1.1 Perception de l’environnement

La perception et l’appropriation de l’environnement diffèrent d’un individu à l’autre, d’une société à une autre et d’un temps à un autre. A chaque type de civilisation, à chaque type de société l’environnement est vu différemment avec les yeux que leur éducation et leurs motivations avaient façonnés. Le sens ou la signification d’un environnement approprié est donc une qualité de la transaction environnementale des besoins et des préférences tant des personnes que de la société (Runte, 1987; Richez, 1992; Philipsen, 1995; Roux, 1999; Holden, 2000). Selon Stafford (1985), chaque société a ses valeurs qui s'inscrivent dans le cadre d'une évolution historique et qui orientent les comportements et les changements de chaque individu. Par conséquent, la personnalité des individus, dans une société déterminée, est fortement dominée par la culture de cette société. Ainsi, des préférences et des appréciations environnementales ont été expliquées de façons diverses. Cependant, nous nous centrons seulement sur la perspective culturelle. Dans cette perspective, la préférence environnementale est apparue comme le résultat d’une interaction entre une culture donnée et son environnement physique. Un individu répond différemment à un environnement particulier dépendant de ses attitudes, ses croyances et ses valeurs qui sont prédéterminées par l’expérience personnelle et le conditionnement social dans le contexte de sa culture.

Pourtant, les perceptions environnementales ne sont pas figées. Elles sont sujettes à des changements constants. Selon Philipsen (1995), le changement de la préférence environnementale a commencé avec la culture occidentale. Dès le milieu du VIIIème siècle, on considéra que les espaces non cultivés ou milieux naturels étaient répulsifs (Thomas, 1983; Roux, 1999). Pendant le Moyen-âge (800 – 1200), les régions inhabitées sont des lieux hantés par les revenants, fantômes et autres « esprits » maudits. Par exemple, les montagnes de Grande-Bretagne étaient considérées comme des difformités, des déchets de la terre et une source de déception. Elles furent ignorées et évitées, elles étaient synonymes de danger et d’inconfort. D’un autre côté, les zones cultivées sont considérées comme des lieux de sécurité, des zones de beauté. Elles sont considérées comme éloignées de la puissance des esprits mauvais. Toutes ces perceptions étaient basées sur le fait que l’environnement agréable, c’est celui que l’homme comprend et décrypte, celui qui est chargé de signification pour l’observateur. Ce point de vue semble être en conformité avec un proverbe chinois selon lequel « l’environnement appartient à celui qui le regarde ». On pourrait ajouter qu’il n’appartient vraiment qu’à celui qui le comprend, qui le sent, qui le vit – c’est tout un. Un environnement c’est comme un livre, si on ne connaît pas la signification des mots, on ne peut comprendre ce qui est écrit. L’indication est précieuse. Il n’existe pas d’environnement en soi. L’environnement c’est l’adéquation d’un mode de vie et d’un cadre de vie. L’homme a par conséquent, bâti l’environnement dans le quel il vit. Il a façonné pendant de longs siècles (notamment VIème, VIIème et VIIIème siècles) l’environnement à son image (Thomas, 1983 ; Roux, 1999). Les caractéristiques de l’environnement varient donc, suivant les latitudes, les climats, les modes de vie et de production (Holden, 2000).

Pendant la période romantique, des changements radicaux prirent place dans l’appréciation environnementale (Thomas, 1983 ; Runte, 1987; Philipsen, 1995; Roux, 1999 ; Holden, 2000). Le « milieu naturel » 12 cessa d’être l’objet de détestation et devient une source spirituelle retrouvée. Selon Philipsen (1995), les Romantiques considèrent les milieux naturels comme :

  • une illusion naturelle, signifiant l’absence des interventions humaines,
  • un mouvement libre dans l’espace, satisfaisant un désir de solitude et d’individualité, et
  • une simplicité dans une forme d’homogénéité.

C'est cette mutation qui expliquerait notamment le retour ou le recours de l'homme à l'environnement naturel qui apparaît dès lors comme un espace riche de sens. Autrement dit, de tels milieux ont commencé à être appréciés et perçus comme des paradis du règne animal (et végétal) et les espaces sont devenus porteurs des fantasmes d’une nature qui serait proche de la création divine.

Une raison du changement positif dans l’intérêt esthétique du milieu naturel était que la nature 13 sauvage était maintenant perçue comme moins dangereuse. Le changement de cette perception était renforcé par le développement du transport et des cartes qui assuraient un accès plus facile aux environnements sauvages pour des habitants urbains. Par conséquent, la croissance importante de l’attraction des environnements sauvages a augmenté. Ceci aura pour résultat l’accroissement du nombre de personnes concernées par le respect d’une nature non-polluée comme un sanctuaire spirituel (Philipsen, 1995). C'est alors que ces espaces devinrent les espaces de la reconstruction de l’individu. Vers la fin du IXème siècle, période marquée par des niveaux élevés d’urbanisation et d’industrialisation très fortes, le milieu naturel fut considéré comme une opportunité pour échapper aux villes surpeuplées et au « stress » qu’elles engendrent 14 . Autrement dit, c'est l'industrialisation qui alimente chez l'homme un sentiment de nostalgie, le poussant vers des espaces ruraux en mesure de le satisfaire, de le « ranimer » et de le faire « renaître ». Les terres « vierges » participaient donc à l’équilibre biologique et psychologique des citadins en favorisant une sorte de compensation. On recherche dans de telles zones l’air pur, l’oxygène, le silence et le calme qui font défaut en ville. Selon Roux (1999), c'est le caractère « déshumanisant » et « déterritorialisant 15  » de la société postindustrielle qui pousse l'individu à rechercher des espaces propres à satisfaire sa reconstruction, ainsi qu'à permettre le retissage des liens sociaux disparus. Les aires non-cultivées reprenaient les fonctions de terroirs et de pays, alors que la ville incarne le vide et le néant. Ainsi les pratiques écologisantes (découverte de la faune et de la flore) deviennent appréciables.

Notes
12.

Environment sauvage signifie le respect de la nature et la prise en compte de l’écologie, le sens de l’ordre et de l’harmonie esthétique, le retour aux sources et la préoccupation pour la forme et la santé (cf. Thomas, 1983 ; Philipsen, 1995).

13.

Quand nous évoquons la nature, nous ne la mentionnons pas comme un être abstrait, bien au contraire : il faut l’entendre comme une étendue, un territoire sur lequel des activités humaines concrètes sont développées.

14.

Cette réorientation des flux aurait, en outre, le mérite de casser la dichotomie entre la ville qui symbolise l’espace de travail, le temps contraint, le pollué et le milieu naturel symbolisé par les aires protégées qui est le beau, le calme, la liberté.

15.

Pour comprendre le phénomène de déterritorialisation, il faut souligner que l'espace des sociétès préindustrielles était un espace vécu, discontinu, organisé en terroirs, pays. Toutefois, la civilisation industrielle a aboli cet ordre spatial pour lui substituer celui d'un espace horizontal et hypernormé (cf. Roux, 1999).