2.1. Conception générale de l’enquête

2.1.1. Préambule

Habituellement, lorsque l’on prépare un sondage, il faut tout d’abord se demander si l’enquête est véritablement indispensable (Antoine (1990 : 142)), puis effectuer des études qualitatives préalables ou « exploratoires » (Dussaix & Grosbras (1993 : 70)) afin de « formuler la problématique et les hypothèses de travail [et de] fourni[r] des éléments du langage à retenir ».

Pour le premier point, Antoine (1990 : 150) recommande ainsi de se poser les questions suivantes :

‘Les informations existent-elles dans la documentation existante ?
Les informations existantes sont-elles complètes par rapport à mon propos ?
Les informations existantes sont-elles à jour ? Sont-elles encore valables ?’

A ces questions, nous répondrons qu’il existe certes des informations sur le traitement des termes dans les dictionnaires généraux, comme nous l’avons abondamment illustré dans le premier chapitre, mais que celles-ci :

  • sont très rarement envisagées d’un point de vue autre que celui d’un lexicographe ou d’un métalexicographe,
  • ne sont jamais prises comme sujet d’étude en soi dans les études empiriques existantes en lexicographie (à l’exception de l’étude de Candel (2001) déjà mentionnée, mais parue une fois prise notre décision d’élaborer un sondage, et visant avant tout la communauté scientifique) ; on trouve disséminées, ça et là, des informations sur les mots scientifiques et techniques dans des sondages portant sur de plus vastes sujets, et il est difficile de tirer quelque chose de données partielles et hétéroclites 244 ,
  • ne sont plus de la première fraîcheur pour la plupart d’entre elles (les données de Candel datent en réalité d’il y a plus d’une quinzaine d’années), et se doivent d’autant plus d’être réactualisées qu’en quelques années les sources de renseignements concernant la terminologie se sont considérablement diversifiées et enrichies, comme Candel (2001 : 82) le souligne elle-même 245 ,
  • se présentent souvent sous la forme de suppositions ou d’affirmations 246 qui peuvent parfois paraître péremptoires et qu’il est nécessaire de tester en les confrontant à des données réelles.

En ce qui concerne le deuxième point, nous n’avons pas jugé nécessaire de mener d’étude préalable étant donné que les enquêtes existantes mentionnées plus haut en avaient déjà mené 247 , qu’elles fournissaient un cadre méthodologique déjà très bien délimité et que la littérature existante analysée dans le premier chapitre nous livrait déjà quantités de pistes à explorer.

En revanche, cela pouvait éventuellement poser un problème pour le « langage » à utiliser dans l’enquête (il est en effet recommandé d’utiliser « le vocabulaire employé par les enquêtés lors de l’étude qualitative préalable » (Dussaix & Grosbras (1993 : 72))). Au cours de quelques discussions informelles avec diverses personnes (scientifiques, ou personnes assimilables au grand public), nous avons pu constater que le mot terme n’évoquait pas pour elles la langue de spécialité, mais était tout simplement synonyme de mot 248 . Une appellation plus explicite, comme mots spécialisés, ne semblait pas être comprise d’emblée par tout le monde. Une solution aurait pu consister à définir terme ou mot spécialisé au début du sondage (comme l’a fait Grenon-Nyenhuis (2002) en définissant les termes dictionnaires traditionnels et dictionnaires régionaux au début du sien), mais nous craignions que cela ne risque de rebuter encore plus les personnes peu disposées à répondre. Nous avons donc opté pour mots scientifiques et techniques, qui a le mérite d’être plus facile à comprendre, mais le gros défaut de restreindre les domaines spécialisés aux domaines des sciences et des techniques : qu’advient-il des termes de droit, de politique, d’économie, etc. ? Descamps & Vaunaize (1983 : 91) avaient, eux, décidé de faire la distinction entre « domaine littéraire (lettres, histoire, géographie, psychologie, philosophie) » et « domaine scientifique (médecine y compris) », mais cette distinction aurait de beaucoup compliqué le questionnaire.

Notes
244.

Antoine (1990 : 142) explique que « l’enquête est en effet souvent irremplaçable par les croisements multiples qu’elle permet entre de nombreuses questions de natures diverses : quantitatives et qualitatives, de faits (par exemple : marques utilisées), et d’opinions (par exemple : images des marques), à expliquer (par exemple : pénétration du produit, part de marchés) et explicatives (par exemple : attitudes, caractéristiques socio-économiques). »

245.

« Les moyens de recherche lexicographique et terminologique sont aujourd’hui bien plus commodes qu’il y a quinze ans. Il suffit d’interroger CDROMs, bases de données et dictionnaires sur Internet, et les résultats s’affichent, se téléchargent, s’impriment. »

246.

Boulanger (2001 : 248-249) associe ainsi l’inclusion des termes dans le dictionnaire à « l’expression d’un besoin manifesté par les consommateurs de dictionnaires » sans en dire plus sur ladite manifestation.

247.

Descamps & Vaunaize avaient ainsi débroussaillé le terrain en menant des « entretiens semi-directifs » et une « analyse de contenu thématique » (1983 : 90) qui leur a fourni le matériel pour construire leurs deux enquêtes.

248.

C’est-à-dire qu’il ne couvrait que la première acception donnée par le Nouveau Petit Robert de 2001 : « mot ou expression », et non la deuxième « mot appartenant à un domaine spécial, qui n’est pas d’un usage courant dans la langue commune ».