5.2.2.2. Volcanologues en herbe, ou en puissance

De nombreux « hommes d’esprit » des civilisations grecques et romaines se sont ainsi intéressés en précurseurs scientifiques aux volcans, et il convient en quelques mots ici de résumer leurs trouvailles.

Du côté des Grecs, c’est le cas du poète Pindare, qui signalait une éruption de l’Etna en 475 av. J.-C. Le Sicilien Empédocle (v. 490 – 335 av. J.-C.), qui étudiait l’Etna de près, mais n’arrivait pas à en expliquer les phénomènes éruptifs, se serait, dit la légende, jeté de désespoir dans le cratère qui n’en rejeta que les sandales… Selon Tazieff (1987 : 8), Aristote (384 – 322 av. J.-C.) « imaginait que sous la surface de la Terre se trouvaient des cavités parcourues de violents courants d’air et que ceux-ci s’échappaient par des cheminées volcaniques et prenaient feu à la surface du sol ». Ce serait à lui que reviendrait la paternité du terme cratère selon Bourseiller & Durieux (2001 : 122), ce terme ayant été créé par analogie de forme avec celles des coupes dans lesquelles les Grecs buvaient le vin. D’après Krafft & Krafft (1979 : 11), c’est à Platon(427 – 347 av. J.-C.) que l’on doit « l’une des premières approches scientifiques du volcanisme ». Celui-ci « affirmait que les tremblements de terre sont causés par des vents chauds, sous pression, emprisonnés dans d’immenses cavernes souterraines, qui, s’ils s’enflamment au contact du grand fleuve de feu central, le Pyriphlegathon, donnent naissance à un volcan ». Enfin, Strabon (63 av. J.C. – 30 ap. J.-C.), quant à lui, considérait les volcans « comme des soupapes de sécurité de la Planète », et il fut le premier à identifier la nature volcanique du Vésuve (Bourseiller & Durieux (2001 : 122)).

Du côté des Romains, le poète Virgile (v. 70 – 19 av. J.-C.) « attribuait les éruptions de l’Etna aux efforts désespérés que faisait le titan Encelade pour s’échapper de la prison sous-etnéenne que Zeus lui avait imposé » (Krafft & Krafft (1979 : 4)), tandis que Sénèque (4 av.J.-C. – 65 ap. J.-C.) assimilait le fonctionnement des volcans à des « canaux d’aération permettant d’évacuer le surplus de chaleur contenu sous la terre » (Ancellin (2000 : 48)). Enfin, pour citer un dernier exemple, le poète Lucrèce (v. 98 – 55 av. J.-C.) pensait « que l’Etna était creux. A l’intérieur, disait-il, souffle un vent chaud et violent qui éjecte de temps en temps des pierres et de la fumée » (Kohler (1985 : 58)).

Krafft & Krafft (1979 : 11) concluent que les interprétations souvent mythologiques des érudits anciens sont des présomptions « sans grande valeur scientifique », ce qu’ils réaffirment dans leur ouvrage (posthume) de 1992 :

‘Dans l’Antiquité, les érudits se contentèrent généralement de donner une tournure scientifique aux croyances populaires. Pour eux les éruptions sont dues à des vents qui attisent des feux souterrains. (Krafft (1992 : 4))

Toutefois, la contribution de certains auteurs de l’Antiquité n’est pas négligeable. Par exemple, la conception de Sénèque est toujours d’actualité, et il fut le premier à imaginer qu’existaient d’immenses réservoirs de feu sous chaque volcan, « deux mille ans avant la mise en évidence des chambres magmatiques » (Ancellin (2000 : 48-49)). Bourseiller & Durieux (2001 : 41) sont moins sévères que les Krafft et considèrent que les explications des philosophes grecs, « fondées sur des observations et des déductions [...], sont beaucoup plus rationnelles [que celles des Romains] et à ce titre très visionnaires ». Selon eux, « il ne manquait aux Grecs que les moyens de vérifier leurs hypothèses pour ériger leurs conclusions au rang de science ». Enfin, les Krafft eux-mêmes analysent à la lumière de la volcanologie le cataclysme de Santorin en Grèce, vers 1 500 av. J.-C., qui a anéanti le monde minoen, à travers Critias et Timée de Platon 90 , et avancent une interprétation volcanologique possible des dix plaies d’Egypte et du passage de la Mer Rouge de l’Ancien Testament 91 .

Notes
90.

Ces récits sont analysés à la lumière de la volcanologie dans Krafft & Krafft (1979 : 11). Certains y voient même là l’explication du mystère de l’Atlantide.

91.

« Même les dix plaies d’Egypte et le passage de la mer Rouge par Moïse – en fait il s’agissait d’une lagune au bord de la Méditerranée – peuvent trouver une explication dans le cataclysme santorinien. “Les ténèbres si épaisses qu’on pouvait les palper” sont causées par les chutes de cendres. “L’eau changée en sang” s’explique par la richesse en oxyde de fer rouge des poussières du volcan tombées dans les rivières ; “le tonnerre” par les éclairs d’électricité statique due aux frottements des cendres entre elles : “la grêle” par la cristallisation de glace autour des particules volcaniques ; “les grenouilles”par des tornades provoquées par l’éruption et qui, en passant sur les lacs, ont entraîné eaux et batraciens. » (Krafft & Krafft (1979 : 12))