, selon certains historiens, calquée sur le modèle français (la constitution française de 1875), en oubliant de prendre en compte la particularité de la structure sociale libanaise et sa logique de fonctionnement : « le plus étrange est que l’ont ait pu coiffer pareille infrastructure (à entendre confessionnelle) d’une couverture parlementaire de fabrication spécifiquement occidentale » 595 . Enfin, parce qu’il représente la création d’un système parlementaire démocratique qui a réussit à annuler le système des notables de nature féodale.
Ibid., Le conflit libanais, P : 46.
Ibid., Le conflit Libanais, P : 47.
Ibid., Le conflit libanais, P : 51.
Ibid., Le conflit libanais, P : 50.
Mesalem, F., (1996), Dialogue et convivialité au Liban : Œcuménisme et relations islamo-chrétiennes. Enjeux et perspectives, Mémoire de maîtrise en théologie, Université Catholique de Lyon : Faculté de Théologie, P : 12.
Ibid., Dialogue et convivialité au Liban, P : 13.
Corm, G., (1971), Contribution à l’étude des sociétés multiconfessionnelles, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence-LGDJ, P : 277.
Ibid., La déchirure libanaise, P : 38.
Rabbath, E., (1982), La constitution libanaise, Beyrouth, pub.Université Libanaise, P : 27.