2.1.2. Définition et formulation du problème

Après ingurgitation et digestion de la littérature existante, à l’instar de Descamps & Vaunaize (1983), à qui nous empruntons la formulation, notre point de départ est une « complexe multi-question », une réflexion qui s’articule autour de diverses interrogations que l’on peut résumer par : Pourquoi ? Qui ? Comment ? Quoi ? A quel fruit ?

  • Pourquoi y a-t-il des termes dans les dictionnaires généraux ?
  • Qui cherche des termes dans les dictionnaires généraux ?
  • Comment les personnes qui cherchent des termes dans les dictionnaires procèdent-elles ?
  • Quelles informations cherchent-elles dans le dictionnaire général lorsqu’elles sont confrontées à un terme ?
  • La recherche d’information liée à un terme dans un dictionnaire général porte-t-elle ses fruits ?

Nous reprenons ces points un à un afin de mieux les expliquer.

  • Pourquoi y a-t-il des termes dans les dictionnaires généraux ?

Cette question, posée dès le premier chapitre, nous a livré les réponses suivantes dans le deuxième chapitre : les termes sont en place dans les dictionnaires généraux (1) à cause du poids de la tradition lexicographique, (2) à cause de la vocation didactique du dictionnaire général, (3) à cause de la vocation encyclopédique du dictionnaire général, (4) à cause des besoins des utilisateurs, et (5), à cause de l’interpénétration des langues spécialisées et de la langue courante. Comme nous l’avons indiqué dans le deuxième chapitre, il semblerait que certaines raisons sont plus argumentées que d’autres. Les questions qui se posent suite à cela sont les suivantes : par rapport à la raison (1), la présence des termes dans les dictionnaires généraux ne constitue-t-elle pas uniquement un vestige à l’heure actuelle où se multiplient et se diversifient les sources de renseignements concernant les termes? La réflexion de Mazière (1981 : 85) semble aller dans ce sens, lorsqu’elle souligne les « incohérences de visée » du dictionnaire général :

‘Ayant un projet didactique et un programme d’usage, il lui est fort difficile, pris dans un vague historicisme évolutionnaire (il n’envisage explicitement de se poser aucune question d’histoire ni de légitimité) et dans des procédés de fabrication précis de situer la tranche synchronique dont il est le reflet, et par là même, d’être un bon témoin de son temps, malgré les dires des préfaces. Ou plutôt il est un bon témoin du ‘passé agréé’ (par qui?) de son temps, avec inflation même!’

Par rapport aux raisons (2), (3) et (4), se pose pour les termes dans les dictionnaires généraux la même question que celle posée par Galisson (1983 : 84) : « y a-t-il coïncidence entre l’image et l’usage ? »

Autrement dit, la présence de termes dans un dictionnaire général s’explique-t-elle par un réel besoin des utilisateurs ou bien par une envie 249 des utilisateurs ?

Notre hypothèse de départ, qui suit les conclusions de Galisson (1983 : 84) 250 , est celle de la prééminence de l’image sur l’usage. Notre sentiment est qu’il est nécessaire que les dictionnaires généraux incluent des termes pour que le dictionnaire général garde sa fonction sacro-sainte d’objet culturel : les termes sont-ils là plus parce qu’ils doivent faire partie du bagage de l’honnête homme et non parce que celui-ci s’y réfère. C’est cette hypothèse, notamment, que nous voulons tester.

  • Qui cherche des termes dans les dictionnaires généraux ?

Pour savoir s’il existe un réel besoin de la part des utilisateurs, il faut établir d’une part combien de personnes cherchent effectivement des termes dans les dictionnaires et, d’autre part, quel est le profil de ces utilisateurs.

Il est vrai que certaines études antérieures montrent que les mots scientifiques et techniques font partie des mots cherchés le plus souvent par les utilisateurs et, ce, quel que soit le type de dictionnaire (unilingue / bilingue) ou quelle que soit la langue (langue maternelle / langue étrangère) :

  • monolingues en langue maternelle
  • monolingues anglais

Selon Béjoint (2000 : 151), une recherche effectuée par Longman (Summers 1988) concernant l’utilisation des dictionnaires par des locuteurs natifs du Royaume-Uni (sujets adultes, non-scolaires que l’on peut assimiler au grand public) montre que ce sont les mots « difficiles » dont les utilisateurs cherchent le plus fréquemment le sens, et que les « mots encyclopédiques » (“from science and technology, politics, economics, etc.”) se classent en deuxième position parmi ceux-là.

