2.2.1.3. Une augmentation constante

Quel que soit le volume précis qu’occupent réellement les terminologies dans les dictionnaires généraux, s’il est bien un aspect sur lequel s’entendent tous les auteurs — outre le fait que ce volume est important — c’est le fait que ces terminologies occupent de plus en plus de place dans ce type de dictionnaire, autrement dit, qu’elles s’y taillent progressivement la part du lion 207 . Le premier constat en a été fait par Guilbert à propos du Petit Larousse :

‘Dans le mouvement général du lexique français constaté entre 1949 et 1960 par l’étude de deux éditions d’un dictionnaire d’usage, le Petit Larousse, on peut constater [...] que sur 3 973 mots ajoutés, 350 appartiennent au vocabulaire général et 3 266 peuvent être classés dans les sciences humaines et les sciences exactes. Dans le tableau des suppressions, 252 relèvent du vocabulaire général et 429 des vocabulaires scientifiques et techniques. Cette statistique suggère un renouvellement et un enrichissement beaucoup plus rapides dans le domaine technique. (Guilbert (1973 : 7))

Ce fait était également signalé dans les années 1980 par un certain nombre d’auteurs, notamment par Mazière (1981 : 82), qui, comparant le Petit Robert au Littré, parlait de « l’accroissement […] ou même l’envahissement du dictionnaire de langue par les termes de spécialité ». Plus récemment, une étude faite par Bigras & Simard (1997 : 100-101), qui « vise à déterminer l’évolution des termes liés à la médecine de 1967 à 1996 dans Le Petit Robert », révèle que « le nombre de termes dont tous les sens sont liés à un domaine de spécialité a augmenté de 7,9 % de 1967 à 1996 », et conclut plus loin que « les termes se taillent une place de plus en plus grande dans la version électronique du Petit Robert ». Cet « envahissement » progressif transparaît même dans le Dictionnaire de l’Académie, comme le souligne Maurice Druon dans la note 27 de la préface de la 9e édition de ce dictionnaire (Quemada (1997 : 492)) :

‘L’introduction des termes scientifiques et techniques dans la nomenclature se révèle par la diversité des marques de spécialité nécessaires à leur indexation dans le corps des articles. Le nombre d’abréviations portées en tête de la 9e édition est plus de trois fois supérieur à celui de l’édition précédente, citons psychan(alyse), psychiatr(ie), psychol(ogie), psychopathol(ogie), psychosociol(ogie). En réalité, il faut en ajouter une bonne moitié supplémentaire, non abrégée, qui figure dans les rubriques, sans que la longueur de l’intitulé ait été déterminante (électromagnétisme, neurophysiologie, ou sigillographie, à côté de arts, chasse ou droit). De acoutisque à zoologie, l’apparition de tous ces classificateurs, génériques ou spécifiques, non hiérarchisés, marque une date dans l’œuvre académique.’

En ce qui concerne les dictionnaires anglais, Raphael (1979 : 39) signale que le phénomène est déjà présent en 1957 dans le Supplément du OED : “nearly a third of the material in the new Supplement (1957) is concerned with science.” Dix ans plus tard, Landau (1989 : 21) souligne l’ampleur que prend ce mouvement, lequel n’est pas prêt de s’arrêter comme l’expliquent Boulanger & L’Homme (1991 : 25) :

‘[C]omme la portion du lexique général reste relativement stable d’une année sur l’autre, il faut bien admettre que dans l’avenir, les couches spécialisées du lexique fourniront de plus en plus de contingents nouveaux lorsque viendra le temps de procéder aux retouches dictionnairiques. Les ajustements macrostructurels se font de plus en plus à la hausse, de même que les révisions microstructurelles qui allongent les articles. ’

Béjoint (1988 : 360-361) et Boulanger (2001 : 247) expliquent ainsi que les termes représentent la matière que les lexicographes ajoutent à la nomenclature de base d’un dictionnaire général dès que celle-ci est prête. Pendant l’ère de la lexicographie « papier », les lexicographes avaient déjà tendance à éliminer certains mots, comme les mots devenus obsolètes, au profit des termes, afin de maintenir une nomenclature stable, comme l’explique Matoré (1968 : 140) :

‘Constamment tenu à jour, le Petit Larousse se trouve à chaque édition devant un problème complexe : d’une part, l’ouvrage doit garder des dimensions à peu près fixes 208  ; d’autre part, les besoins de l’actualité imposent l’introduction de nouveaux mots (scientifiques, techniques, etc.) et de nouvelles rubriques de géographie, de littérature, d’art ; il est donc nécessaire d’écarter en nombre approximativement égal les termes devenus inutiles.’

A l’ère de la lexicographie « informatisée », où la place n’est plus un problème, car la capacité de stockage est devenue presque illimitée, le phénomène ne peut que s’accélérer. Mais s’agit-il uniquement d’un problème de place au sens d’« espace » ? La place que l’on accorde aux termes dans un dictionnaire général peut en effet aussi s’envisager dans le sens d’« importance » accordée aux termes.

Notes
207.

Ce phénomène transparaît dans l’historique de l’inclusion des termes dans la nomenclature des dictionnaires généraux.

208.

Le nombre de pages de la version papier de ce dictionnaire est fixe, imposé par les contraintes éditoriales, comme il nous l’a été expliqué en mars 2002, lors des journées de recherche Sémantique et Corpus organisées à l’Université Toulouse le Mirail par Louis Lecomte, représentant de la maison Larousse.