II.1- L’approche culturaliste 

Dans cette perspective la notion de l’ethnie est fondamentale, sur elle se pose toute construction identitaire.

D’après cette approche la société libanaise est composée de plusieurs ethnies dont chacune a une histoire, des mœurs, des coutumes et une langue différente selon l’appartenance religieuse de chaque groupe.

En 1982, une enquête sur le terrain dans les universités libanaises, a été appliquée par Abou Saleh Prince 620 , partant de l’idée qu’il existe un conflit de normes arabo-musulmanes et libano-chrétiennes.

Concernant les aspirations d’un ‘’futur Liban’’, nous nous appuyons sur une deuxième enquête sur le terrain appliquée en 1990. L’’auteur considère la guerre civile libanaise en tant qu’  « une nouvelle guerre ‘’inter-culturelle’’ » 621 , où la religion est le fondement de la formation de groupes socio-culturels différents, ce qui lui a permis d’étudier les différents modèles culturels et d’établir des ‘’profils‘’ socio-psychologiques.

Ces profils ‘’socio-psychologiques’’ ne s’édifient pas seulement sur le duo Musulmans / Chrétiens, mais l’auteur les affine et propose un profil pour les principales confessions constituant la structure sociale libanaise. Pour lui, chaque confession «  se perçoit et est perçu comme une ‘’ethnie particulière, ayant son origine propre, son histoire, sa culture, son échelle de valeurs, en un mot, sa microculture » 622 .

Certes, il existe certaines différences culturelles entre les différentes confessions, mais nous considérons que ces différences ne dépassent pas les limites des particularités culturelles dans un cadre national commun. A ce propos, Beydoun montre que «Ces particularités culturelles des communautés libanaises s’avère assez mince. Elles restent loin de pouvoir fonder des personnalités ethno-culturelles distinctes » 623 . Nous considérons que l’auteur fait l’amalgame entre la religion et la culture. Il propose une notion’’ manquée’’ de l’ethnie. Et nous croyons qu’il est illogique de simplifier la guerre civile au Liban en la considérant une simple ‘’guerre inter-culturelle’’ en oubliant que « la place qu’occupe le Liban dans son système régional a toujours été un sujet de controverse…[et que ] les problèmes du Liban dépendent largement de ses interactions avec la région » 624 et ignorant le rôle des facteurs politiques (internes et externes)  complexes qui ont contribué à l’époque de l’éclatement de la guerre, tels que, la situation du Moyen-Orient et l’influence directe de la question palestinienne, l’inégalité sociale entre les différentes régions libanaise, et les problèmes économiques, suite à la décroissance de l’agriculture de tabac du fait de l’invasion israélienne du Sud du pays en 1973. Egalement, le dysfonctionnement du système économique pour des raisons multiples, dont la crise économique était vive : « de 1967à 1975, le coût de la vie a presque doublé au Liban » 625 . D’ailleurs, d’après l’étude de Dubar « plus de la moitié des cultivateurs et des métayers se sont déclarés endettés. Les ouvriers industriels et agricoles se situent nettement à côté de ces derniers puisque plus d’un tiers des familles ouvrières apparaissent endettées » 626 , …etc.

Pour nous, le peuple libanais est composé de plusieurs confessions religieuses, (sauf les Kurdes et les Arméniens) et il est tort de le considérer composé de plusieurs ethnies, parce que :

1- La notion de l’ethnie est une notion difficile à définir et demeure très controversée chez les anthropologues. Elle est souvent chargée de connotations racistes, la prudence et la rigueur désormais nécessaires à son emploi font parfois défaut.

2- pour définir l’identité ethnique d’un peuple, il ne faut pas adopter un seul critère de ceux qui définissent l’ethnie. Pour que nous puissions dire ethnie, il nous faut plusieurs critères. Certains semblent généralement acceptés par les spécialistes pour délimiter les contours de l’ethnie. Il s’agit de la langue, du territoire, de la culture, du sens anthropologique, et de la conscience d’appartenance.