L’étude menée par Greenbaum, Meyer et Taylor (1984) — uniquement auprès d’étudiants de premier cycle américains (undergraduates) de l’Université de Wisconsin-Milwaukee — conclut que la recherche d’informations de nature encyclopédique constitue, avec la recherche d’orthographe, la raison la plus fréquente d’utilisation du dictionnaire monolingue anglais 251 . De plus, les seules suggestions spécifiques qui ont été faites concernant l’amélioration possible du dictionnaire “[were] for more encyclopedic information” (ibid. : 45).

  • monolingues français

Une des conclusions de Descamps & Vaunaize (1983 : 98) est que « l’approfondissement des connaissances 252 , le désir de connaître le sens précis d’un mot et l’orthographe [...] viennent en tête des motifs d’utilisation ».

  • Monolingues en langue étrangère
  • Monolingues anglais

Une enquête menée par Béjoint en 1981 et citée par Svensén (1993 : 15) montre que 55 % des étudiants interrogés cherchent « parfois des mots de nature encyclopédique », ce qui classe ces mots au deuxième rang des types d’unités lexicales les plus recherchés (après les idiomes, recherchés « très souvent » par 68 % des personnes interrogées).

Une enquête menée par Hartmann (1983) citée par Svensén (1993 : 15) prouve que 54 % des personnes interrogées cherchent des mots de nature encyclopédique dans leur langue étrangère, ce qui classe ces mots au troisième rang des unités lexicales les plus recherchées (après les mots-outils, recherchés par 70 % des personnes, et les mots culturels, recherchés par 62 % des personnes).

Enfin, les résultats partiels du sondage mené pour le Dictionnaire Canadien Bilingue et décrits par Roberts (1994) 253 montrent que tous les groupes d’utilisateurs cherchent « très souvent ou parfois » des mots techniques dans le dictionnaire bilingue.

Cependant, ces études :

  • commencent aujourd’hui à dater un peu,
  • indiquent certes que les mots scientifiques et techniques font partie des mots que les utilisateurs cherchent effectivement dans les dictionnaires généraux, mais ne précisent que très rarement à quelle fréquence se fait cette recherche,
  • « noient » les mots scientifiques et techniques au milieu d’un grand nombre d’autres éléments (parmi les « types » de mots cherché, ou les divers motifs de consultation, etc. 254 , or les professionnels des sondages affirment que lorsqu’un enquêté est confronté à une longue liste d’éléments, il a tendance à tout cocher 255 ,
  • s’adressent à divers groupes d’utilisateurs plus ou moins bien délimités, mais ne s’inscrivent pas dans une perspective comparative. Ainsi, Boulanger (2001 : 248-249) affirme que ce qui autorise à répertorier un terme dans un dictionnaire général est « l’expression d’un besoin manifesté par les consommateurs de dictionnaires ». Or, ce singulier peut paraître bizarrement réducteur à une époque où chacun reconnaît la diversité et la nécessité du « sur mesure ». 256

Il faut donc identifier, outre le nombre d’utilisateurs, le profil des personnes qui utilisent les dictionnaires généraux pour y chercher des précisions sur les termes :

