Au XIX°siècle, le Mont-Liban a connu une prospérité économique grâce à l’industrie de soie dont plusieurs facteurs ont réussit à sa réussite, ce qui explique la recherche de Chevallier 596 .
Effectivement, l’industrie de soie était pour les agriculteurs du Mont-Liban, particulièrement, les Maronites leur seul gagne-pain, c’est pourquoi elle avait la priorité chez eux. Suite à cette situation, la relation avec la France et tous les pays Européens qui la fabriquent. Pour améliorer la qualité de la production, les agriculteurs ont adopté les techniques modernes, ce qui leur apporte une richesse et une vie aisée relativement. Alors, un changement de la position des paysans, particulièrement des maronites, imposait une modification de leur statut politique administré par le régime de ‘’Millet’’ ottoman, et les encourageait a réaliser une progression au niveau démographique.
Ainsi, une concurrence existait entre les agriculteurs maronites qui ont adopté les techniques modernes pour produire la soie et ceux qui sont resté fidèles à l’ancienne technique, et qui étaient en majorité musulmans, considérant l’Occident comme menace et source de frustration. Cette concurrence avait un avantage : elle a joué un rôle d’ouverture des frontières du Mont-Liban vers Beyrouth qui a un port permettant d’exporter la soie. Cette situation de prospérité économique a encouragé la construction des écoles et des universités, puisque le commerce et l’Industrie exigent des personnels diplômés pour l’administration, ajoutons l’ambition du peuple à se développer et à améliorer aux maximum possible ses conditions de vivre après avoir souffert beaucoup du système des impôts Ottoman et de la famine. Cette situation économique a permis au Liban de s’ouvrir vers l’extérieur, et de tisser des liens commerciaux avec l’Occident, qui a implanté des universités et des écoles privées dirigées par des missions apostoliques, afin d’influencer le champ culturel et idéologique des libanais (par exemple l’université Américaine ’’protestante’’ à Beyrouth, et celle de Saint-Joseph des ‘’Jésuites’’.)
Par conséquence, une concurrence anglophone et francophone envahit la société libanaise, et les libanais ont essayé d’en profiter pour se développer, ce qui a donné à ce petit pays une richesse culturelle, une administration forte et bien organisée, « ce qui a permis à considéré le petit Liban, jusqu’à la première Guerre –Mondiale, le meilleur département parmi ceux qui ont les plus organisé dans toute l’Empire Ottoman » 597 .
Alors, les fondements administratifs, en tant que condition nécessaire pour constituer un Etat, existent déjà. Ajoutons le mouvement de renaissance culturelle et littéraire accompagné de l’établissement des associations culturelles qui affrontent la ‘’Turquisation’’ du peuple et vise l’arabe comme langue officielle. N’oublions pas l’encouragement Français des Maronites, et Britanniques des Druzes pour affaiblir les fondements de l’Empire Ottoman qui s’effondre afin de réaliser leurs intérêts politiques et coloniaux à l’époque.
Ainsi, les Ottomans ont perdu leur capacité à contrôler la situation politique et militaire au Liban. La société libanaise est influencée par les idées libérales et laïques grâce aux universités et à l’augmentation du pourcentage des instruits.
La situation a permis, donc, l’apparition d’ ‘’une conscience nationale ‘’fondée sur le concept de ‘’la nation’’. Cette notion était investie vivement grâce à la création de certains mouvements nationalistes qui n’adoptent pas la même perspective politique, ni la même définition de l’identité socioculturel du pays, ni la même représentation concernant la ‘’définition de la nation ‘’et ses éléments constitutifs.
Signalons que ces mouvements nationalistes qui refusaient la domination Ottomane et faisaient appel à la’’ réforme administrative’’ dans le vieil empire, menacé de toutes part, ont été affrontés de la part des Ottomans d’une façon sévère : Jamal Bacha a massacré des dizaines des personnes particulièrement le 6 Mai 1916 pour empêcher toute tendance à l’indépendance dans les départements de l’Empire.
