5. Quelques précisions sur le domaine étudié

5.1. Choix du domaine d’application

Comme nous l’avons indiqué dans la section précédente, nous essayons partiellement d’atteindre nos objectifs en faisant l’étude d’un domaine en particulier. Nous avons fait le choix du domaine de la volcanologie pour quatre raisons principales.

(i) Tout d’abord, il s’agit d’un domaine pour lequel nous éprouvons, depuis longtemps, un vif intérêt personnel et dont nous possédons par conséquent quelques notions de base.

(ii) Ensuite, il s’agit d’un très bon exemple de domaine vulgarisé, qui intéresse le grand public, comme l’illustre cette citation du volcanologue Jacques-Marie Bardintzeff (tirée de son ouvrage Vocation volcanologue 76  :

‘La volcanologie constitue un sujet privilégié [de diffusion des connaissances auprès du grand public] par son côté spectaculaire, régulièrement d'actualité et ses interactions avec les populations.’

Les volcans exercent, depuis toujours, une véritable fascination sur les hommes. En témoigne la place qu’ils ont occupée pendant longtemps (et qu’ils occupent toujours dans certaines contrées) dans l’imaginaire des hommes à travers la mythologie qui s’est construite autour d’eux, laquelle a en partie laissé son empreinte dans la langue : il suffit de penser à l’étymologie du mot volcan lui-même, qui vient (d’après le Nouveau Petit Robert 2001) de Vulcanus, le dieu Vulcain, qui forgeait les armes des dieux dans les entrailles de ces montagnes de feu 77 , ou encore de penser aux termes larmes de Pélé ou cheveux de Pélé, traces de la terrifiante déesse Pélé, qui règne dans le Pacifique, dans l’archipel de Hawaï 78 .

En témoigne aussi, à un autre niveau, la tenue régulière de nombreuses expositions à l’attention du grand public dédiées aux volcans : citons entre autres l’exposition « Des volcans et des hommes » organisée par le Sénat du 5 novembre 2001 au 28 février 2002 et affichée sur les grilles du jardin du Luxembourg à Paris, ou encore celle sur les « Volcans meurtriers » présentée au Muséum d’Histoire Naturelle à Paris en 2002 pour le centenaire de l’éruption de la Montagne Pelée ; plus récemment encore, la tenue à Paris d’un impressionnant « festival » de plusieurs jours, fait de conférences, de débats, et de cafés scientifiques destinés au grand public (« Volcans 2003 », du 8 au 16 mars 2003, et sa récidive avec « Volcans 2005 » en octobre 2005) est aussi fort significative, tout autant que la diffusion régulière à la télévision de documentaires sur la question. L’ouverture en 2002 (après moult péripéties et malgré moult critiques) de Vulcania, centre européen du volcanisme, en Auvergne est fortement emblématique de l’intérêt toujours renouvelé que suscite la volcanologie auprès du grand public.

Signalons en tout dernier lieu l’existence d’un grand réseau associatif, LAVE (L’Association Volcanologique Européenne), qui regroupe à la fois des spécialistes et des non-initiés, et dont un des buts est la diffusion scientifique auprès du grand public 79 .

La popularité de la volcanologie n’est toutefois pas confinée à la France et à l’Europe, comme en témoigne le succès récent (129 000 visiteurs pendant l’été 2005) de l’exposition « Pompéï » au Musée canadien des Civilisations à Hull (Québec). Si ce domaine est aussi populaire, en France du moins, c’est grâce à quelques grandes figures de vulgarisateurs, personnages eux-mêmes quasiment mythiques. Haroun Tazieff fut le pionnier : à travers ses récits d’exploration (Cratères en feu, 1951, fut le premier) et ses films (le plus connu étant sans doute Les Rendez-vous du diable), sans compter ses interventions médiatiques, il fit découvrir à toute une génération ce qu’était la volcanologie. Maurice et Katia Krafft lui succédèrent : pendant plus de vingt ans, grâce à leurs films, diffusés principalement dans le cadre des cycles de conférences Connaissance du monde (Les Plus Beaux Volcans du monde, L’Homme face au volcan notamment), leurs livres de vulgarisation (une vingtaine), leurs publications dans des magazines et leurs apparitions télévisées, ces « diables de volcans », comme les surnommaient leurs confrères américains, surent communiquer leur passion à de nombreuses générations, et même déclencher certaines vocations. Aujourd’hui, ce sont essentiellement les volcanologues Jacques-Marie Bardintzeff (auteur notamment de Vocation volcanologue et de l’ABCdaire des volcans) et Jacques Durieux (auteur de l’ouvrage Des volcans et des hommes, faisant suite à l’exposition du même nom citée plus haut) qui tiennent le devant de la scène en France. Toutefois, comme l’explique Ancellin (2000 : 51), « aujourd’hui, la volcanologie n’est plus incarnée par des individus. Les équipes pluridisciplinaires ont pris le relais ». Il affirme également que ce sont les Français et les Anglo-Saxons qui dominent la discipline, ce qui justifie d’autant ce choix de domaine dans une optique contrastive anglais / français.

Un domaine aussi populaire a donc droit de cité dans les dictionnaires généraux, qui reflètent la culture de la société qui les produit 80 . Les faits parlent d’eux-mêmes : outre le fait que Jacques-Marie Bardintzeff est désormais conseiller scientifique du Petit Larousse, dans la « spirale » ou le « jaillissement dans l’angle supérieur » 81 qui caractérise la couverture du Petit Larousse 2003 figure un volcan en éruption ; or, selon Pierre Larousse lui-même, on peut considérer la couverture comme « une page et une seule pour en annoncer 2 000 autres, qui tiendront la promesse de la couverture… ». Vaste programme… Enfin, il est sans doute hautement symbolique que l’exemple que donne le Nouveau Petit Robert 2001 pour illustrer le sens « personnage marquant qui sert de référence à d’autres » du mot institution soit le suivant : « En volcanologie, Haroun Tazieff est une véritable institution ».