  • s’agit-il de celles qui sont a priori concernées au premier chef par les termes (les scientifiques, les professionnels de la langue qui ont affaire à des textes techniques) ? Ou bien s’agit-il au contraire de personnes n’ayant a priori que de rares contacts avec les termes, comme le grand public ? Si toutes ces catégories font appel au dictionnaire général, dans quelles proportions le font-elles ?
  • Une autre question vient à l’esprit : les spécialistes (du domaine : scientifiques, ou de la langue : traducteurs techniques, etc.) ne vont-ils pas plutôt chercher les termes directement dans des ressources plus spécialisées (dictionnaires spécialisés, banques de termes, etc.) ?
    C’est en tout cas ce que laisse entendre Thoiron (1998 : 621) pour les professionnels de la langue en ce qui concerne les dictionnaires bilingues 257 . D’après lui, l’usager « ordinaire », ou « généraliste », bref, l’usager « lambda » serait l’usager le plus susceptible de se tourner vers le dictionnaire général (ibid. : 627) 258 . Mais à l’heure de la société de l’information, du tout informatique, du tout électronique, l’usager ordinaire ne va-t-il pas plutôt se diriger vers d’autres sources que son dictionnaire général ? Et qu’en est-il des professionnels du domaine ? D’après Thoiron (ibid. : 627), qui se limite aux dictionnaires bilingues :
‘On peut estimer [...][que] le D[ictionnaire] H[achette] O[xford (bilingue anglais-français)] a des chances d’être le premier outil lexicographique bilingue consulté par des professionnels du domaine médical ne se trouvant qu’occasionnellement dans des situations de bilinguisme relatif 259 . Le recours exclusif au dictionnaire bilingue spécialisé ne suffit pas pour résoudre toutes les difficultés linguistiques et le maniement de deux dictionnaires est souvent mal perçu par l’usager. Il existe bien un public pour un dictionnaire non spécialisé qui ne contienne pas seulement la terminologie de survie 260 .’

Cette réflexion mène à une autre question : les scientifiques utilisent-ils seulement les dictionnaires bilingues pour les termes, et non les dictionnaires unilingues ?

Regardons de plus près ce que disent Wesemael & Wesemaël (2003 : 146), qui se concentrent sur le dictionnaire unilingue (en l’occurrence le Nouveau Petit Robert). Ils expliquent comment se répartissent les besoins dictionnairiques du scientifique en fonction de ses activités, qu’il classe en trois catégories :

‘celle de la dissémination 261 , qui vise à faire connaître les résultats de recherche à ses pairs , celle de l’enseignement, qui vise à mettre des connaissances à la disposition des étudiants, celle de la vulgarisation, qui a pour vocation la diffusion des connaissances au sein du grand public. 262

D’après eux, « c’est dans la transmission des résultats de ses recherches [rédactions d’articles spécialisés] que le scientifique a peut-être le moins besoin d’un dictionnaire ». Les raisons qu’ils avancent sont les suivantes (ibid. : 146-147) : « les termes très techniques de sa spécialité n’y figurent pas » ; « le scientifique s’adresse à des spécialistes de sa propre discipline qui le comprennent parfaitement » ; « le scientifique publie très rarement dans sa langue » (c’est-à-dire qu’il publie en anglais, et non en français) ; « la langue qui caractérise les revues scientifiques spécialisées a la réputation d’être sans grande recherche, aride et sans âme. »

Dans le cadre de l’enseignement, « le dictionnaire culturel ne joue qu’un rôle relativement minime » (ibid. : 147), puisque «  le scientifique fait usage d’un niveau relativement peu recherché de langage [...] la concision prime sur la qualité de la langue ».

C’est pour le travail de vulgarisation que le scientifique aurait donc le plus tendance à se servir du dictionnaire unilingue, puisque « en matière de langue, le scientifique n’est, ici, pas plus qualifié qu’un autre : il a autant besoin que n’importe qui de vérifier soigneusement chaque mot qu’il écrit [...] [et de] se conformer à l’usage linguistique s’il veut être clair et bien compris ». Outre le fait que cette activité ne représente « qu’une infime fraction du temps que [le scientifique] consacre à ses activités professionnelles » (ibid. : 148), on peut se demander si les informations recherchées à ce moment-là concernent véritablement les termes et non la langue générale.

Finalement, concluent Wesemael & Wesemaël (ibid. : 148), c’est peut-être plus comme « membre à part entière de la société » que le scientifique a le plus besoin du dictionnaire unilingue puisqu’il a « comme tout un chacun besoin de comprendre le monde où il évolue [et] doit donc disposer d’un outil qui lui permette d’affiner ses connaissances en matière de langue ». Mais dans ce dernier cas, le scientifique n’est-il finalement pas assimilable au grand public ?

C’est donc l’ensemble de ces affirmations que nous voulons tester, toutes ces questions que nous voulons poser.

