1.4. Place et rôle des terminologies dans les dictionnaires généraux

Nous empruntons originellement la dualité « place et rôle », qui se retrouve dans le titre de cette thèse, à l’article de Thoiron (1998) intitulé « Place et rôle de la terminologie dans les dictionnaires bilingues non-spécialisés ». La notion de place se trouvait déjà chez Vidos en 1961 (« La Place du vocabulaire technique dans le thésaurus de la langue française 69  ») ; elle est présente aussi chez Cottez (1994) (« La Place des termes techniques et scientifiques dans un dictionnaire de langue »), chez Lerat (1995 : 163) (« La Place des mots spécialisés dans le dictionnaire général unilingue »), chez Bigras & Simard (1997 : 98) (« Place des termes médicaux dans le Petit Robert ») et chez Boulanger (1989), qui étudie plus précisément « La Place du syntagme [terminologique] dans le dictionnaire de langue ». Cependant, lorsque ce dernier examine les « éléments de formation technolectaux [morphèmes savants liés] dans les dictionnaires généraux monolingues » (Boulanger (1995)), il en analyse simultanément la place (p 91-98) et le rôle (p 99-101). Si nous insistons ainsi sur la filiation de notre travail, c’est parce que la thématique « place et rôle » semble centrale lorsque l’on parle de terminologies et de dictionnaires généraux.

Selon le sens que l’on prête au mot place se dégagent diverses pistes de réflexion, qui s’articulent essentiellement autour des trois questions suivantes (classées par ordre d’évidence) :

(1) les termes sont-ils à leur place dans les dictionnaires généraux ?

(2) quelle place occupent les termes dans les dictionnaires généraux ?

(3) les termes tiennent-ils leur place dans les dictionnaires généraux ? Autrement dit, les termes remplissent-ils convenablement leur rôle dans les dictionnaires ?

(1) La première question peut-être interprétée de deux manières. Si l’on s’en tient au sens figuré (« être adapté à son milieu », « être de circonstance »), la question peut s’entendre ainsi :

(1a) la présence de termes dans les dictionnaires généraux est-elle légitime ?

En effet, le libellé de notre sujet peut paraître foncièrement antinomique, si l’on suit Jessen (1996 : 1) :

The concept of terminology and that of general dictionaries appear at first sight to be mutually exclusive. Terminology is normally seen as the object of specialized dictionaries, while the so-called ‘general language’ is considered the focus of ‘general dictionaries’.

C’est d’ailleurs là la distinction à laquelle nous avons fait allusion plus tôt pour la définition de « dictionnaire général ». Cependant, malgré cette contradiction sous-jacente, force est de constater :

‘Si l’on s’intéresse aux outils monolingues, il ne se trouve pas de dictionnaire de taille respectable qui n’intègre une proportion importante [...] de termes scientifiques ou techniques. Si l’on s’intéresse aux outils multilingues, on constate un phénomène identique, bien qu’il faille faire intervenir quelques nuances liées à la nature de ces outils.’ ‘Personne ne met en doute la nécessité de la présence des technolectes dans les dictionnaires à l’usage de tous. (Boulanger & L’Homme (1991 : 26)) ’ ‘Les lexicographes doivent absolument importer des unités de langue de spécialité (LSP) dans les dictionnaires de langue et en entreprendre la description au même titre que les mots usuels. (Boulanger (2001 : 247))’ ‘Ainsi donc personne ne met en doute, tel est le sens de la prise de position ferme de Walczak, la citation antérieure, que la terminologie doive faire partie du corps d’un dictionnaire général. (Cabré (1994 : 590))’

Si l’on considère donc que les termes sont « à leur place » dans un dictionnaire de langue générale malgré le fait qu’ils n’appartiennent pas à la langue générale, c’est donc, selon le sens que donne le Nouveau Petit Robert à l’expression être à sa place (« être fait pour la fonction qu'on occupe »), qu’on leur trouve une (ou plusieurs) autre(s) raison(s) d’être, un ou plusieurs rôle(s), qu’il reste à définir précisément (1b).

La première question peut aussi être comprise dans un sens plus concret et plus précis : selon la conception classique, un terme n’est terme que « que dans la mesure où [il] se situe dans la structure d’un domaine de spécialité » (Cabré (1998 : 194)) ; autrement dit, un terme a toujours une place bien délimitée dans un domaine (Béjoint (1988 : 359), parlant des “highly specialized scientific and technical words” : “they occupy an important place in a specialized taxonomy”) : ce fait est-il reflété dans les dictionnaires généraux ? (1c) Le terme est-il bien à sa place, est-il bien replacé dans la conceptologie du domaine dans le dictionnaire général ?

La deuxième question (« Quelle place occupent les termes dans les dictionnaires généraux ? ») peut se comprendre de quatre façons différentes.

La troisième question (« Les termes tiennent-ils leur place dans les dictionnaires généraux ? », autrement dit, les termes « remplissent-ils les obligations de leurs fonctions » ?) doit s’envisager par rapport à la première question où l’on établit quel(s) rôle(s) les termes jouent dans les dictionnaires généraux. Il s’agit de voir dans quelle mesure le traitement des termes dans les dictionnaires généraux est satisfaisant, et cela, du point de vue de l’utilisateur particulier que constitue le métalexicographe.

Notes
69.

Il s’agit d’une réflexion préalable à l’élaboration de la nomenclature du Trésor de la langue française.

70.

Il explique ensuite ce fait plus en détail (ibid. : 361) : “Often, the important words are somewhere in the middle of their taxonomy, or near the ‘bottom lines’: for example, the important word in the taxonomy of ‘duck-like birds’ is duck, not Anatidae (hyperonym) or shoveler (hyponym); for ‘dogs’, it is dog, not Canis or poodle [...]. As a consequence, lexicographers have to record in the same nomenclatures words that occupy various places in their respective taxonomies.”

71.

Selon ces auteurs, la partie intitulée « front matter » comprend les éléments suivants : « title page, contents, preface, contributors, user guide, abbreviations, dictionary grammar ».