(iii) Le domaine de la volcanologie a également été choisi parce qu’il s’agit là d’un domaine de spécialité qui permet une étude sur plusieurs années, sans que les résultats ne deviennent totalement caducs, à la différence d’autres domaines plus à la pointe du progrès, tels que l’informatique et la terminologie d’Internet, ou encore la biotechnologie. Le constat d’une différence d’évolution selon le domaine a en tout cas été fait à travers les études de néologismes réalisées par Khaled Alaoui pour le compte de Larousse, et présentées lors de la « Journée des Dictionnaires » du 17 mars 2004 à Cergy-Pontoise 82 . Utilisant un corpus d’une vingtaine de titres de presse 83 , celui-ci a relevé un certain nombre de néologismes (morphologiques, sémantiques ou morpho-sémantiques), qu’il a triés selon trente-trois thèmes généraux ou domaines, parmi lesquels figure la géologie (à laquelle se rattache la volcanologie). Il a ensuite réparti les domaines entre quatre groupes suivant le nombre de néologismes qui s’y rapportaient : domaine très productif, productif, peu productif ou très peu productif. Alors que des domaines tels que « informatique (internet), société, économie, santé » figurent parmi les domaines très productifs, la géologie figure parmi les domaines très peu productifs avec un seul néologisme. Il semblerait donc qu’il y ait peu d’innovation lexicale dans ce domaine, en comparaison avec d’autres domaines. Toutefois, la volcanologie est un sous-domaine de la géologie qui a subi beaucoup de changements dans les dernières décennies. Cette évolution s’est naturellement accompagnée de quelques réajustements sémantiques, ce qui nous amène maintenant à détailler la dernière raison qui nous a fait choisir la volcanologie comme sujet d’étude.

(iv) La quatrième et dernière raison qui nous a amenée à nous pencher sur le domaine de la volcanologie est que, outre le fait qu’à notre connaissance sa terminologie n’a pas été étudiée de manière systématique (et cela encore moins dans une perspective bilingue), celle-ci ne semble ni très bien maîtrisée, ni très bien traitée dans les ouvrages de référence existants. Ce sont du moins ces deux constats qui ont amené le volcanologue Alain de Göer à rédiger en 1985 son Lexique du volcanisme, comme le montrent les deux citations suivantes, extraites de l’« Avertissement » de ce lexique :

‘En raison de l’attrait qu’elle exerce sur un public non averti, la Volcanologie est une des branches des Sciences de la Terre où l’on a le plus coutume d’utiliser des mots à contresens, dans des acceptions trop larges, ou trop étroites, ou totalement inadéquates.[...]
De propos délibéré, nous avons exclu de ce lexique tous les termes, même assez spécialisés, définis de façon satisfaisante dans les dictionnaires usuels, de type Petit Larousse (ex. : geyser ou péridot). Par contre, nous avons repris de nombreux termes, mêmes courants (tels que cône, cratère, coulée), dont nous estimions que le contenu devait être complété, ou la définition rectifiée, restreinte ou au contraire élargie. Et nous n’avons pas hésité à proposer nombre de termes techniques spécialisés, souvent d’origine étrangère, qui n’ont jamais réussi à pénétrer dans les dictionnaires ou les manuels scolaires, bien que leur utilisation scientifique soit souvent déjà ancienne et leur emploi indispensable à l’explication de phénomènes. Enfin, nous avons attiré l’attention sur l’usage trop restrictif souvent fait de termes de terroir (comme Puy…) qui n’ont pas de contenu géologique précis. (Avertissement, p. 1)
Notes
76.

Citation tirée de notre corpus comparable.

77.

Les éruptions volcaniques correspondaient alors aux « colères » de Vulcain / Héphaïstos dans ses forges naturelles lorsqu’il découvrait les infidélités d’Aphrodite / Vénus. En effet, « toute éruption volcanique ne peut être que la preuve de la colère des dieux courroucés par les actions humaines » (Krafft & Krafft (1979 : 4)). Le mot colère n’est pas anodin, nous y reviendrons plus loin (cf. chapitre cinq, point 3.3.1.1.3).

78.

Cette légende est encore tenace, puisque certains ont vu, dans le décès des volcanologues Maurice et Katia Krafft sur le mont Unzen au Japon en 1991, la main de la déesse vengeresse qui punit tous ceux qui s’emparent de projections volcaniques sur l’île d’Hawaï (information lue au centre de volcanisme Vulcania en 2002).

79.

http://www.lave-volcans.com/intro.html (adresse du site web au 1er octobre 2005).

80.

Sur ce sujet, voir en particulier Dubois & Dubois (1971 : 99-100).

81.

Expression utilisée par la maison Larousse pour décrire la couverture du Petit Larousse 2003 lors de l’exposition de 2003 au Palais de la Découverte fêtant les 150 ans de la maison Larousse. Il s’agit sans doute d’une métaphore correspondant au jaillissement des connaissances.

82.

Dans une communication intitulée « La Veille terminologique chez Larousse ». Les actes correspondant à cette journée ne sont pas encore parus à l’heure où nous écrivons.

83.

Ce corpus comprenait notamment les quatre grands journaux suivants : Le Figaro, Le Monde, Libération, Le Journal du dimanche, ainsi que, pour les mots scientifiques et techniques, les compléments économiques, télévisuels, scientifiques, etc., du Figaro et du Monde.