  • Comment les personnes qui cherchent des termes dans les dictionnaires procèdent-elles ?

Tout d’abord, on peut se demander dans quelle partie du dictionnaire général les utilisateurs cherchent des informations lorsqu’ils sont confrontés à un terme : cherchent-il uniquement dans les entrées où se trouvent (ou non) les termes ou bien consultent-ils également la liste des domaines qui figure en début d’ouvrage ?

Plus globalement, il est légitime de s’interroger sur le processus de recherche d’information sur un terme : puisque existent, en parallèle des dictionnaires généraux, de nombreuses autres ressources spécialisées, comment les usagers divisent-ils leurs recherches entre ces différentes sources, et quelle place occupe le dictionnaire général dans le processus ? Varantola (1998 : 181) explique ainsi que, de manière générale, des traducteurs ou des étudiants avancés traduisant dans le sens du thème ont tendance à se tourner vers d’autres sources que leur dictionnaire bilingue général lorsqu’ils y trouvent un équivalent qu’ils ne connaissent pas, afin de se rassurer, et que ce problème est exacerbé “in special field translation, particularly L1 to L2 but also L2 to L1 when the translator’s knowledge of the field is inadequate”. Mais qu’en est-il des autres catégories d’usagers ?

  • Quelles informations les usagers cherchent-ils lorsqu’ils sont confrontés à un terme ? 263

Tout d’abord, il faut s’interroger sur le type de termes que les personnes cherchent dans les dictionnaires généraux : s’agit-il de termes usuels ou bien de termes très spécialisés ? Ensuite, on peut se demander comment varie, selon l’utilisateur, le type de recherche : s’agit-il d’une recherche dans un seul domaine récurrent (qui serait sans doute son domaine de spécialité) ou bien dans plusieurs domaines ? Voici ce que disent les auteurs concernant les scientifiques :

‘Car que demande celui qui consulte un dictionnaire général ? Une information, une orientation de ses réflexions, un support à ses propres connaissances, une réponse aux questions qu’il peut se poser sur certains sujets ou textes qui ne sont pas de sa spécialité. Un biologiste n’y cherchera pas le sens d’un terme de biologie, mais, par exemple, d’économie, de rhétorique, d’astrophysique, etc 264 . (Cottez (1994 : 23)) ’ ‘[Le scientifique] doit pouvoir trouver dans l’ouvrage qu’il consulte réponse à ses questions, y compris dans les domaines qui ne relèvent pas de sa spécialité 265 . (Wesemael  & Wesemaël (2003 : 148))

Mais qu’en est-il des autres usagers ?

  • Enfin, quelles informations sur le terme les usagers cherchent-ils ? S’agit-il avant tout de trouver le sens du terme ? D’acquérir des connaissances encyclopédiques sur le terme ? De savoir comment utiliser le terme (registre, syntaxe, etc.) ?
  • Comment ces besoins d’information varient-ils selon le type d’utilisateur ?

Varantola (1998 : 181) analyse par exemple les besoins ressentis par des traducteurs “when doing an L1-L2 translation of a general text within a special field but on a topic that even lay persons know something about” :

‘It is rarely only lexical information that translators want to find when they look up an entry. The information sought is broader in scope; they often want to know how the expression behaves grammatically and what kind of lexical, sentence, paragraph or text environment it normally occurs in. At a higher level, they wish to know whether the expression is appropriate for the context, subject field, text type or register in question [...]. Thus, it might be said that, in addition to lexical information, translators need a continuum of contextual, pragmatic and encyclopedic information.’
Equivalent Grammatical collocation Lexical collocation Examples Idiomatic usage Longer passage Paragraph structure Text structure Stylistic information Encyclopedic information
  • Ce continuum est-il le même pour des scientifiques, pour le grand public ? L’accès au sens et aux informations de type encyclopédique qui semblent primer pour le grand public d’après les conclusions de Descamps & Vaunaize (1983 : 98) est-il aussi important pour les scientifiques ? Collet (2004 : 247) semble dire que non : « c’est un fait bien connu que les consommateurs de terminologies [...] ne sont guère les professionnels, qui maîtrisent le plus souvent la terminologie de leur domaine, ni les professionnels en devenir qui s’initient à un domaine. »
  • D’autre part, les informations recherchées pour les termes diffèrent-elles (dans leur nature, dans le degré d’importance qui leur est attribué, etc.) des informations recherchées pour des mots de la langue générale ?
  • La recherche d’information liée à un terme dans un dictionnaire général porte-t-elle ses fruits ?

