Si le modèle maronite est le plus marquant dans le modèle identitaire confessionnel, le modèle arabo-musulmanest le plus prégnant dans ce modèle fondé sur deux axes qui sont : la religion et la langue arabe (langue du Coran).
D’après Beydoun, les historiens sunnites adoptant ce modèle identitaire tentent à considérer le Liban comme étant une entité locale ayant, certes, sa particularité et ses propres caractéristiques, mais quand à son appartenance culturelle, elle est surtout arabe. D’après ces historiens, toute écriture historique qui vise, seulement, l’histoire du Mont-Liban sans rendre compte de sa relation avec les pays arabes, est une écriture qui va sûrement tomber dans le trou de l’échec, car ce sont « des gens qui cherchent à fabriquer une histoire pour ce pays. Nous constatons leur échec… car ils ont le souci d’écrire pour le Liban une histoire particulière, coupée de tout, comme si le Liban était, dans notre monde, un terrain à part […] et la marche de l’histoire ne se conforme pas à leurs désirs» 672 .
Pour ces historiens, il s’agit d’une attitude devenue aujourd’hui traditionnelle dans le camp musulman de la ‘’libanité du nom, du territoire et de l’Etat’’ et de l’arabité du contenu socioculturel de l’identité, comme l’écrit Beydoun.
Généralement, pour les historiens musulmans, l’histoire du Liban est inséparable de celle arabo-musulmane de tous les pays du Proche-Orient. Pour eux, l’identité du Liban est une question qui dépasse la singularité territoriale du Mont-Liban (comme c’est le cas dans le modèle confessionnel). C’est est une question qui se rattache aux Etats islamiques successifs dont le dernier est l’Empire Ottoman. De la sorte, que l’histoire du Liban se dissout dans une totalité qui le dépasse, où les Chrétiens et les juifs réjouissent d’un statut reconnu, celui des Dhimmis (les Gens du Livre). Que signifie cette notion ?
D’après l’Islam, les deux concepts : la ‘’communauté’’ et la ‘‘nation’’ ont une importance primordiale. Ils sont fondamentaux puisque l’Islam lui-même « se définit comme une communauté-nation (oumma). Cette notion (oumma), est de première importance. Elle désigne l’ensemble du monde arabo-musulman qui groupe des croyants parlants différentes langues, provenant de tous les horizons, connaissant de multiples cultures » 673 . Le terme oumma, désigne au début la communauté fondée par Mohamed, mais quand cette communauté grandit, elle désigne alors, ceux qui pratiquent les deux grandes religions monothéistes : les Juifs et les Chrétiens : les Gens du Livre. « L’Islam réserve un statut spécial aux Juifs et aux Chrétiens appelés ‘Gens du Livre’ auxquels ont été ajoutés les Sabéens et les Zoroastriens. Les Gens du Livre sont considérés comme dhimmis, c’est-à-dire protégés par l’Islam » 674 .
Ainsi, d’après les historiens musulmans, l’identité libanaise est essentiellement liée aux Etats islamiques. D’emblée, l’histoire du Liban n’est qu’une partie de l’histoire arabo-musulmane de l'ensemble du Proche-Orient, dont les musulmans sont au pouvoir et les Juifs et Chrétiens sont des citoyens qui n’ont pas le droit d’accéder au pouvoir à cause de leur religion.
En fait, le statut Dhimmis est un sujet du controverse entre les musulmans, d’un côté, et les Chrétiens aussi bien que les juifs, d’autre côté, parce qu’il a des représentations socialement très différents. Pour les musulmans, ce statut est un signe de tolérance et d’acceptation de l’Autre Différent. A l’opposé, pour les Chrétiens et les Juifs, ce statut représente une législation injuste. Ils la considèrent une sorte de ‘’discrimination sociale’’ qui les rend comme des citoyens de deuxième degré. C’est pourquoi les Chrétiens au Liban la refusent catégoriquement et la rejettent.
Donc, le modèle identitaire arabo-musulman désire l’appartenance à un Etat islamique dont les lois coraniques inspirent toutes les législations sociales. Ils ont une nostalgie d’un Etat d’âge d’or comme celui de l’époque du prophète. Ils ne désirent pas l’appartenance au Liban, parce que cette appartenance est manquée, et ne fonde pas l’Etat sur une base rigide comme celle de la religion, comme a recommandé le Prophète. Alors, une vision de l’histoire vouée au temps passé, âge d’or perdu qu’il faut reconstruire actuellement, afin de rétablir l’Unité Islamique et retrouver de nouveau le Pouvoir perdu depuis les Ottomans. Alors, les Musulmans ont une conception de l’Etat différent de celle occidentale.
Ajoutons, que le modèle confessionnel qui fait appel à la « libanité », se penche toujours vers l’Occident, qui représente pour la majorité des musulmans ‘’les Croisés’’ qui sont venus pour sauver et défendre les ‘’Chrétiens de l’Orient’’ de la répression musulmane, autrement dit, la menace de l’Unité islamique, la source de la division et de la décadence du monde arabo-musulman. Cette image traduite par les écritures historiques des historiens musulmans. Beydoun, révèle comment dans l’historiographie musulmane, l’Occident est présenté comme étant « la ruse Ultime de l’Occident » 675 .
