1.3.1.5. Public

Les fonctions que remplit le dictionnaire général peuvent varier en fonction du profil des utilisateurs. Pourtant, la catégorie d’usager à laquelle s’adresse le dictionnaire général est souvent définie de manière assez floue. Ainsi, il semblerait que le dictionnaire général soit conçu pour le grand public, « cette classe innombrable de lecteurs qui s’appelle tout le monde », comme l’appelait Pierre Larousse dans la préface du Grand Dictionnaire universel (publié entre 1866 et 1878) 65 . C’est aussi ce que semblent vouloir dire les auteurs du Trésor de la langue française lorsqu’ils parlent du « public non spécialisé auquel s’adressent les dictionnaires généraux 66  », ainsi que les auteurs du Oxford Reference Dictionary lorsqu’ils évoquent “the non-specialist reader” (Hawkins & Le Roux : vii). Cabré (1998 : 69), quant à elle, parle de « locuteur cultivé moyen » 67 .

Ce public est en tout cas généralement adulte ; c’est du moins l’avis de Béjoint (2000 : 41) :

‘the wordlist must be reasonably extensive for the dictionary to qualify as general: it must be useful to the average adult. Children’s dictionaries are not general-purpose dictionaries.’

Il est également « normalement » constitué de locuteurs natifs, comme l’explique Svensén (1993 : 20).

Cependant, la réalité que recouvre cette notion de « Monsieur Tout-le-Monde » est loin d’être uniforme et, de plus en plus, on identifie des catégories d’usagers distinctes les unes des autres, comme le sous-tend la citation de Hartmann & James mentionnée plus haut (“many diverse needs of different user groups”) et cela a pour conséquence que les dictionnaires généraux tendent de plus en plus à être faits « à la carte ».

Ainsi, il existe à présent bon nombre de dictionnaires unilingues destinés non aux locuteurs natifs, mais aux apprenants, et cela surtout en anglais (Oxford Advanced Learners’s Dictionary, Collins-Cobuild, Longman, etc.), comme le souligne Pearson (1998 : 68).

En ce qui concerne les dictionnaires bilingues, il est bien évident aussi que les besoins des utilisateurs varient selon qu’ils utilisent le dictionnaire pour traduire dans le sens de la version (de la langue étrangère vers la langue maternelle) ou dans le sens du thème (de la langue maternelle vers la langue étrangère), ou selon qu’ils satisfont des besoins de décodage (compréhension d’un texte en langue étrangère) ou d’encodage (rédaction d’un texte en langue étrangère).

Enfin, que ce soit pour les dictionnaires unilingues comme pour les dictionnaires bilingues, on essaye de faire à présent des dictionnaires correspondant au niveau de connaissances acquis par l’utilisateur : il existe ainsi des dictionnaires pour débutants, des dictionnaires pour étudiants avancés, des dictionnaires pour professionnels, et la nomenclature de ces dictionnaires varie en conséquence.

Cette question de la diversification ou de l’atomisation du public auquel s’adresse le dictionnaire général est centrale et nous y reviendrons plus tard de manière plus approfondie (cf. chapitre trois).

Notes
65.

Cette vision est toujours présente dans les dictionnaires de la maison Larousse. Ainsi, dans la préface du Petit Larousse illustré de 1971, les auteurs indiquaient que ce dictionnaire s’adresse « à tous, sans discrimination d’âge et de milieu ». Les éditions de 1991 et de 1996 précisent que celui-ci « s’adresse au plus large public ». Enfin, les auteurs de l’édition de 2001 stipulent qu’ils veulent « être utile[s] à la famille ».

66.

Précisons que les auteurs ne parlent pas ici nécessairement du public auquel s’adresse le Trésor de la langue française.

67.

Nous reviendrons plus loin sur les notions de grand public, de public cultivé, etc. dans la partie traitant de l’honnête homme (2.1.2.4.2).