Il s’agit de voir s’il existe, en matière de terminologie dans les dictionnaires généraux, un « décalage statistique » entre « les espoirs mis dans le dictionnaire et les résultats obtenus après consultation », un « écart [...] entre espérance et réalité », pour reprendre les termes de Galisson (1983 : 5), et de voir comment cet écart varie selon le type d’utilisateur.

Dans le deuxième chapitre, nous avons déjà décrit quels griefs ont été formulés par un certain nombre d’auteurs ayant effectué des études sur le traitement des termes dans les dictionnaires généraux. Cependant, il faut établir plus particulièrement quels sont les motifs de satisfaction ou de mécontentement exprimés par les divers groupes d’utilisateurs en ce qui concerne le traitement des termes.

Wesemael & Wesemaël (2003 : 145) disent d’emblée que les scientifiques « ne peuvent [...] s’attendre à trouver dans un dictionnaire culturel la réponse à toutes leurs questions concernant le vocabulaire, souvent très technique, de leur spécialité ». S’agit-il alors, pour les scientifiques, essentiellement d’un problème de nomenclature ? C’est aussi vers cela que tendent les conclusions de Candel (2001 : 93) lorsqu’elle parle des « constats d’échec » : il s’agit majoritairement de termes introuvables (termes de mathématiques, du vocabulaire scientifique général, syntagmes, néologismes), mais elle fait part aussi du « silence des dictionnaires sur les constructions des termes », soit des lacunes en phraséologie.

Les lacunes dans la nomenclature semblent représenter aussi un problème pour les professionnels de la langue, puisque les résultats obtenus par Roberts (1994 : 54) indiquent que les mots techniques ont été classés comme les types d’unités lexicales les plus difficiles à trouver par quatre des cinq groupes interrogés 266 . Outre les problèmes de nomenclature stricte, une enquête menée par le Centre de Terminologie de Bruxelles, citée par Collet (2004 : 148), conclut d’autre part que les utilisateurs de dictionnaires spécialisés (en l’occurrence des « traducteurs, rédacteurs, documentalistes et experts ») trouvent problématique « la rareté d’informations portant sur la mise en discours des termes [...] la rareté des informations phraséologiques et stylistiques » dans ce type de dictionnaire. Il est fort probable qu’à plus forte raison, ils trouvent cet aspect encore moins bien traité dans les dictionnaires généraux, ce vers quoi semblent tendre les résultats du test empirique (de version) mené par Mackintosh (1995 : 171) auprès d’étudiants avancés en traduction :

‘The findings of test 1 revealed that the subjects were not satisfied with the coverage in the dictionaries on either the macrostructural or the microstructural level. [...] The testing revealed a desire for more phraseological information in particular. Electronic version dictionaries should probably contain as much phraseological or combinatory information as possible, particularly for specialized language 267 .

Mais qu’en pensent les usagers ordinaires du grand public ? Et qu’en est-il des définitions (complexité du métalangage, exactitude scientifique, etc.) et de certains autres éléments problématiques de la microstructure tels que les étiquettes de domaine ?

Après avoir décrit la problématique qui sous-tend notre enquête, passons à la description de l’échantillon envisagé.

Notes
249.

Nous empruntons aussi à Galisson (ibid. : 17) la dialectique besoin / envie : « Tout le monde sait que les dictionnaires suscitent des besoins et même des envies (je connais quelqu’un de très modeste qui s’est saigné aux quatre veines pour exhiber un Grand Robert en sept volumes qui le remplit de fierté) » ? C’est le même problème, en termes différents, que soulèvent Descamps & Vaunaize (1983 : 97) lorsqu’ils regardent les types de dictionnaires possédés par chacun des groupes sociaux de leurs échantillon, et qu’ils concluent que « ce sont les groupes sociaux dominants ou appelés à dominer [...], ou le groupe social bon gré mal gré chargé de montrer la voie vers la dominance [qui] semble[nt] détenir, pour l’essentiel, ces trésors de verbe et de savoir que sont les dictionnaires langagiers et les gros dictionnaires généraux ou spéciaux. [...] Il reste néanmoins à savoir si les groupes qui ont en apanage cette structure de propriété privilégiée font effectivement usage des dictionnaires qu’ils possèdent, ou si ces ouvrages ne sont là que comme symboles d’une maîtrise développée antérieurement à leur acquisition » (souligné par nos soins)

250.

