1.2.2. La notion de domaine remise en question

La diversité des points de vue, constatée aussi par Condamines & Rebeyrolles (1997), est un des éléments qui remet en cause la stabilité conceptuelle qui caractériserait a priori le domaine. En effet, selon Bourigault & Slodzian (1999 : 30-31) :

‘Etant donné un domaine d’activités, il n’y a pas une 52 terminologie, qui représenterait le savoir sur un domaine, mais autant de ressources termino-ontologiques que d’applications dans lesquelles ces ressources sont utilisées. Ces terminologies diffèrent quant aux unités retenues et à leur description selon l’application visée [...] On est loin de la conception idéalisée du domaine comme fragment de connaissances bien structurées, permanentes et clairement circonscrites.’

D’autres constats liés à celui-ci, comme celui de la perméabilité des frontières entre domaines, ou « l’interpénétration entre domaines » comme préfère la dénommer Bessé (2000 : 18), amènent certains, comme Gaudin (2003a : 51), à penser que la notion de domaine, « métaphore jadis séduisante », est « aujourd’hui gênante, [car elle] appelle une conception procédant de territoires délimités et exclusifs les uns des autres », alors que « les domaines [...] sont en porte à faux avec la réalité du travail scientifique et des pratiques langagières qui l’accompagnent ». Ce dernier auteur, en tant que socioterminologue et analyste du discours, émet une autre critique, d’ordre plutôt discursive :

‘la notion de domaine propose à l’analyste un découpage qui n’est pertinent ni pour isoler des catégories de locuteurs, qui se caractériseront par le partage de catégories, par l’utilisation de marques de reconnaissance, ni pour sérier des textes qui formeraient des genres, ou présenteraient des conditions de production et de circulation comparables, etc.’

Il conclut ainsi qu’en parlant de domaines, « on ramasse trop large tout en séparant trop strictement des secteurs qui communiquent entre eux » (ibid. : 52).

Il faut donc reconnaître, avec ces auteurs, que la notion de domaine n’est ni entièrement satisfaisante, ni toujours opératoire, dans la mesure où il ne s’agit que d’un pur artefact. Cependant, comme le souligne Delavigne (2001 : 169), « il ne faudrait pas sous-estimer la valeur heuristique de la notion de domaine : on ne peut nier son utilité ». Les domaines proposent tout de même des découpages bien commodes, ne serait-ce qu’au moment de la constitution du corpus réclamé par les tenants de la terminologie textuelle. Il nous semble donc, comme à Delavigne (ibid.), que la notion de domaine ne doit pas être complètement écartée mais qu’elle n’est valide « que tant qu’on l’adapte à la réalité des faits ». Nous retiendrons par conséquent les idées de domaines de connaissance, et de domaine propre et domaine d’application exposées plus haut, et considérons que, plutôt que d’envisager le domaine comme étant hermétiquement clos, il est plus profitable de le décrire comme un carrefour, comme le fait Delavigne (ibid.) :

‘Pour être opératoire, la notion de domaine doit aujourd’hui se penser à la fois dans son hétérogénéité externe (multiplicité des disciplines qui traverse[nt] un domaine donné) et dans son hétérogénéité interne (multiplicité des points de vue au sein dudit domaine).’

Jusqu’à maintenant, nous avons tâché d’éclaircir quelles problématiques étaient en jeu dans le libellé de notre sujet en définissant ce qu’était un terme, et ce qu’était un domaine de spécialité. Tournons-nous à présent vers un autre terme-clé qui figure dans l’intitulé de notre thèse : celui de dictionnaire général.

Notes
52.

Souligné par nos soins.