III- Les principaux modèles identitaires :

Ces principaux ‘’modèles identitaires’’ sont dégagés en partant du discours idéologique des historiens libanais concernant l’Etat, la Nation.

III.1- Le modèle confessionnel 

Ce modèle est fondé sur l’idéologie confessionnelle qui vise, prioritairement, ‘’l’intérêt et les avantages de la confession’’, afin de maximiser ses privilèges. La loyauté à l’Etat est secondaire, elle n’a aucune importance que dans les moments où elle sert à réaliser les buts de la confession. A ce moment, l’Etat se confond avec la confession qui réclame de créer un Etat, ses frontières sont dessinées selon l’espace géographique qu’occupent ces membres, ou qu’ils souhaitent d’occuper.

Le modèle confessionnel qui s’exprime ‘’clairement’’ tout au long de l’histoire du Liban est le ‘’modèle Maronite’’, et cela grâce à leur proposition de la notion ‘’Le Maronitisme politique’’ qui a été largement adopté dans les ouvrages socio-politiques concernant le Liban. C’est pourquoi ce modèle identitaire est souvent qualifié ‘’d’isolationniste’’.

Ce modèle repose sur l’idée que les maronites seuls, parmi toutes les communautés, sont les vrais héritiers de la légitimité historique du pays depuis l’antiquité, et d’emblée, le seul nationalisme libanais authentique étant le’’ libanisme maronite’’ et la définition de la communauté religieuse maronite par l’ex-Président assassiné Bachir Gemayel comme étant « la communauté fondatrice » 666 , est le meilleur témoignage.

La configuration de l’identité libanaise, dans ce modèle, se construit en faisant recours primordial aux origines phéniciennes -et non arabe -de la libanité, ce qui permet de fonder une certaine représentation sociale qui sert à justifier l’authenticité des Maronites parmi les dix-sept confessions. C’est une ’’représentation-vision’’ de l’entité libanaise préexistante de l’Islam et de l’arabité. Prenons par exemple ce qu’a écrit B. Daw « oh, les fils du Liban, soyez des Libanais et non des Arabe […] le peuple maronite est le peuple Libanais-Phénicien qui s’est installé au Liban, dans sa montagnes, ses vallées et ses côtés depuis des dizaines des milliers d’années avant Jésus-Christ » 667 . Bien plus, Beydoun considère que « la voie est ouverte à la recherche de l’origine du Liban, de la spécificité de sa culture et sa civilisation. Le Liban se dégagerait ainsi de son lien avec l’histoire musulmane, il lui préexisterait et poursuivrait au-delà d’elle sa propre voie […] les Phéniciens, dès la question du Liban, offre l’image recherchée » 668 .

En fait, Beydoun a essayé de retracer comment dans l’historiographie chrétienne, il y a une mutation entre deux consciences : l’une vise de former une communauté confessionnelle close trouvant refuge dans la montagne (Mont-Liban), l’autre qui accepte d’appartenir à l’histoire d’un territoire commun pour toutes les confessions, où la communauté Maronite a des implications remarquables et un rôle éminent, fondateur et défenseur de l’identité libanaise.

De cette mutation des consciences, nous dégageons deux sortes de représentations : une est de nature religieuse, et particulièrement, confessionnelle : représentation Maronite. Pourtant l’autre est de nature temporelle, profane : représentation libaniste.

La source de la dynamique sociale des individus qui adoptent ce modèle identitaire, est le sentiment de la peur d’une dilution possible de la spécificité libanaise dans l’arabité. En d’autre terme, ils ont peur que l’identité ’’ arabe ‘’avale leur identité ’’libanaise’’. A ce propos, nous référons à ce qu’a écrit Abou étant une expression claire qui exprime ce sentiment : « Accepter de se dire arabe, c’est donc, pour le Liban aliéner sa personnalité culturelle et son indépendance politique » 669 .

Signalons que la guerre et ses effets, ont ravivé ce modèle identitaire et l’ont poussé vers un nouveau repli identitaire.

En analysant ce modèle, nous trouvons que ce qui le distingue est l’affirmation de la préexistence de l’Entité libanaise à l’ère de l’Islam, et la préséance de la communauté Maronite dans le libanisme. C’est par la différenciation et la distanciation de tous les pays du Proche- Orient arabe et / ou islamique, que la libanité s’affirme en s’appuyant sur l’Occident.

Ce dernier, est présenté sous deux images : D’abord, comme étant ’’le creuset’’ et ensuite, en tant que la source des ‘’valeurs essentielles’’ 670 communes et fondées principalement sur le christianisme, selon Abou.

D’après ce modèle identitaire, l’Occident a un rôle important car : d’une part, il créé une rupture symbolique avec le monde arabo-musulman, et d’autre part, il joue un rôle en tant que cadre de référence identitaire puisqu’il est considéré comme source des valeurs essentielles. Cette rupture symbolique avec le monde arabe a une fonction d’éloigner ‘’le danger de la dilution’’ et d’assurer, en même temps, une nouvelle source d’identifications nécessaires pour toute construction identitaire.

Bien plus, nous remarquons que la distinction et la discrimination entre l’identité arabe et celle libanaise étaient accompagnées d’une sorte de comparaison sociale en faveur de l’endo-groupe (la théorie de Tajfel). C’est le thème de la supériorité chrétienne confirmée par l’antériorité par rapport à l’Islam. Fait que Beydoun, prend en considération en analysant le discours des historiens Maronites qui ont, d’après lui, essayé de mettre en relief la position supérieure de leur confession, il écrit : « Mais les Maronites se distinguent des autres par l’affirmation de la préséance de leur communauté dans le libanisme. Les maronites sont libanais dès le début de leur installation dans la Montagne et l’essence de leur libanisme réside dans leur tentative de rendre la Montagne indépendante de l’environnement ‘’étranger’’ essentiellement islamique. La position qu’ils occupent d’emblée est ‘’supérieure’’ et ‘’idéale’’ : les Autres ne peuvent y parvenir qu’après une longue évolution historique. Ce qui exige la durée reste nécessairement en deçà de la perfection de l’origine. Le pôle fixe est supérieur à ce qu’il attire et l’origine ancienne surclasse l’histoire vivante » 671 .

Bref, ce modèle identitaire essaye de dessiner des ‘’marqueurs identitaires’’ par l’attribution de certaines qualités, que n’ont pas les autres confessions, à cause de leurEt puisque les autres groupes confessionnels ne sont pas des Chrétiens, et ceux parmi eux qui habitent le Mont-Liban s’installaient après les Maronites, d’autant plus ils sont dépourvus des ‘’valeurs essentielles’’ provenant de l’Occident, donc, ils sont des ‘’étrangers ’’ et ne peuvent pas franchir les frontières du groupe dessinées par ces marqueurs identitaires qui garantissent la particularité de leur identité.

Notes
666.

Abou, S., (1984), Béchir Gémayel ou l’esprit d’un peuple, Paris, Anthropos, P : 273.

667.

Daw, B., (1979), L’Histoire religieuse et politique des Maronites, Tomes V, Beyrouth, Dar AN-NAHAR, PP : 102 -280.

668.

Ibid., Identité confessionnelle et temps social, P : 207.

669.

Ibid., Béchir Gémayel ou l’esprit d’un peuple, P : 313.

670.

Ibid., Béchir Gémayel ou l’esprit d’un peuple, P : 314.

671.

Ibid., Identité confessionnelle et temps social, P : 547.