Ce modèle est celui sur lequel s’est fondé l’Etat libanais. Nous avons déjà abordé plus haut ses traits constitutionnels principaux. Ses fondements théoriques et idéologiques sont ceux de la diversité culturelle sur lesquels s’établi ce compromis inter-libanais, voire, inter-confessionnel.
D’après ce modèle identitaire, l’histoire du Liban se fusionne avec une légende dont l’origine de l’Etat s’ancre dans la Phénicie.
La représentation du Liban est celle d’un pays ’’relais’’, un ‘’pont’’, un ‘’trait d’union’’ civilisationnel entre l’Occident et l’Orient. C’est un pays qui « contribue plus qu’aucun autre à faire la liaison aux quatre coins cardinaux, entre des civilisations divergentes. Les races, les croyances, les rites, les langues, les façons de penser, les mœurs s’y affrontent » 678 .
Chiha a expliqué sa conception du trait d’union en s’appuyant sur deux idées : d’une part, l’idée du double horizon maritime et continental du pays, et d’autre part, la diversité ethnique et religieuse de sa population.
Une autre représentation existe du Liban disant qu’il est à la fois un relais côtier commerçant et un refuge montagnard pour les opprimés et les expatriés. « Le Liban […] c’est en même temps un pays refuge et un pays d’émigration […]. En bref, les contrastes les plus accusés, les mentalités les plus diverses, les mœurs les plus disparates, les visages les plus uniformes. Un microcosme » 679 . Alors, la structure sociale libanaise est paradoxale, car elle renferme les coutumes les plus disparates mais elle garde les figures les plus uniformes.
A propos de la’’ nation libanaise’’, c’est une entité composée de plusieurs ‘’minorités confessionnelles associées’’, dont la reconnaissance de toutes les minorités est un principe essentiel de base. Ainsi, «Toutes les minorités doivent y trouver la place et y obtenir leurs droits. C’est la raison d’être de ce pays et son originalité » 680 .
Concernant les bases ‘’spirituelles’’ de cette nation libanaise, elles sont celles de l’ouverture sur l’univers, et le climat de tolérance résultant, d’après l’auteur, du confessionnalisme qui « Malgré beaucoup d’erreurs et d’abus, c’est le confessionnalisme qui a enseigné au Liban la tolérance » 681 . Comment, donc, Chiha définit le confessionnalisme ?
En déterminant la philosophie du confessionnalisme au Liban, l’auteur définit le confessionnalisme en tant que ‘’forme de civilisation’’. D’après lui, il existe au Liban deux civilisations : la civilisation Chrétienne et la civilisation Musulmane. Elles cohabitent dans un esprit de fraternité et de tolérance particulièrement heureux.
Signalons que tout au long de ses écrits, Chiha insiste sur le rôle de la durée et le travail du temps pour que les libanais s’unissent parfaitement, en d’autres terme, pour que les deux civilisations fusionnent. Pour lui, le temps est un facteur primordial pour réaliser la fusion sociale entre toutes les confessions. « Le Liban n’est pas un pays à coups de tête ou à coup d’Etat. C’est un pays que la tradition doit défendre contre la force. Chaque secousse qu’il subit compromet plus ou moins ce que fait pour lui le temps » 682 .
Qu’en est-il du sujet de l’arabité dans ce modèle identitaire ? Etant un modèle de compromis confessionnels et civilisationnels, l’arabité apparaît comme une composante qui se juxtapose à la mosaïque ethnico-culturelle. Elle est présente dans les textes constitutionnels du pays, le pacte national de 1943 : « le Liban a un visage arabe, sa langue est arabe, il fait partie intégrante du monde arabe. Nonobstant son arabité, il ne saurait interrompre les liens de culture et de civilisation qu’il a noués avec l’Occident, du fait que ces liens ont eu justement pour effet de l’amener au progrès dont il jouit » 683 .
Ainsi, le terme consensuel ‘’visage arabe’’ est parfaitement équivoque et ambigu, il a causé beaucoup de polémiques dont une des conséquences est que l’identité nationale du Liban reste à définir… !
En analysant ce modèle, nous trouvons que la religion est présente comme dans les deux modèles précédents. Mais ce qui est nouveau dans ce modèle c’est qu’elle est accompagnée par deux nouvelles notions qui sont la civilisation et l’ethnie.
En fait, ce modèle nous apparaît comme un essai synthétique qui vise à conjuguer les oppositions et les contradictions pour les unir au sein d’une ‘’diversité ethnique’’, considérée comme ‘’diversité religieuse’’. Le point faible de ce modèle, c’est qu’il y a un confus conceptuel a plusieurs niveaux :
-Il mélange l’ethnie et la religion en conformant la diversité religieuse et celle ethnique, tandis qu’effectivement, la définition de la religion est bien distincte de celle de l’ethnie et ces deux concepts n’ont pas la même signification.
-Il n’a pas réussi à trouver une définition bien déterminé de l’identité nationale libanaise. Elle a un ’’visage arabe’’, est une expression non objective et univoque.
-Sa définition de l’identité nationale, au lieu de réunir les libanais, a joué un rôle pour approfondir le fossé entre eux parce qu’elle était une définition ambiguë et équivoque.
- En proposant l’idée de garder les liens avec l’Occident et l’Orient, il propose une double allégeance. Malgré la positivité de cette proposition traduite par la richesse culturelle que récolte le Liban, n’oublions pas que dans le pacte national la condition principale n’était ‘’ni l’occidentalisation, ni l’arabisation’’. Nous considérons que cette double négation n’aboutit pas nécessairement à unifier les Chrétiens et les Musulmans. ‘’Une double négation ne font pas une nation’’. Ainsi, c’est un modèle qui se repose sur un double refus comme étant la source de l’alliance entre les chrétiens et les musulmans. Pourtant leur alliance doit être fondée sur une base de ‘’positivité’’ au lieu de la ‘’négativité’’, voire double négation.
-ce modèle est une source des déviations idéologiques dont le modèle Maronite, que cautionne Abou, est un témoignage. D’après son hypothèse, il déduit que les groupes religieux libanais constituent des ethnies différentes. D’autant plus, il affirme que Liban est un pays pluriethniques et qu’un seul critère que ce soit la langue, la religion ou la race est suffisant pour définir une ethnie. Principe, sûrement, refusé selon la logique de l’objectivité scientifique.
Chiha, M., (1964), Politique intérieure, Beyrouth, Trident, P : 14.
Ibid., Politique intérieure, P : 14.
Ibid., Politique intérieure, P : 44.
Ibid., Politique intérieure, P : 304.
Ibid., Politique intérieure, P : 236.
El-Jisr, B., (1978), Le pacte national libanais, Thèse du Doctorat d’Etat, Paris, Université Paris VII, P : 115.