2.1.2.1. Le poids de la tradition lexicographique 140

La citation de Boulanger & L’Homme (1991 : 26), une fois complétée, laisse apparaître que l’inclusion des termes dans la nomenclature correspond à la perpétuation d’une bien longue tradition dans la lexicographie française :

‘[Personne ne met en doute la nécessité de la présence des technolectes dans les dictionnaires à l’usage de tous.] Depuis l’origine de la lexicographie française, aucun dictionnaire de langue, petit […], moyen […], grand […], ou géant […], monolingue, bilingue ou multilingue, ne peut s’exempter de répertorier de nombreuses terminologies.’

La même idée se retrouve de nouveau chez Boulanger dans un article plus récent (1996 : 141), ainsi que chez Béjoint (1988 : 354), qui étend cet argument à la lexicographie britannique :

‘Un simple regard sur l’histoire de la lexicographie montre bien que les dictionnaires compilent et décrivent des termes depuis des siècles […]. Il y a […] plusieurs siècles que les LSP font corps avec la LG dans les macrostructures des DL et qu’elles sont méthodologiquement codifiées dans la macrostructure. (Boulanger (1996 : 141)) ’ ‘[The] presence [of scientific and technical] words in general dictionaries, at least in England and in France, is an older tradition than it is generally supposed. (Béjoint (1988 : 354))

Il semble donc nécessaire à présent de retourner quelques siècles en arrière pour mieux saisir de quelle manière s’est ancrée cette fort imposante tradition. En fait, il semble que la première inclusion de termes dans les dictionnaires non-spécialisés date au moins du XVIIe siècle, voire du XVIe siècle selon les points de vue, que ce soit pour les dictionnaires unilingues anglais ou français, ou encore pour les dictionnaires bilingues anglais-français.

Attardons-nous un peu plus à présent sur l’historique de chaque type de dictionnaire, tout en précisant que ce que nous présentons dans les pages suivantes n’est qu’un très bref historique ne reprenant que les points les plus pertinents pour notre étude, et ne se veut en aucun cas une étude métalexicographique diachronique exhaustive 141 . Nous ne saurions toutefois nous en passer car, comme l’explique Quemada (1967 : 12), qui insiste sur la « filiation des méthodes lexicographiques », « l’imbrication permanente des réalisations passées et présentes dans un domaine où les forces de la tradition jouent un rôle capital rend toute coupure, quelle qu’elle soit, artificielle donc illusoire ». Du côté de la lexicographie anglaise, Landau (1989 : 62) se range au même avis pour la lexicographie anglaise : “anyone who has read [the] history of lexicography is by now aware of how much each lexicographer owes to his predecessor.”

Notes
140.

Nous empruntons le terme de « tradition » lexicographique à Alain Rey, qui consacre toute une partie de la préface du Grand Robert (de 1987) à « la tradition du dictionnaire de langue dans la culture française » (pp. XVIII à XXI) et qui précise ainsi que « le Robert se situe clairement dans une tradition ». Slodzian (2000) utilise également ce terme puisqu’elle consacre un article entier à « l’impact des traditions nationales sur la pratique lexicographique », en étudiant le cas de la Russie, de la Grande-Bretagne et de la France. Enfin, Francœur (2003 : 59-60) explique que « la tradition lexicographique française exerce en outre d’énormes pressions sur les dictionnaristes. »

141.

Pour plus de détails sur l’historique des dictionnaires de langue française, voir notamment Bray (1989), Quemada (1967), Matoré (1968), Pruvost (2002), Rey (1987) et (1989). Pour les dictionnaires de langue anglaise, voir le chapitre 2 de Landau (1989 : 35-75) : “A Brief History of English Lexicography”, le chapitre 3 de Béjoint : “The Historical Origins of the General-Purpose Dictionary” (2000 : 92-106), Mathews (1966), Starnes & Noyes (1991), Stein (1991), Hayashi (1978), Béjoint (2000). Pour les dictionnaires bilingues anglais-français, voir Hayashi (1978), Stein (1985), Anderson (1972).