5.2.2.1. Cultes, mythes et légendes : le Feu de la Terre

‘La fascination pour le Feu de la Terre se perd dans la nuit des temps. Les australopithèques errant il y a trois millions d’années dans la Grande Faille d’Afrique de l’Est, ponctuée de volcans, ont probablement été les premiers hominidés à observer et à être les victimes d’embrasements terrestres. Peut-être même ont-ils profité de la fusion d’une coulée de lave pour se procurer le Feu…’

C’est en ces termes que débute « l’histoire de la volcanologie » écrite par le volcanologue Maurice Krafft en 1992 (Krafft (1992 : 1)). Tous les volcanologues ayant décidé de retracer l’histoire de cette discipline, dans une optique épistémologique, s’accordent à dire que l’attrait pour les volcans est très ancien, puisque les premiers écrits relatant des éruptions volcaniques remontent à deux millénaires, tandis que la première description picturale d’une éruption a 8 000 ans : il s’agit d’une « peinture murale d’un volcan en éruption, probablement le Hassan Dag, découverte dans un village néolithique de Catal Höyük en Turquie anatolienne » (Krafft (1992 : 1)) 85 . Depuis toujours, on assimile volcan et « Feu de la Terre »

‘Dès l’Antiquité, le Feu de la Terre est [...] directement associé au volcanisme. Beaucoup de noms de volcans signifient le feu : Vésuve viendrait de la racine sanscrite vasu (feu), de même que Etna dériverait de l’indo-européen idh ou aidh « brûler ». (Krafft , (1992 : 2))

Or, aucun phénomène « n’a donné naissance à autant de mythes, de symboles, de légendes, de rites ou de croyances superstitieuses que le feu » si l’on en croit Krafft (1992 : 1). Les volcans occupent déjà une très large place dans les mythologies grecque et romaine, et comme l’explique Bardintzeff (1998 : 1) 86 .

Les diverses légendes et croyances ne se cantonnent toutefois pas à la civilisation antique ; en effet, comme l’explique Krafft (1992 : 2), « les légendes liées au feu foisonnent dans toutes les civilisations confrontées à des éruptions volcaniques » 87  : par exemple, en Polynésie (Tahiti ; Hawaï), en Nouvelle-Zélande, c’est la déesse Pelé qui règne en maître ; cette dernière fait l’objet d’une vénération séculaire qui a certes décru, mais qui est toujours présente aujourd’hui chez certaines peuplades. En Indonésie, la plupart des volcans sont sacrés, ont été, et sont toujours, l’objet de cérémonies rituelles 88  ; il en est de même au Japon, par exemple, ainsi qu’aux îles Vanuatu (ex- Nouvelles-Hébrides) 89 .

Nous tenons à mentionner le fait que certaines croyances et certaines traditions sont encore très ancrées pour deux raisons. Premièrement, ces croyances ont de très nombreuses répercussions sur la langue et sur la terminologie de la volcanologie. Deuxièmement, ces croyances ont également un impact sur le domaine même de la volcanologie comme l’expliquent Ancellin, d’une part, et Bourseiller & Durieux, d’autre part :

‘Les volcanologues actuels sont souvent confrontés aux rituels magiques des cultures traditionnelles, et puisent dans ces légendes de précieuses informations sur des phénomènes éruptifs traitant d’événements réels qui remontent à l’aube des temps. (Vinsonneau (2000 : 89)) ’ ‘Il peut sembler étrange qu’un volcanologue, plutôt familier des cratères en pleine éruption, s’intéresse autant aux croyances qui existent autour des volcans. Peut-être parce que la volcanologie a beaucoup changé ces dernières années. Une véritable prise de conscience s’est opérée. L’attention portée aux populations victimes de ces catastrophes revêt presque autant d’importance que ce qui se passe dans les cratères. Impossible de rester sourd à ces idées. Cette nouvelle approche fait partie intégrante du travail de volcanologue ou, au moins, de sa culture de base. Souvent, les légendes véhiculent des témoignages, parfois transformés et lointains, de phénomènes passés. [...] Il s’avère [...] important de connaître ces traditions et ces rites lorsque l’on veut établir des programmes de réduction des risques. En effet, pour s’adresser utilement à une population exposée, pour se faire comprendre et convaincre, il faut avant tout savoir ce que ces gens pensent de leurs volcans et comment ils les considèrent. (Bourseiller & Durieux (2001 : 43))’

Notes
85.

Pour plus de détails sur ce sujet, et sur le rôle de la peinture dans la diffusion des découvertes scientifiques par les naturalistes, voir en particulier « Le peintre et l’Histoire Naturelle : Quand l’éruption d’un volcan inspirait des œuvres d’art » de Jean Féraud (document du Bureau de Recherche géologique et minière).

86.

Pour plus de détails sur la place des volcans dans les mythologies grecque et romaine, voir notamment Krafft & Krafft (1979 : 4), Krafft (1992 : 2), Sigurdsson (2000 : 19), Bourseiller & Durieux (2001 : 41).

87.

Pour plus de détails sur ce sujet, voir par exemple Krafft (1992 : 2-3).

88.

Voir par exemple le récit des cérémonies en l’honneur du volcan Bromo en Indonésie fait par Bourseiller & Durieux (2001 : 81-87). Voir également Krafft & Krafft (1979 : 4-7).

89.

Voir par exemple le récit des aventures de Tazieff aux îles Vanuatu dans Cans (1998).