Une certaine catégorisation (entre arabe et turque) a vu le jour. Et un sentiment d’appartenance résultant d’une ‘’conscience nationale’’, devient de plus en plus vif grâce aux ‘’mouvements nationalistes’’ qui jouaient un rôle comme cadre de référent idéologique par l’intermédiaire des associations culturelles qui ont été créées. L’individu au Liban s’est trouvé à l’époque face au Bazard de la ‘’nation’’ : La nation Libanaise, la nation Syrienne et la nation Arabe.
Les adeptes de cette perspective (majorité Maronites) s’appellent ‘’les libanistes’’. Ils adoptent une idéologie qui penche vers l’Occident au détriment de l’Orient arabo-musulman. Ils visent un système sociopolitique confédéral (démocratique) et un système économique libéral. Ils sont l’opposé du système ottoman théocratique. Ils refusent le projet unioniste avec les pays arabes de peur que le Liban perdre son indépendance et ait un statut de Province, c’est pourquoi ils ont peur de l’attachement des musulmans avec les pays arabes, cette peur qu’on trouve dans un communiqué de 1974 du parti des Phalanges libanaise en défendant le confessionnalisme en disant : «la Constitution doit demeurer telle qu’elle , intouchée. Quant au confessionnalisme, il est nécessaire pour le maintien des attributions du Président de la République. Les musulmans n’ont point à réclamer la pleine égalité en droit, parce que les chrétiens n’ont pas confiance en leur allégeance au Liban et craignent l’accroissement de leur solidaritéavec les causes arabes. Et il ne faudrait point donner effet au pouvoir de la maorité numérique, parce que si les musulmans, au nom de la majorité, accédaient pouvoir, les chrétiens reviendraient à la situation de minorités qui avait été la leur sous l’Empire ottoman islamique » 598
Ils souhaitent un pays indépendant et démocratique dont ses racines recours à la Phénicie. Ce courant « ne prend parti de l’arabisme que dans la mesure où il se révèle lucratif » 599 .
Par conséquent, la représentation de l’identité du pays est proprement libanaise, indépendante de son entourage arabe. Et dans certain cas extrémistes, le Liban devient le ‘’pays des Maronites’’ où il réjouit d’un « Indépendance perpétuelle, résistante à tous les conquérants mis sur le même plan, supériorité culturelle, différence radicalisée avec le milieu proche oriental… » 600 . Ils considèrent qu’il est parfaitement légitime que « sur 22 pays membres de la ligue Arabe, la souveraineté d’Etat soit exercé par des Chrétiens dans le pays où leur concentration géographique est plus forte » 601 .
Dans une étude sur la perception des élites des communautés chrétiennes de l’entité libanaise, l’auteur A. Messarra, remarque qu’il y a chez les radicalistes (qui sont, d’après l’auteur, les plus radicaux des radicaux), une tendance à voir cette entité comme homogène, car selon eux la libanisation des Musulmans a été un échec ; leur argumentation se résume par ces affirmations : « L’islam accepte le semblable et rejette le différent (…). Le pluricommunautaire est une construction refusée par l’islam(…). La civilisation islamique admet ce qui lui est homogène et recherche à dominer ou à exclure ce qui lui est hétérogène » 602 . Bref, ceux qui ont extrémiste croient qu’un ‘’Etat compromis’’ est improbable car l’islam est réfractaire à tout concept de société laïque ou pluraliste.
Les adhérents à ce courant politique (majorité Orthodoxes, Druzes et des chiites) considèrent que le Liban est en complémentarité géographique de la Grande-Syrie. Il est son extension, que ce soit au niveau géographique ou socio-politique.
Pour eux, le Liban est inséparable de la Syrie, à l’inverse, il constitue, avec la Palestine un département d’elle. Ils refusent l’idée de renfermer les pays du Hijaz : l’Arabie Saoudite et certains pays du Golf actuellement.
Les adeptes envisagent un système sociopolitique laïc. Ils ont refusé la domination du Prince Fayçal.
Grâce à sa nature laïque, ce courant a réussit à attirer les individus de toutes les confessions.
La représentation de l’identité corollaire à cette optique est celle d’une identité unificatrice qui enracine la dimension arabe. Bref, c’est une identité purement Syrienne, dans laquelle sont fondues toutes les identités locales : Libano-Syrienne ou Palestino-Syrienne. C’est une identité qui ressemble à un grand récipient qui les renferme.