Or, non seulement la langue de toutes les communautés religieuses au Liban est l’arabe, le dialecte pratiqué par leurs membres respectifs est aussi le même ; les distinctions entre différents parlers ne correspondant pas aux clivages confessionnels. Au sujet des différents parlers orientaux, Fleisch, H., écrit : « en Syrie –Liban, les parlers sédentaires et ruraux sont à distinguer certes, mais diffèrent beaucoup moins (qu’en Palestine) ; ils s’opposent aux parlers des nomades ; les parlers des grandes villes, Beyrouth, Damas, Alep (Y compris Jérusalem) se rapprochent curieusement ; la montagne libanaise, compartimentée, entraîne des variations locales… » 627 . Ainsi, la différence du dialecte ne dépasse pas les limites en tant que variation locale dans un champ linguistique commun.

3-Quant à la projection spatiale des communautés religieuses, et quoique plusieurs régions du Liban présentent une grande homogénéité confessionnelle, il demeure qu’elles ne sont pas exclusives confessionnellement. Ajoutons que la majorité des membres de ces communautés est dispersée dans l’ensemble du pays à des degrés, qui évidemment, changent d’une région à une autre.

4-Les différences entre certains traits culturels que l’ont peut observer parmi les différentes communautés religieuses, et qui sont généralement saillants et survalorisés en tant que marques distinctives dans les idéologies confessionnelles, ne sont pas d’intensité à remettre en question le fait que ces collectivités partagent une même culture sociale ; fait attesté par leur habitat, leurs instruments et technologies de travail, leur cuisine ainsi que de nombreuses représentations symboliques, et beaucoup des coutumes et des traditions sont communes.

5- Reste la conscience d’appartenance. S’il est facile de constater que les membres de toutes les communautés musulmanes se disent ’’arabes’’, il nous faut toujours savoir comment se situent les membres des communautés Chrétiennes.

Effectivement, et d’une façon générale, le problème de l’appartenance à une culture arabe ne pose problème que dans la communauté Maronite. En fait, la réalité historique montre que même si la majorité des Maronites refuse l’arabité, cela n’efface pas la réalité que certains des pionniers du mouvement de la « renaissance arabe » étaient des chrétiens, et ont participé activement à l’élaboration de l’idée de nationalisme arabe contre la domination turque. D’ailleurs, certains historiens ont essayé de montrer l’origine arabe des tribus Maronites et que plusieurs familles maronites tirent prestige de la généalogie faisant remonter leurs origines à des grandes tribus arabes. Ce qui nous pousse à considérer que la question d’appartenance à une culture arabe est une question dépendante des conjonctures politiques. Et que l’existence d’une tendance à refuser de se dire arabe, à l’intérieur d’une communauté, ne suffit point pour justifier la considération que cette communauté formerait une ethnie distincte, surtout qu’elle partage avec les autres communautés, comme on l’a déjà indiqué, tous les autres critères retenus comme constituants de l’ethnie. Les communautés religieuses que l’on trouve dans le Liban ne sont donc point des ethnies.

Ainsi, nous remarquons que le paradigme de base pour l’étude de Germanos-Ghazaly, débouche au concept de la diversité culturelle et de l’identité pluriculturelle. C’est une identité multidimensionnelle. Perspective adoptée au Liban par Sélim Abou, qui a essayé de théoriser la question identitaire selon une approche ‘’psycho-ethnologique’’. De quoi s’agit-il ?

Notes
620.

Abou saleh prince, M-A., (1982), Dualité des rôles dans le passage d’une culture à l’autre : Le cas du Liban, Beyrouth, pub. Université Libanaise.

621.

Germanos-Ghazaly, L., (1990), Liban : Rêve, guerres et réalités, Beyrouth, L‘imprimerie Catholique, P : 7.

622.

Ibid., Liban : Rêve, guerres et réalités, P : 82.

623.

Beydoun, A., (1994), L’Identité des libanais, in Le Liban aujourd’hui, sous dir. Kiwan, F., Beyrouth, CNRS / CERMOC, P : 17.

624.

Ibid., Une place pour le Liban, P : 31.

625.

Dubar, C., Nasr, S., (1976), Les classes sociales au Liban, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Ppolitiques, P : 296.

626.

Ibid., Les classes sociales au Liban, PP : 293-294.

627.

Fleisch, H., (1965), Les dialectes orientaux, in Encyclopédie de l’Islam, Liden : E.J.Brill, et Paris, G.P. Maisonneuve / Larousse, P : 594.