PARTIE I : La conjecture de Zahavi

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Conclusion de la Partie I

Les multiples études des budgets-temps de transport révèlent, en premier lieu, la complexité de leur analyse. En effet, tant au niveau agrégé qu’au niveau désagrégé, l’étude et la comparaison des budgets-temps de transport est sensible aux biais provenant des divergences de définitions des indicateurs et des données. Toutefois, les résultats de Zahavi et des études suivantes affichent une certaine persistance qui soutient la « conjecture de Zahavi ». La lecture de cette dernière que nous proposons distingue les niveaux d’observation agrégé et désagrégé des budgets-temps de transport et définit les deux hypothèses suivantes : l’hypothèse forte de stabilité des budgets-temps de transport et l’hypothèse faible de leur régularité. Chacune à son niveau soutient une lecture simplifiée, d’une part, de la coproduction (hypothèse forte) et d’autre part, des comportements de mobilité (hypothèse faible).

La stabilité des budgets-temps de transport semble être un outil relativement pertinent d’explication des mécanismes régissant la mobilité individuelle et la formation urbaine et leur interrelation. Au niveau agrégé, l’hypothèse forte de la stabilité fournit une base de compréhension de phénomènes généraux, tels que celui du couplage des croissances économiques et des transports ou celui des mutations urbaines et de l’étalement urbain. En effet, l’hypothèse de stabilité impose une forme particulière de gestion du temps de transport. Le mécanisme fondamental imposé par la stabilité est le réinvestissement systématique des gains de temps de transport. De ce fait, quelle que soit la source des gains de temps, par amélioration du système de transport, par report modal, ou par optimisation des localisations, tout se passe comme si les individus adaptaient leurs choix afin de préserver la stabilité du budget-temps de transport moyen. Face à la hausse généralisée des vitesses de déplacement, la distance parcourue peut être accrue pour un même budget-temps de transport. En conséquence, le couplage des croissances de l’économie et des transports semble inéluctable. De plus, les acteurs urbains ont l’opportunité d’étendre leur zone d’activités, mais aussi d’atteindre des zones de résidence plus éloignées de leur lieu de travail. Dans le long terme, les vitesses accrues permettent de nouvelles stratégies de localisation, qui semblent expliquer les phénomènes d’étalement urbain et de mutation des centres-villes. Toutefois, malgré les gains de vitesse, l’accessibilité ne semble pas être améliorée (Kitamura et al. 2003). En effet, une amélioration de l’accessibilité conduirait à une hausse de la mobilité et du temps passé hors-domicile. Or étant donnée la stabilité des budgets-temps de transport et les faibles variations des nombres de déplacements et des temps hors-domicile, il apparaît que les gains de vitesse ont complètement été compensés par les relocalisations (Levinson et Kumar, 1995).

De notre point de vue, l’importance de la dispersion observée autour des budgets-temps de transport moyens par agglomération ne permet pas de fonder une modélisation des comportements de mobilité sur l’hypothèse forte de stabilité. Mais, cette dernière soutient l’hypothèse d’une certaine forme de rationalité des choix de temps de transport et l’existence de certaines régularités des budgets-temps de transport. L’ensemble des analyses montre les multiples sources de variances des budgets-temps de transport. Malgré la multiplicité des résultats de ces études, un grand nombre de relations entre les budgets-temps de transport et certaines variables paraissent robustes. Elles mettent en évidence des mécanismes régulateurs qui expliquent l’apparente stabilité du budget-temps moyen par un certain nombre de jeux de compensations. Ainsi, les acteurs urbains peuvent réduire leur temps de transport en agissant sur plusieurs leviers, tels que les caractéristiques de leur déplacement (horaires, fréquences, mode de transport, etc.), leurs programmes d’activités, ou encore leur stratégie de localisation.

Cependant, pour dépasser la valeur de conjecture et tendre vers une preuve de la stabilité ou de la régularité des budgets-temps de transport, les difficultés des comparaisons et des analyses internationales doivent être dépassées. La constitution d’une base de données internationale utilisant les mêmes méthodologies et définitions pour toutes les villes et périodes observées est une condition nécessaire à l’étude de la stabilité des budgets-temps de transport. En ce sens, les objectifs de Kenworthy et Laube, visant à renseigner la mobilité d’un panel d’agglomérations du monde constituent certainement un outil de choix pour étudier la conjecture de Zahavi. Le chapitre 3 analyse la première date d’observation de ce panel d’agglomérations pour l’année 1995.