Les individus qui adoptent ce courant (majorité Sunnites, Grecs-Orthodoxes et des chiites) visent l’Unité arabe dans le cadre d’un Royaume arabe uni sous le règne de Fayçal (prince de Hijaz). Ils souhaitent un Liban comme un département de ce Royaume. Ils envisagent un système politique fondé selon le Coran et l’islam.
L’image de l’identité découlant de ce courant est celle d’une entité politico-religieuse. C’est une identité dont la religion est inséparable de la vie sociopolitique. Autrement dit, la religion est ‘’ la colonne vertébrale’’ de cette identité.
Après la chute de l’Empire Ottoman avec la première Guerre Mondiale, la montagne libanaise a perdu son indépendance et ses privilèges. C’est le temps de penser à l’avenir du ‘’pays - d’après les Ottomans’’, et déterminer son identité et ses choix politiques.
Pour les Maronites nationalistes libanais ou les libanistes, il y avait deux perspectives : une qui souhaite ‘’un petit-Liban’’, qui renferme la montagne, et Beyrouth parmi les villes côtières. Les adhérents à cette perspective veulent un petit Etat mais a une majorité chrétienne pour mieux servir les intérêts chrétiens dans l’Orient.
La deuxième optique envisage ‘’un Grand-Liban’’, qui contient toutes les régions qui étaient dedans à l’époque des émirs Fakhrédin et Bachir II qui sont : Mont-liban, Beyrouth, Tripoli, Vallée Akkar (au nord), Békaa à l’Est et la montagne Amel (au sud). Les adeptes de ce point de vue considèrent que les Maronites sont dans une situation très forte qui leur permet d’influencer la vie politique, même s’ils ne sont pas majoritaires au niveau démographique. Ils envisagent un Grand-Liban indépendant, mais au début, sous un mandat français en attendant la réalisation effective de cette indépendance. Effectivement, il existait à l’époque une mobilisation en faveur de cette deuxième perspective qui a permis de gagner le terrain libanais.
Pourtant, dans le camp des musulmans, il y avait : les ‘’nationalistes syrienne’’ qui envisagent un système politique laïque et les ’’nationalistes arabes’’, qui envisagent un Royaume arabe, qui est La Grande Syrie, indépendant allié à la Grande Bretagne, dont Fayçal le fils de Sharif Hussein serait le monarque. Un choix politique qui unit la vieille dynastie de Hijaz et qui attise la flamme du rêve Califal aux jeunes officiers arabes radicalisés.
Effectivement, en novembre 1916, la Grande Bretagne et la France reconnaissent Hussein comme roi du Hijaz. A cette époque-là, toute la Syrie est placée sous l’autorité de la France (général Allemby) et Fayçal le fils d’Hussein était installé à Damas.
Les nationalistes syriens, ‘’instruite’’, considéraient Fayçal « un ‘’bédouin’’ et comme un simple instrument britannique » 603 . Or, pour Fayçal, et dans certaine mesure pour la Grande Bretagne, le nationalisme Maronite (ou les libanistes) n’a aucune légitimité, « il n’est que l’instrument français d’un complot contre l’indépendance de l’unité arabe » 604 .
Ainsi, du côté libanais comme du côté français, les choix politiques vont se cristalliser par rapport à Fayçal (majorité Musulmans) et à un nationalisme libanais (majorité maronites). Nous considérons que, peut être ici, consiste le noyau de la différence concernant ‘’la représentation ‘’de l’identité du pays et ses caractéristiques. C’est ici, peut être, la source de la propagande d’une ‘’certaine image’’ de l’identité libanaise particulière à chaque confession : image arabe chez les musulmans et image purement libanaise, ou, en d’autre terme, image libanaise montagnarde chez les Chrétiens.
L’arrivée de l’année 1919 était marquée par des essais français pour réaliser un compromis avec Fayçal considéré, pour la France, le seul capable de pousser les musulmans syriens à accepter le mandat. Fayçal, à son tour, était convaincu que seule la France est susceptible de faire les Maronites accepter le principe d’un pouvoir Hachémite en Syrie. Alors, un accord est réalisé, prévoit une fédération syrienne indépendante sous mandat français incluant un Liban autonome. Mais cet accord a inquiété les Maronites qui souhaitaient un Grand-Liban sous mandat français. Avec cette situation, la tension ne cesse de monter entre libanistes et nationalistes arabes, au cours des premiers mois de 1920. Les troupes de Damas harcèlent l’armée française dans la Békaa. Après leur déportation pour haute trahison, général Gouraud envoie à Fayçal un ultimatum exigeant la reconnaissance du mandat, devant le refus du Congrès Syrien, l’armée française marche vers Damas et écrase les nationalistes arabes et syriens à Mayssaloun le 24 juillet 1920, imposant par la force le mandat français sur la Syrie.
