3.2. Catégories socio-professionnelles (question A.3)

Avant de livrer les résultats concernant les caractéristiques sociales de notre échantillon, précisons que nous avons été confrontée à un certain nombre de problèmes méthodologiques concernant cette question. Nous en donnons le détail dans l’annexe B, mais donnons-en juste un aperçu global ici : un problème concernait le classement dans les catégories (double appartenance à une catégorie, ou erreur de catégorie), le second concernait le caractère très « franco-français » de la catégorisation INSEE. Ces problèmes ne sont pas à négliger, car ils se ressentent à travers les résultats.

En effet, le fait le plus marquant concernant les résultats obtenus est qu’il y a dans notre échantillon une réelle surreprésentation de la catégorie des « cadres » (de 45 à 70 % des personnes interrogées), qui est bien plus marquée du côté des sondages français que du côté des sondages anglais. Ce phénomène peut s’expliquer de plusieurs manières. Du côté de l’enquêteur (le nôtre), le mode de diffusion peut de nouveau être une des raisons — les cadres ont plus de chance d’avoir accès à l’informatique et à Internet que d’autres catégories, telle que celle des ouvriers, par exemple ; une autre raison est sans doute que nous avons décidé de classer systématiquement les personnes ayant coché une double appartenance dans la catégorie dite « supérieure ». Du côté des enquêtés, deux explications sont possibles. La première est la suivante : le phénomène de « réaction de prestige » évoqué dans le chapitre précédent (cf. chapitre 3, point 2.1.5.1) a sans doute incité de nombreuses personnes à se classer dans la catégorie des cadres, surtout chez les enquêtés français. L’analyse que fait l’historien Noiriel (1992 : 115) de cette idiosyncrasie française, lorsqu’il analyse la « nationalisation » de la société française, est à ce titre fort révélatrice :

‘La bureaucratie est un facteur essentiel de l’identité nationale, d’autant plus puissant qu’il agit le plus souvent de façon inconsciente sur les individus. […] Limitons nous à deux exemples. Plusieurs études ont montré que la création des « catégories socio-professionnelles » avait été un élément essentiel dans la redéfinition des identités sociales. Etre « cadre » par exemple, c’est faire partie d’une catégorie dotée d’un nom officiel, exercer un certain type de métier, bénéficier d’avantages garantis par l’Etat, cultiver le cas échéant, les symboliques identitaires propres au groupe 328 , etc. Mais c’est aussi, indirectement, afficher une identité nationale. Dans les autres pays, en effet, non seulement le terme de « cadre » n’existe pas, mais la fonction elle-même diffère, car dans chaque Etat-nation l’institutionnalisation des groupes professionnels s’est faite selon des modalités particulières. Mais il faut que le cadre en question sorte de ses frontières pour comprendre tout ce qui le sépare des collègues vivant dans d’autres pays. ’

La deuxième explication est liée à ce que nous avons évoqué dans le chapitre précédent dans les « problèmes généraux » concernant les réponses (cf. chapitre 3, point 2.3.4.1.2) : semblent en effet avoir répondu en priorité les personnes qui se sentaient les plus concernées par le problème des termes dans les dictionnaires généraux, et les plus « aptes » à répondre au questionnaire; or, ces personnes-là sont en priorité des cadres (professeurs, chercheurs, ingénieurs), ou bien des personnes comme les étudiants et les traducteurs qui relèvent respectivement de la catégorie des « inactifs » et de la catégorie des « professions intermédiaires », qui sont les catégories les mieux représentées après celle des cadres (entre 15 % et 23 % pour la première, et entre 11 % et 30 % pour la deuxième). La composition de notre échantillon n’est sans doute pas représentative de la population d’un pays en particulier, mais ce n’était pas là notre but. Elle est finalement sans doute représentative des utilisateurs les plus fréquents des dictionnaires généraux.

Passons à présent à l’analyse plus précise des professions des personnes interrogées.

Notes
328.

Faut-il ajouter comme exemple d’un symbole identitaire la possession d’un dictionnaire du type Petit Robert ? Cette analyse n’est pas sans rappeler celle de Galisson que nous avons mentionnée dans le chapitren précédent.