2.1.5. Choix du mode de recueil des informations

2.1.5.1. Type de questionnaire choisi : avantages et inconvénients

Notre choix s’est porté sur le type de sondage ou d’enquête que l’on appelle questionnaire écrit auto administré.

Très largement répandue, cette technique comporte un bon nombre d’avantages, mais on ne saurait passer sous silence les inconvénients qui s’y rapportent.

Le sondage écrit, qui se faisait avant typiquement par correspondance, a pour avantage premier d’être relativement facile à distribuer (Mackintosh (1995 : 58)) et de permettre d’atteindre un assez grand nombre de personnes à peu de frais et en assez peu de temps (Martin-Routledge (1998 : 40)), ce qui est d’autant plus vrai à l’heure actuelle avec le développement d’Internet et du courrier électronique. Qui plus est, les gens se prêtent plus facilement à l’exercice qu’à un autre type de technique empirique, tel un test (de traduction, de compréhension, etc.).

Si l’on se place du côté de la personne interrogée, le sondage a aussi l’avantage de pouvoir être rempli de manière anonyme, et la personne n’est pas soumise à une lourde contrainte de temps et peut ainsi répondre à son rythme, le tout sans ressentir de pression extérieure ou sans interférence de l’enquêteur 272 (Deveraux-Ferguson (2000 : 185)).

Si l’on se place du côté de la personne qui dépouille, par comparaison avec un test empirique, tel qu’un test de compréhension ou un sondage oral où les réponses doivent être retranscrites, un sondage écrit est relativement facile à analyser et, cela, d’autant plus qu’il existe maintenant des logiciels de statistiques qui, une fois les données rentrées, se chargent d’effectuer les divers calculs.

Examinons maintenant quels inconvénients il y a à faire appel à cette méthode.

Un premier problème, mais non des moindres, est celui du taux de réponse 273 : en effet, seule une infime partie de l’ensemble des personnes approchées répond véritablement au sondage, comme l’indiquent Cayrol (2000 : 69-70) et Devereaux-Ferguson (2000 : 186) : “the major disadvantage of the mail survey, however, is its low return rate. A typical survey achieves a return rate of 10% to 40%.” Il faut donc le diffuser très largement afin d’obtenir un nombre de réponses qui soit statistiquement valable (Jacquart (1988 : 20)).

Un second problème, lié au premier, est un problème de représentativité : d’une part, seules les personnes les plus intéressées par le sujet du sondage y participent, comme l’indiquent Devereaux-Ferguson (2000 : 186) et Cayrol (2000 : 69), qui précise : « Souvent, ce sont les personnes les plus concernées par le sujet, ou les plus furieuses à l’égard de la problématique de l’étude, qui tiennent à répondre » ; d’autre part, celles issues des classes favorisées sont plus susceptibles d’y répondre que les autres (Deveraux-Ferguson : ibid.) ; enfin, l’anonymat, qui peut être perçu comme un avantage comme nous l’avons vu plus haut, est aussi problématique en ce sens, comme le souligne Cayrol (2000 : 69) : « du point de vue de la représentativité, c’est évidemment la pire méthode : on ne sait pas très bien qui, au juste, répond », sans compter qu’aucun suivi n’est possible, comme l’on ne dispose pas de la liste nominative de la population consultée.

Un troisième problème, mentionné par de nombreux auteurs (notamment Béjoint (2000 : 147) et Martin-Rutledge (1998 : 39)), réside dans le fait que les personnes interrogées ne fournissent pas nécessairement des réponses sincères, qui correspondent à la réalité de ce qu’elles font, comme le soulignait déjà Hatherall en 1984 (p. 184) :

‘Questionnaire-based research has been criticized, however, because it relies very heavily on respondents’ perceptions of the look-up process, and data can be distorted by respondents’ desire to please or to conform [...]. Are subjects saying here what they do, or what they think they do, or what they think they ought to do, or indeed a mixture of all three?’

Plusieurs biais sont donc possibles : celui de la « désirabilité sociale » ou bien de la « réaction de prestige » 274 , celui de la « peur du changement ou tendance au conformisme », et celui de la « tendance à l’acquiescement » ou des « réactions de complaisance » (Tremblay (1991 : 122), Devereaux-Ferguson (2000 : 155)), c’est-à-dire « l’attraction de la réponse positive ou tendance des interviewés à répondre oui, vrai, d’accord, etc.» (Dussaix & Grosbras (1993 : 75)). Martin-Routledge (1998: 39) pose ainsi la question suivante : « Un utilisateur qui sait que les apprenants de niveau avancé sont plus susceptibles d’avoir recours au dictionnaire unilingue qu’au dictionnaire bilingue va-t-il honnêtement faire part de l’usage intensif qu’il fait de son dictionnaire bilingue » ?De plus, certains utilisateurs ne sont pas toujours conscients ou n’ont pas toujours souvenir de leurs actions (Béjoint (1981 : 217)), et le chercheur ne peut jamais être sûr que la personne sondée ait véritablement compris la question (Béjoint (2000 : 147)). Enfin, un problème spécifique au questionnaire auto-administré est qu’à la différence des sondages oraux, où la personne « découvre le contenu du questionnaire au fur et à mesure qu’il est énoncé », la personne a « tout loisir de parcourir l’ensemble du questionnaire reçu avant de répondre aux premières questions » (Jacquart (1988 : 81)), ce qui, par effet de contamination, peut déformer sa vision des choses (Jacquart : ibid.) ou même la faire « mentir sur des paramètres [la] concernant » (Cayrol (2000 : 70)). Cela dit, cette déformation potentielle de la réalité, que certains appellent le « paradoxe de l’observateur » (la chose observée est modifiée par le fait même d’être observée), est inévitable et, cela, quelle que soit la discipline (biologie, anthropologie, etc., (Béjoint (2000 : 147))).

Notes
272.

Cela peut aussi être perçu comme un désavantage si les personnes prennent trop de temps pour remplir le sondage et ne le rendent pas à temps.

273.

Par taux de réponse, on entend le « rapport entre le nombre de questionnaires complétés dont on dispose à la fin de la collecte et la taille de l’échantillon tiré au départ » (Tremblay (1991 : 178)).

274.

Comme l’expliquent Meynaud & Duclos (1985 : 68), l’enjeu est « de ne pas perdre la face. Il semble en effet que l’individu sondé souhaite ne pas apparaître ignorant devant l’enquêteur », ce que confirme Devereaux-Ferguson (2000 : 156) : “No one likes to appear uninformed or unintelligent. Most people assume that if a topic is important enough to appear in a survey, they should have a view on the issue or subject. Accordingly, some people will be reluctant to admit lack of familiarity with a topic.” Jacquart (1988 : 210), quant à lui, parle plus précisément du « souci de donner une bonne image de soi ». L’exemple souvent cité est celui de la consommation de certains produits qui ne peuvent être évalués correctement : surconsommation de dentifrice, minoration de la consommation de boissons alcoolisées.