En fait, Abou, S., enracine l’identité culturelle libanaise dans l’identité ethnique, la structure sociale étant composée de plusieurs ethnies. Pour lui, l’identité collective dans ses dimensions suprastructurelles est une configuration hiérarchique qui renferme : l’ethnie, l’Etat et la nation : « Nation, nationalité, ethnie : ces concepts garde obligatoirement l’équivocité [...] Les ethnies, alors, appelées nationalités, se sont trouvées englobées dans de trois types d’Etats : les Etats nations, où la nation coïncide, à peu de choses près, avec l’ethnie, les Etats pluriethniques où la nation comprend plusieurs ethnies géographiquement concentrées ou dispersées ; enfin des Etats également pluriethniques, mais recouvrant des fractions d’ethnies. Les nations ainsi constituées […] ont tendance à se définir de deux manières différentes : soit en invoquant les critères de l’ethnicité -race, langue, religion, etc.- soit en affirmant la volonté des citoyens de vivre ensemble et d’assumer un destin commun » 628 .
C’est une optique qui définit le groupe ethnique en prenant en compte, d’une part les aspects objectifs (géographie, histoire, culture, langue territoire), et d’autre part, des aspects subjectifs (vécu et désir de vie en commun).
Abou développe sa conceptualisation de l’identité. Il adopte une démarche interdisciplinaire, et se situe dans le courant ethno-psychologique qui considère l’ethnie comme « le groupe culturel primaire » 629 et qui définit l’identité par les instances suivantes : l’héritage culturel du groupe ethnique, le patrimoine culturel, et enfin, les traits culturels communs à un ensemble supranational. D’où l’ethnie apparaît comme le noyau, la racine ou la ‘’formation primaire ‘’d’une identité collective a des dimensions‘’suprastructurelles’’, dont les éléments différenciateurs sont d’ordre ethnique, régional, religieux, national et idéologique, qui renvoient à la notion de la culture, des coutumes et des pratiques domestiques…etc.
L’auteur propose une définition du groupe ethnique inspirée de T. Parsons et de M. Rodinson. Elle est inséparablement objective et subjective. D’après lui, le groupe ethnique est «un groupe dont les membres possèdent, à leurs yeux et aux yeux des autres, une identité distincte enracinée dans la conscience d’une histoire et d’une origine commune. Ce fait de conscience est fondé sur des données objectives telles qu’une langue, une race, ou une religion commune, voire un territoire, des institutions ou des traits culturels communs, quoique certaines de ces données puissent être défaut » 630 .
Concernant l’appartenance au groupe ethnique, Abou la considère comme une « identification à son patrimoine culturel, et constitue le degré minimal ou le noyau de l’identité culturelle globale des membres du groupe par ailleurs insérés dans une communauté nationale déterminé » 631 . Ainsi, pour lui, l’identité ethnique est celle qui compose, réalise et fonde ‘’l’identité culturelle’’, et qui la dépasse puisque cette dernière est une « constellation mobile d’identités particulières » 632 .
Cette définition de l’identité culturelle parait intéressante parce que, d’un côté, elle prend en compte la conscience groupale, vis-à-vis de soi-même et des autres, elle est en cela interactive, et d’un autre côté, la culture dépasse un simple patrimoine qui se réfère au passé, elle est une culture vivante en gestation et en action, sans cesse en modification et en changement, partant se son patrimoine assumé et réinterprété afin de garder son profil particulier.
Or, nous signalons certaines réserves à propos de ce qu’a dit Abou en développant sa théorie à travers l’étude de cas. Dans son analyse du cas particulier qu’est le Liban, l’ethnie devient synonyme de la religion. Ce pays est présenté en tant que nation composée de plusieurs ethnies, dont la règle fondamentale de différenciation est uniquement religieuse. L’identité culturelle se réduisant à des simples identités ethnico-religieuses en confrontation. Nous considérons que l’auteur a opté pour une optique restrictive à cause de sa propre vision de la société libanaise. En exposant d’abord le cas du Canadien français, ou le Canadien comme Québécois ou Acadien, comme exemple de deux allégeances définissent ‘’une identité globale conflictuelle’’, il met en même rang le cas du Liban, pourtant la différence est grande entre la société Canadienne pluriethnique, et celle libanaise qu’on ne peut pas considérée comme telle. Ajoutons que la société libanaise a un caractère Oriental qu’on ne peut pas comparer avec la Canadienne qui est Occidentale, partant du principe que pour faire la comparaison il faut qu’il y ait ‘’un minimum’’ de dénominateurs communs.
D’ailleurs, l’approche adoptée dévoile quelques failles, particulièrement quand Abou écrit que l’identité ethnique peut se limiter à l’une des données objectives et qu’aucune ne lui est indispensable. Pour lui, les trois facteurs fondamentaux sont la race, la religion, la langue. La race parce que «quel que soit son degré d’indétermination, elle renvoie symboliquement à l’origine commune et mobilise à cet effet, au niveau du fantasme, les forces obscures de l’instinct, du sexe et du sang » 633 . La religion, parce que « tout en faisant partie d’un système culturel donné, elle le transcende en l’incluant dans une vision du monde et une échelle des valeurs correspondante » 634 . La langue, parce que « tout en étant un élément entre autre dans la culture elle transcende les autres éléments dans la mesure où elle a le pouvoir de les nommer, de les exprimer et de les véhiculer » 635 .
Avec cette proposition limitative, la définition d’Abou faiblit toute sa pertinence,dans le sens qu’elle légitime des mouvements fanatiques au nom de la race ou de la religion. Ajoutons que la notion de race, n’est pas définie comme objet, il est seulement question de ce à quoi il renvoie. Certes Abou est éveillé des dangers d’une telle définition puisqu’il évoque la mythification de la race, en Allemagne nazie ; néanmoins il défend le juste équilibre quand il a écrit « Il y a un culte de la langue qui est une juste défense des valeurs et de la personnalité culturelle de l’ethnie. Comme c’est le cas de Québec, il y a un loyalisme à la religion, qui a une signification identique comme c’est le cas chez les maronites au Liban » 636 . Dans cette analyse, l’auteur rend l’ethnie l’équivalent de la religion, autrement dit, son synonyme.
Venons-en pour aborder l’approche qui considère la religion un ‘’phénomène traditionnel’’ mais non opposant à la modernité. Est-ce que cette conceptualisation est pertinente ? Quelles sont ses détails ?
Ibid., L’identité culturelle suivie de Cultures et Droits de l’Homme, P : 33.
Ibid., L’identité culturelle, P : 35.
Abou, S., Aspects de l’identité culturelle, in Dialogues, 1982, n° 23 - 24, P : 34.
Ibid., Aspects de l’identité culturelle, P : 32.
Ibid., Aspects de l’identité culturelle, P : 34.
Ibid., L’identité culturelle, P : 33.
Ibid., L’identité culturelle, P : 33.
Ibid., L’identité culturelle, P : 33.
Ibid., L’identité culturelle, P : 33.