« L’usage ne détermine pas l’image ; celle-ci est liée à l’objet dictionnairique perçu en tant que ressource d’information inépuisable, non à l’outil didactique sollicité avec plus ou moins de bonheur. Autrement dit, le prestige du dictionnaire est du même ordre que l’admiration vouée à quelqu’un du fait de l’étendue de ses connaissances. »

251.

Il faut tout de même prendre des précautions lorsque l’on parle d’informations encyclopédiques dans les dictionnaires américains. En effet, cela peut englober, outre les termes scientifiques et techniques à proprement parler, les noms propres, qui ne sont pas séparés des noms communs. Ainsi, l’enquête de Greenbaum et al. indique que “a majority of 63% [...] favored including encyclopedic entries, such as on Freud or Panama.” (souligné par nos soins).

252.

Souligné par nos soins cette appellation générale qu’ils utilisent (ibid. : 98) pour regrouper les réponses aux questions :

– trouver une précision dans un domaine littéraire (lettres, hist., géog., psycho., philo…) : 61 réponses positives,

– trouver une précision dans un domaine scientifique (médecine y compris) : 48 réponses positives,

– me donner du plaisir, me cultiver sans chercher un mot précis) : 37 réponses positives.

253.

Ces résultats partiels concernaient un échantillon de 39 personnes en rapport direct avec la traduction : 12 étudiants en traduction, 12 traducteurs, 8 formateurs / évaluateurs, 4 terminologues, et 3 personnes travaillant en lien avec la gestion de traduction ou de terminologie.

254.

Par exemple, dans le sondage du Dictionnaire Canadien Bilingue, les mots techniques faisaient partie des 11 types d’unités lexicales dont on demandait aux sondés s’ils les cherchaient dans le dictionnaire : mots communs, mots rares, mots grammaticaux, collocations, abréviations, etc.

255.

Nous notons d’ailleurs un fait très éloquent à cet égard dans l’enquête menée par Galisson (1983 : 38-39) : la question 8 du sondage, libellée « Pour votre compte personnel, quelles questions posez-vous au diction­naire [...] ? » était une question ouverte, c’est-à-dire que les enquêtés ne disposaient pas de liste préétablie de catégories à cocher. Or, on s’aperçoit que, dans ce cas, les termes ne viennent pas automatiquement à l’esprit des sondés : en effet, pour les recherches en langue maternelle, la catégorie « renseignements encyclopédiques sur un mot » (telle que Galisson l’a nommée après dépouillement des sondages) n’apparaît que deux fois (et en 7e position) pour les étudiants de Paris et elle n’apparaît pas du tout pour les étudiants de Middlebury ; pour les recherches en langue étrangère, elle apparaît une seule fois pour les étudiants de Middlebury (en 17e position !), et pour les étudiants de Paris elle n’apparaît pas telle quelle mais on note la présence (une fois !) de la raison « pour le plaisir et l’amélioration des connaissances ».

256.

