I.2.4 - Le pacte national 

Le Grand-Liban, né en 1926 a connu l’indépendance effective après le départ des soldats français le 22 novembre 1943. Alors, la nouvelle entité se trouva confrontée à la question de la participation au pouvoir des nouvelles communautés et leur statut personnel. Ces facteurs pouvaient fragiliser cette nouvelle entité politique. Ainsi, c’est le moment de la consolider par ‘’Le pacte national ‘’, texte fondateur inspiré des lois constitutionnelles françaises en 1875, en insistant sur l’égalité des libanais de toutes les confessions devant la loi. Pourtant, il gardait la répartition des postes de l’Etat selon les confessions, ce qui reflète le poids politique et démographique de chaque confession, autrement dit, « les relations entre la structure institutionnelle et la structure sociopolitique sont des relations dialectiques… [Et donc], le système politique tout entier est basé sur un équilibre interconfessionnel » 606 . Par conséquence, le système politique devient un système confessionnel et dans ce système « un classement des communautés a été adopté. Une place prédominante a été accordée aux Maronites, d’abord sur la base de leur supériorité numérique, ensuite par souci, de la part des autres communautés, des pays arabes et des puissances occidentales, de donner aux Chrétiens une garantie de sécurité» 607 . D’où, les différences confessionnelles et religieuses dont les groupes libanais sont issus, « se reflètent sur leur structuration sociale et leur action politique » 608 .

Donc, c’est un nouvel arrangement des pouvoirs dont les règles d’applications sont :

-La distribution entre les communautés des postes-clefs du pouvoir dans l’Etat.

-L’équilibre entre les communautés dans les divers organes étatiques, incarné par la règle de la proportionnalité de représentation au sein de la Chambre, du Conseil des ministres et de l’Administration publique. « Nous voila en possession d’un régime opérationnel qui repose, comme tout régime politique moderne…Il assure la liberté politique, l’affrontement des classes et des partis, des idées et des idéologies, un gouvernement d’opinion, une majorité, une opposition. Il implique la recherche permanente de l’équilibre, dans le choc des intérêts et le compromis, dans les chocs des solutions » 609 , puisque la société libanaise est «placée sur un axe à double orientation ; celle du passée et celle de l’avenir : une histoire déjà fait et une histoire à faire » 610 .

Signalons, que ce pacte n’était pas un compromis confessionnel mais « une expression non écrite de la volonté des divers minorités libanaises de vivre en commun au sein d’un Etat souverain et indépendant ». 611

En fait, c’est un pacte intercommunautaire, informel et oral, issu des conversations tenues à Aley entre Bechara El Khoury (le président) et Riad El Solh (premier ministre). D’après ce pacte, les Chrétiens renoncent à l’idée d’un Liban coupé de son environnement arabe et placé sous une quelconque protection occidentale. Les Musulmans, à leur tour, abandonnent le projet d’un démembrement du Liban en faveur de la Syrie ou d’une dissolution de l’entité libanaise dans une patrie arabe unifiée.

Michel Chiha, fondateur de la constitution libanaise s’appuie sur le postulat du ‘’pluralisme et diversité communautaire’’. Il édifie ’’la nation libanaise’’ sur le principe des ‘’minorités confessionnelles associées’’. En fait, ce pacte « accole le national au confessionnel » 612 .

En analysant le pacte national, nous trouvons, qu’il représente un essai de « réussir une réconciliation de la société et du pouvoir, dont le divorce persistait depuis 1920 » 613 .

Avec ce pacte national, le Liban franchit une nouvelle étape positive, d’un côté, dans l’intégration sociale des communautés, (par exemple, l’intégration des chiites considérés comme une ‘’confession indépendante’’ grâce à ce pacte), et, d’autre côté, dans le développement d’un Etat ‘’moderne’’, ‘’démocratique’’. Sachant que « sa démocratie est particulière, puisqu ‘elle est fondée, pas seulement sur la majorité démographique, comme dans les autres pays démocratiques, mais aussi sur un accord inter-confessionnel » 614 .

Pourtant, ce pacte avait plusieurs inconvénients tels que :

1-Eriger en loi la répartition confessionnelle, rendre l’Etat un simple reflet des forces en présence, créer la possibilité de la transposition des conflits sociaux et économiques en des conflits iner-communautaires.

2-Il empêche l’établissement d’un lien direct entre le ‘’Citoyen’’ et ‘’l’Etat’’ parce qu’il « rend la confession comme un intermédiaire entre le citoyen et l’Etat. La confession à laquelle il appartient le libanais devient le cadre à travers lequel l’individu réalise son existence politique  » 615 .

3-Il encourage une discrimination politique entre les confessions, en donnant au chef de l’Etat (Maronite) un rôle et une autorité supérieure et minimise celui des autres communautés. La règle de l’équivalence ré-instaure une égalité d’influence sur la décision politique qui paralyse les effets de l’inégalité constitutionnelle.