Or, l’attitude des musulmans libanais a changé depuis 1930, particulièrement, en 1943 la date de l’indépendance, puisque les textes constitutionnels du pays leurs a permis de partager le pouvoir avec les Maronites. Par conséquence, les musulmans devenu de plus en plus désireux d’appartenir à la libanité et de participer davantage au pouvoir. Cependant, le modèle traditionnel de l’islam s’est réanimé avec la guerre en réclamant une participation plus équitable dans le pouvoir, et en s’appuyant sur des alliances externes. Il s’est radicalisé, notamment, dans la communauté chiite qui s’est adossée sur l’Iran. Cette conduite est affirmée par les résultats d’une recherche portée sur l’attitude de la communauté chiite par rapport au pouvoir politique. Les résultats montrent qu’«actuellement, comme chaque fois qu’elle est menacée dans son existence, la communauté chiite, a tourné ses regard vers l’Iran » 676 .
En outre, plusieurs facteurs étaient réunis pour radicaliser les attitudes des individus adoptant ce modèle identitaire, tels que « la perte de légitimité de l’Etat, l’effondrement de l’économie, la division du pays » 677 qui ont été accompagnés par la chute de l’idéologie laïque et nationaliste, qu’elle soit nationaliste arabe ou nationaliste démocratique.
Basé comme le modèle confessionnel sur la religion, le modèle religieux-national n’adopte pas les mêmes mécanismes sociaux. À l’opposé du modèle confessionnel qui adopte les mécanismes de la distanciation sociale et de la différenciation de l’identité ’’libanaise’’ du celle ‘’arabe’’, le modèle arabo-musulman cherche la fusion de l’identité libanaise au bain de l’identité arabe et présente une identification psychosociale avec l’arabité et l’Islam. Ils sont les deux bases fondamentales dans la construction identitaire des individus qui appartiennent à ce modèle identitaire et l’Identité n’a aucun sens hors d’eux.
L’Islam -et non l’Orient - est la source des ‘’valeurs essentielles. Les adoptants de ce modèle ont commencé à désirer ‘’l’identité libanaise’’ à partir de l’indépendance du Liban, puisqu’ils lui ont offert une occasion d’être de nouveau au pouvoir. Mais, leur représentation de l’identité libanaise est différente du celle du modèle confessionnel, parce qu’ils envisagent une identité dont les origines remontent à l’époque du prophète, et non à la Phénicie, et sa limite dépasse les frontières du Mont-Liban. C’est une identité qui renferme dans ses entrailles tous les pays arabes et musulmans.
Comme chez le modèle confessionnel, nous remarquons un mécanisme de distinction sociale accompagné d’une comparaison sociale entre les musulmans et les non-musulmans traduits par l’adoption d’un système social basé sur la discrimination entre les musulmans et les autres (Dhimmis), c’est pourquoi ils n’ont aucune peur de la dilution de leur identité puisqu’ils sont au pouvoir et constituent le modèle identitaire majoritaire.
Donc, la représentation de l’identité arabo-musulmane est celle d’une ‘’identité du pouvoir’’. Un pouvoir qui ne se limite pas à défendre les frontières du Mont-Liban seulement, mais à défendre un Etat Islamique Unique qui récupère tout ce que les Musulmans ont perdu, comme pays, depuis la chute de l’Empire Ottoman. Or, la libanité et l’indépendance du Mont-Liban ne sont qu’un projet divisionniste qui essaie d’ébranler les fondements de l’identité arabo-musulmane, même de la détruire. C’est un projet qui sert les intérêts de l’Occident qui protège les Chrétiens, et qui essaye de profiter de sa relation avec eux pour réaliser ses intérêts politiques et coloniaux. Ces derniers sont en opposition avec ceux de l’Islam.
Bref, c’est un modèle qui tente de dessiner ses marqueurs identitaires en donnant certaines qualités pour ses membres, qui les distinguent des autres membres de toutes les communautés composant la société qui sont, principalement, l’Islam, et l’arabité, la tolérance à l’égard les Dhimmis. Ces marqueurs ne sont pas de nature géographique comme ceux du modèle confessionnel (l’habitat au Mont-Liban), et ne s’intéressent pas à la question de l’authenticité. C’est une identité qui ne considère pas les Arabes en tant ‘’qu’Etrangers’’, mais c’est l’Occident qui est l’Etranger parce qu’il n’est pas musulman et ne parle pas l’arabe et ne partage pas les mêmes pratiques culturelles.
C’est un modèle identitaire qui laisse une place pour l’Etranger. Il ne le refuse pas, certes, mais aussi il ne le reconnaît pas que comme étant ‘’Dhimmis’’ qui accepte d’être traité selon les lois du Coran et chaque inacceptation de cette situation peut susciter des réactions parfois violentes, particulièrement, dans les périodes de crises politiques et socio-économiques dont l’affection religieuse flotte à la surface de la vie sociale pour empêcher toute réaction logique et raviver toutes les attitudes fanatiques, les stéréotypes et les préjugés afin de détruire l’autre qui refuse les lois du Coran et qui ne se soumet pas, et qui peut être une source de menace. Ce qui explique certaines conduites intégristes.
Naqqach, Z., (1970), Lumières sur l’histoire du maronitisme, Beyrouth, Éditions Liban, PP : 10-12.
Weber, E., (1993), L’Islam sunnite traditionnel, Belgique, Brepols, P : 125.
Ibid., L’Islam sunnite traditionnel, P : 125.
Ibid., Identité confessionnelle et temps social, P : 571.
Ibid., Chiites et pouvoir politique au Liban, P : 332.
Ibid., Liban : Etat de discorde, P : 244.