Il faut ici rendre justice à Descamps (1994). Si nous ne mentionnons pas son étude dans le corps du texte, c’est parce que celle-ci ne repose apparemment pas sur des données empiriques, mais plutôt sur des conjectures. Néanmoins, elle n’en est pas pour autant inintéressante, et loin de là. Le titre en est éloquent : « Pour qui élaborer un dictionnaire de langue technoscientifique ? ». L’idée était de confectionner un tel dictionnaire pour élever la visée initiale du Trésor de la Langue Française restreinte au départ « à tous les francophones ayant reçu une culture humaniste ». Ce dictionnaire [qui finalement est devenu le Supplément technique et scientifique du TLF] devait « concentrer dans ses pages les termes technoscientifiques épars dans le TLF, en renouveler et enrichir sans doute la cohorte, et en remanier au besoin la définition de manière à la rendre accessible à l’humaniste moderne » qui souhaite lire « des revues telles que La Recherche ou Pour la Science, et des ouvrages généraux comme L’Homme neuronal [...] ou Penser la Science » (ibid. : 161-162). Descamps se trouve confronté à la difficile définition d’humaniste moderne : « A quels segments de population correspond cet humaniste moderne : Ingénieurs ? Techniciens moyens et supérieurs ? Industriels ? Marchands ? Chercheurs ? Enseignants ? Profes­sion­nels du droit, de la santé, de la cité ? Retraités de ces professions ? Bacheliers en voie de diplômes (bac + 2, + 3, +4) ? ». Cette tentative de définition semble englober à la fois des professionnels des sciences et techniques et des profanes. Quant aux besoins de ces diverses personnes, Descamps (ibid. : 154-164) suppute qu’un tel dictionnaire devrait, d’une part, combler les besoins chez l’humaniste moderne — français ou étranger — de comprendre les textes technoscientifiques de haute vulgarisation écrits en français (fonction de décodage) et, d’autre part, les besoins de rédiger des textes de ce style (ou des dictionnaires propres à l’y aider) chez les spécialistes (ou futurs) spécialistes rédigeant en français, les traducteurs de textes technoscientifiques, les rédacteurs de [dictionnaires] bilingues technoscientifiques, les documentalistes et les grammairiens (fonction d’encodage).

257.

« On ne propose pas le même produit au traducteur scientifique professionnel et à l’usager généraliste. Les traducteurs scientifiques et techniques professionnels ont à leur disposition des outils terminographiques multilingues, dédiés à une spécialité bien précise et généralement convenablement délimitée. Il existe en effet des dictionnaires spécialisés nombreux (cf. les catalogues des éditeurs spécialisés) et sous des formes variées (allant du support papier au CD-ROM). Mais l’usager ordinaire peut trouver une quantité non négligeable de terminologie dans son dictionnaire favori. »

258.

« On peut estimer que le DHO cherche à proposer, pour le domaine médical, [...] une sélection de termes dont l’usage est nécessaire pour le décodage et l’encodage de textes publiés dans des ouvrages “généralistes” destinés au grand public. » (souligné par nos soins).

259.

Souligné par nos soins.

260.

Souligné par nos soins.

261.

C’est nous qui mettons en évidence les distinctions par l’usage du gras.

262.

C’est la même distinction entre ces trois activités que fait Candel (2001 : 89) dans certaines des questions adressées aux personnes interrogées, mais en l’abordant plus précisément du point de vue du destinataire dans la situation de communication : parmi les motifs de consultation, elle cite le motif « chercher à mieux s’exprimer [...] pour des spécialistes, pour des spécialistes en cours de formation, pour des non-spécialistes ».

263.

Les présuppositions (non-empiriques) de Descamps (1994 : 153-164) sont les suivantes : « l’humaniste moderne » qui décode un texte de haute vulgarisation a besoin de trouver, « plutôt que de[s] mots savants », une explication des « relations [...] nébuleuses entre les notions couvertes par ces mots », autrement dit, des informations sur le système conceptuel. Les spécialistes qui rédigent ont, eux, besoin de « terminologie » (noms « d’allure savante » ou non, utilisés isolément ou dans des expressions complexes), de « collocatifs verbaux et déverbaux » (ex. : exciser une tumeur / excision d’une tumeur), et enfin de « vocabulaire général d’orientation scientifique ». Pour les traducteurs, les besoins concernent essentiellement les « collocatifs verbaux et déverbaux », puisque les besoins en « terminologie » peuvent être comblés par des dictionnaires spécialisés, et que le « vocabulaire général d’orientation scientifique » est censé être maîtrisé par les « traducteurs chevronnés » (même si cela pose quelques problèmes).

264.

Souligné par nos soins.

265.

Souligné par nos soins.

266.

Le dernier groupe, celui des personnes travaillant en lien avec la gestion de la terminologie et de la traduction, l’a classé aussi parmi les unités lexicales difficiles à trouver, mais non au premier rang.

267.

Souligné par nos soins.