En s’installant en Syrie, la France est face à une question à résoudre qui est le tracé des frontières libanaises afin de réaliser sa promesse aux Maronites. Au Mont-Liban de 1860 on a ajouté les régions côtières, du nord du Tripoli jusqu’au sud de Tyr, le Akkar au nord, le Békaa à l’est et la montagne Amel au sud.
Donc, le Grand-Liban venait de naître sous la pression des maronites dans une situation qui a rendu la naissance comme un défi ‘’Chrétien’’ face aux nationalistes arabes de Damas ‘’majorité Musulman’’ avec le soutien français. Cette situation a choqué les musulmans qui refusaient d’être un peuple dans un Etat, même avec des privilèges, après avoir été dominants et au pouvoir, pas seulement à l’époque des Ottomans mais tout au long de leur histoire. C’était difficile pour eux d’accepter une nouvelle situation qui les obligent à être dominés par les Maronites et les Français. Les Musulmans ont vécu un sentiment de frustration parce qu’ils ont perdu le Pouvoir, accompagné d’un sentiment de perdre leur importance historique. Particulièrement les Sunnites, ce qui les poussait à refuser ce nouveau né qui représente pour eux, la victoire des Chrétiens et la réalisation du rêve des Maronites en Grand-Liban.
D’ailleurs, cette naissance du Liban a bouleversé la situation démographique. Les Maronites qui étaient majorité à la montagne « près de 80% de la population ne sont plus que 55% dans le Grand Liban en1921 ; ils seront 50,7% au recensement de 1932 » 605 .
Ajoutons que les régions côtières renfermant le Grand-Liban, ont un parcours de développement socio-économique particulier et plus lent que celui des habitants du Mont-Liban qui ont profité de leur relation avec la France et toute l’Europe (citons par exemple : La commerce de la Soie, les Universités et les Ecoles). Pourtant, les musulmans n’ont pas pu récolter de bons fruits, ni des Ottomans, ni de la Grande-Bretagne. Ce qui a contribué à l’apparition de certaines contradictions et différences entre Chrétiens et Musulmans au début de l’édification du pays, rapidement occultées grâce aux avantages qu’ont eu les musulmans et, particulièrement, les Sunnites en tant que majorité musulmane. C’est pourquoi, nous considérons qu’un accouchement difficile du Liban n’empêche pas d’avoir un joli bébé !
Chevallier, D., (1971), La société du Mont-Liban à l’époque de la révolution industrielle en Europe, Paris, Geuthner.
Ibid., Coexistence au temps de la guerre, P : 88.
Salam, N., (1998), La condition libanaise : Communautés, citoyen, Etat, Beyrouth, Dar AN- NAHAR, P : 75.
Sassine, F., (1979), Le libanisme Maronite : contribution à l’étude d’un discours politique, Thèse du Doctorat de 3ème cycle, Paris, Université de Paris Sorbonne, P : 371.
Ibid., Le libanisme Maronite, P : 380.
Corm, G., (1984), Perception de la Société libanaise, in La nouvelle société libanaise dans la perspective des FA4ALIYAT (Decision-Makers) des communautés chrétiennes, Beyrouth-kaslik, Université Saint-Esprit, P : 60.
Messarra, A., (1984), La perception politique des élites des communautés chrétiennes : synthèse documentaire des tendances et des propositions de changement (1975-1983), in La nouvelle société libanaise dans la perspective des FA’ATIYAT (Decision-Makers) des communautés chrétiennes, VIII, Beyrouth- Kaslik, Université Saint-Esprit, P : 128.
Ibid., La déchirure libanaise, P : 51.
Ibid., La déchirure libanaise, P : 52.
Ibid, La déchirure libanaise, P : 58.