Conclusion de la Partie III

Cette application des modèles de durées à la gestion des temps de transport individuels révèle deux types de résultats. Tout d’abord, les estimations mettent en évidence les effets des attributs socio-économiques des individus et des ménages, ainsi que ceux des durées d’activités et des choix modaux. Ces effets sont à rapprocher des résultats des autres analyses des temps de transport et des autres activités. Par exemple, les effets du genre, du nombre d’enfants et de la taille du ménage renvoient à la question du partage des responsabilités entre les membres d’un ménage. Les effets des jours de déplacement indiquent un cycle hebdomadaire dans les durées de déplacement, très certainement lié aux programmes d’activités. L’effet des localisations résidentielles rappelle les multiples dimensions intervenant dans le choix de localisation. Il devient alors difficile de distinguer l’impact des localisations qui mêle à la fois, l’effet de la position dans le système de transport (conditions de déplacement subies) et les choix de long terme de mode de vie, qui articulent la mobilité et les programmes d’activités souhaités dans le choix de localisation. L’impact des durées d’activités confirme les observations des études selon lesquelles le temps de transport est influencé positivement par les durées des activités discrétionnaires, alors que le temps de travail a un faible impact. L’accompagnement se révèle, en revanche, particulièrement influant sur la durée quotidienne de déplacement. Enfin, l’impact des modes de transport provient très certainement de l’endogénéité des durées de déplacement par rapport aux choix modaux.

Par ailleurs, la distribution des budgets-temps de transport est caractérisée par un hasard non-monotone. Cette dynamique temporelle peut être le caractère naturel de la gestion des temps de transport. Toutefois, il paraît opposé à l’idée selon laquelle les valeurs du temps sont croissantes avec les durées de déplacement. Le plus vraisemblable est certainement que les deux phases du hasard proviennent de la juxtaposition de deux types d’individus qui restent à identifier. Le premier type d’individus est caractérisé par une probabilité d’interruption croissante à un rythme accéléré. Le second type a une probabilité d’interruption croissante mais à un rythme se ralentissant.

Ces dynamiques temporelles semblent indiquer des gestions des temps de transport différentes. Des représentations différentes des comportements de ces deux groupes d’individus peuvent être proposées. Le premier groupe d’individus, dont le hasard est croissant, semble pouvoir être représenté par la classique maximisation d’utilité du transport, dont le programme dual est la minimisation du temps de transport sous les contraintes. Le second groupe se compose d’individus dont la probabilité conditionnelle d’interrompre leur budget-temps de transport est décroissante au-delà de 90 min. La réalisation de leur comportement d’allocation de temps au transport ne semble pas leur permettre d’aboutir à un budget-temps de transport faible. En définitive au-delà de 90 min, les individus restant pourraient être de deux types : les uns caractérisés par des situations particulières qui ne leur permettent pas d’atteindre la réduction de leur budget-temps de transport ; les autres ne souhaitant pas réduire leur budget-temps de transport. En conséquence, l’objectif de minimisation des temps de transport pour cette population peut être remise en question.

La distinction de ces deux types de dynamiques temporelles est alors à rechercher dans les attributs des individus et de leurs situations, ou dans leurs préférences et les contraintes sur leur mobilité. Parmi ces budgets-temps de transport élevés, une part peut bien sûr s’expliquer par les erreurs de mesure ou de codage. Mais pour les 25% d’individus de l’échantillon concernés, ces budget-temps de transport peuvent être des réalisations de mobilités exceptionnelles, mais aussi régulières. Tout d’abord, des situations exceptionnelles pourraient expliquer une part de ces budgets-temps de transport. En effet, les conditions de circulation particulièrement difficiles, un problème d’accès aux modes de transport ou encore un programme d’activités exceptionnel le jour des déplacements peuvent produire de tels niveaux exceptionnels de budget-temps de transport. Ensuite, une part de ces observations provient très probablement de mobilités régulières pouvant être celles soit d’individus très actifs et choisissant un budget-temps de transport élevé afin de satisfaire les besoins de leur programme d’activités, soit celles d’individus fortement contraints.

Ces interprétations des résultats admettent naturellement un certain nombre de limites dues à la structure et aux hypothèses du modèle. Plus particulièrement, le hasard de référence résultant du modèle paramétrique log-logistique peut être remis en question. D’une part, l’approche paramétrique nécessite d’imposer une forme de distribution pour les fonctions de hasard et de survie de référence. Cependant, Meyer (1990) a montré que lorsque la forme paramétrique supposée est incorrecte, l’estimation de la fonction de hasard l’est aussi. D’autre part, dans notre modèle, les individus sont supposés homogènes dans leur gestion du temps consacré à la mobilité. L’omission de différences entre individus ou l’hétérogénéité inobservée peut biaiser les estimateurs des paramètres (Heckman et Singer, 1984). Pour résoudre ce problème l’hétérogénéité inobservée peut être incorporée dans la fonction de hasard en ajoutant un terme d’erreur individuel spécifique dont nous devons supposer une distribution a priori. La méthode la plus courante est l’introduction d’un terme d’hétérogénéité, , dont la distribution est spécifiée comme une distribution gamma généralisée, g( ). Ainsi, la fonction de densité des durées peut s’exprimer en fonction de la densité conditionnelle des durées et de la densité de l’hétéréogénéité :

Ainsi, la source principale d’hétérogénéité est prise en compte. L’hétérogénéité restante, étant aléatoire, ne causera pas de biais important dans nos estimations.

Toutefois, Bhat (1996a) a montré que la prise en compte de l’hétérogénéité inobservée par cette méthode paramétrique ne permet pas de corriger le biais résultant d’une erreur de spécification de la distribution de référence. En conséquence, un modèle non-paramétrique et une introduction non-paramétrique de l’hétérogénéité inobservée seraient les plus efficaces pour l’estimation simultanée de la dynamique temporelle et des coefficients associés aux covariables.

L’estimation préalable de notre modèle par les méthodes non-paramétrique et semi-paramétrique est réalisée afin d’acquérir le plus d’information possible sur les effets des covariables et les propriétés de la forme du hasard. Nous espérons ainsi réduire les risques d’une mauvaise spécification de la distribution de référence.

Par ailleurs, la méthode appliquée est une modélisation continue du temps, qui évite les problèmes liés à la définition d’intervalles discrets de temps. Il en résulte l’hypothèse implicite que les budgets-temps de transport quotidiens sont déterminés par un processus continu. Cette hypothèse paraît raisonnable dans l’objectif de l’analyse de l’allocation quotidienne de budgets-temps aux activités. Mais l’analyse plus fine des programmes d’activités nécessite la prise en compte des multiples séquences composant les emplois du temps. Dans cet objectif, un modèle à risques concurrents peut être développé. Dans un modèle de ce type les probabilités de transition d’une activité à une autre sont estimées, ainsi que les durées de chaque épisode d’activité. Popkowski Leszczys et Timmermans (2002) ont montré la pertinence de ces modèles pour ce type d’analyses. De plus, ces modèles peuvent tenir compte des dépendances des probabilités conditionnelles de transition par rapport aux états d’origine et de destination et ainsi représenter des processus décisionnels discrets-continus de choix et de durée de participation par une méthode particulièrement flexible. Dans ce cadre, chaque probabilité conditionnelle d’interruption d’une activité peut être dépendante du type des activités précédente et suivante.