4-L’implication directe de ce principe au niveau des institutions consiste dans les relations entre le président et premier ministre. En fait, « le chef de l’Etat ‘’dictateur constitutionnel’’, se transforme en ‘’dictateur limogé’’ qui met à ses côté un deuxième chef d’Etat en la personne du premier ministre» 616 . Dans cette optique, le pacte envisage une formule d’après laquelle le chef de l’Etat est censé abandonner une partie de ses prérogatives constitutionnelles, qui sera recouvrée par le premier ministre (sunnite). Mais la crise émerge dès que le dernier cesse d’être l’associé du président, pour devenir son concurrent. Par conséquent, le pouvoir est alors pris aux pièges des tensions et des conflits qui aboutiront, soit à la rupture, soit à un nouveau compromis. D’emblée, le pacte devient un moyen qui contribue à la persistance du conflit islamo-chrétien.

5- Dans sa portée pratique, et après des décennies de son élaboration, le pacte parait être un compromis de circonstance, indispensable à un certain moment historique (1943), mais, effectivement, il était impuissant à être le pacte constitutif d’une Nation et d’un Etat.

6- Il a laissé la question de l’identité nationale et les relations extérieures sans détermination et dans une situation ambiguë.

7-Au plan des rapports politiques et de l’institution de pouvoir, il y a eu une contradiction à la base : «une volonté de créer une institution politique unitaire, exprimée par un système et un régime politiques d’un état unitaire, et en même temps, un renforcement des relations politiques qui allait à l’encontre de cette ‘’unitarisme’’ » 617 . Les témoignages sont :

a- L’article 95 de la constitution qui reconnaît, bien qu’à titre transitoire, -qui est devenu permanent-, l’existence des communautés et leurs droits.

b- Dans la pratique politique : la proportionnalité des députés et ministres, et les différents ‘’veto’’ que les communautés pouvaient se lancer.

c- Dans la pratique sociale : l’indépendance des groupes confessionnels sur les plans des statuts personnels, de l’éducation, des groupements politiques, sociaux…

Ainsi, le pacte national est un accord toujours à refaire à la base d’une intention de conciliation qui doit être l’anneau de liaison entre toutes les communautés. C’est dans cette optique que l’accord de Taëf a vu le jour en 1989-1990.

Notes
606.

Sleiman, I. (1994), Equilibre interconfessionnel et équilibre institutionnel au Liban, in Le Liban aujourd’hui, sous dir. Kiwan, F., Beyrouth, CERMOC / CNRS, P : 73.

607.

Moghaizel, J., (1984), Les chrétiens libanais face à l’avenir, in la nouvelle société libanaise dans la perspective des FA’ATIYAT (Decision-Makers) des communautés chrétiennes, VIII, Beyrouth- kaslik, Université Saint-Esprit, P : 87.

608.

Charaf, G. (1984), Vers une nouvelle formule constitutionnelle au Liban, in  la nouvelle société libanaise dans la perspective des FA’ATIYAT (Decision-Makers) des communautés chrétiennes, VIII, Beyrouth- kaslik, Université Saint-Esprit, P : 68.

609.

Azar, A., (1984), Plan général de restructuration de l’Etat, in La nouvelle société libanaise dans la perspective des FA’ATIYAT (Decision-Makers) des communautés chrétiennes, VIII, Beyrouth- kaslik, Université Saint-Esprit, PP : 106-107.

610.

Aouad, M., (1984), La société libanaise un projet à réaliser, in La nouvelle société libanaise dans la perspective des FA’ATIYAT (Decision-Makers) des communautés chrétiennes, VIII, Beyrouth- kaslik, Université Saint-Esprit, P : 289.

611.

Al-Khoury, B., (1956), Discours de Groupes d’écrivains, et L’Orient, 6 Avril 1957, in Dialogue et convivialité au Liban : Œcuménisme et relations islamo-chrétiennes. Enjeux et perspectives, Mémoire de maîtrise en théologie, Messalem, Université Catholique de Lyon : Faculté de Théologie, P : 36.

612.

Ibid., L’unité est multiple, P : 23.

613.

Ibid., Vers une nouvelle formule constitutionnelle au Liban, P : 76.

614.

Abi Ghanèm, A., (1990), L’unité est dans la diversité, in Minorité, Réalité et aspiration, Khalifé et al., Beyrouth-Kaslik, Université Saint-Esprit, P : 6.

615.

Nassar, N., (1970), Vers une nouvelle société, Beyrouth, Dar AN-NAHAR, P : 109.

616.

Ibid., Nouvelle formule constitutionnelle, P : 77.

617.

Ibid., La société libanaise ? Un projet à réaliser, P : 290.