1.5 Aires protégées au Kenya

Quand l’empire britannique s’est installé en Afrique orientale, la majorité des administrateurs étaient des défenseurs de l’environnement, qui avaient bien suivi le déclin de la population des animaux sauvages aux Etats-Unis, en Inde et en Afrique du Sud pendant l’époque coloniale (par exemple messieurs Ainsworth, E. ; Grigg, A. ; Hardinge, N. ; Leys, G. ; Sandford, M. et Stewart, G.). Ils se sont souciés de développer des aires suffisantes pour la protection des bêtes sauvages afin d’éviter leur extinction. Cette connaissance a poussé l’administrateur colonial à prendre conscience du déclin rapide de la population de la vie sauvage, principalement à cause de la chasse excessive et mal contrôlée.

Après la déclaration formelle du protectorat de l’Afrique orientale en 1896, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères britanniques a requis du Gouverneur du Kenya un rapport sur la situation de la vie sauvage. En 1897, il y eut un accord international sur l’importance d’une règlementation commerciale sur l’ivoire et de la protection de la vie sauvage en Afrique. La même année le Gouverneur du Kenya, Sir John Kirk, a sollicité auprès de la Reine du Royaume-Uni l’autorisation d’établir des ‘aires protégées couvrant des habitats variés au Kenya’ 22 . Deux ans plus tard, en 1899, il a établi le Southern Game Reserve (13000 km²) et le Northern Game Reserve (13 800 km²) en 1900. La raison majeure de ces établissements était la protection de la vie sauvage. Lesdites Game Reserves étaient envisagées comme des enclaves territoriales dotées d’une autorité suffisante pour faire face aux pressions d’éventuels groupes d’intérêts opposés aux mesures de « protection » de la faune.

En 1907, le Gouvernement colonial a établi le Game Department. Les responsabilités de ce bureau étaient de deux ordres :

A l’aube du IXème siècle, il était interdit de chasser sans autorisation. Cependant, durant la même période, beaucoup d’immigrants blancs sont arrivés dans le pays et ils ont commencé à tuer des animaux sauvages sous prétexte qu’ils détruisaient leurs plantes et leur bétail. Ce massacre des bêtes sauvages a continué jusqu’en 1930 lorsque le Gouvernement établit des aires protégées (les parcs et réserves nationaux) où l’habitation humaine était interdite. En 1945, la promulgation de l’ordonnance 23 de création des parcs nationaux par le Parlement a changé l’orientation de la politique de conservation au Kenya : au lieu de la législation sur la chasse, la nouvelle loi visait la protection de l’environnement et l’éviction des communautés locales des zones à protéger (KWS, 1999). Le premier parc national concerné par cette ordonnance fut le parc de Nairobi établi en 1946. A propos de son positionnement Fauchon (1984 : 78) observe que, « …aux portes mêmes de l’aéroport, le Parc National de Nairobi avec sa grande armée d’animaux sauvages… est immédiatement pour le voyageur la meilleure introduction au Kenya… ». C’est « … un parc zoologique unique au monde » (Blixen, 1965 : 15). Plus tard, les aires protégées ont été de plus en plus nombreuses (cf. tableau 1.1, figure 1.1 & 1.2), mais toujours au détriment des communautés autochtones qui n’ont jamais été consultées (cf. sections 5.2.2.1 (a) & 5.2.2.3).

Après l’indépendance accordée par le Royaume-Uni en 1963, le Kenya a adopté et perfectionné le système de protection des aires protégées. En 1976, le Kenya National Parks et le Game Department ont été combinés pour devenir le Wildlife Conservation and Management Department (WCMD) sous la loi de Conservation et Administration de 1976. En 1977, la population d’animaux sauvages, notamment d’éléphants et de rhinocéros, a présenté un soudain déclin à cause du braconnage pour l’ivoire et la corne de rhinocéros (cf. section 4.2.2.1 (b)). Pour régler ce problème, le Gouvernement, par décret présidentiel 24 , a interdit la vente des trophées dans tout le pays ; aucun produit de chasse – même de simples sandales en peau de zèbre – ne pouvait être exporté. Comme aux Etats-Unis, le tourisme est devenu la seule forme d’utilisation de ces aires protégées. En conséquence, le Gouvernement a encouragé le développement des équipements touristiques près des aires protégées. En 1989, le WCMD a été remplacé par le Kenya Wildlife Service 25 (KWS) qui a été autorisé à administrer la vie sauvage dans et à l’extérieur des aires protégées.

Dans son rapport de 1965 le Gouvernement a souligné le rôle qu’il attribue aux aires protégées. Il a déclaré que, « l'importance de la vie sauvage pour l’avenir du Kenya doit être appréciée par tout le monde et les Parcs Nationaux et les Réserves Nationales doivent être protégés et préservés » (IUCN, 1991 :37). Cependant, il est indéniable que, les activités touristiques sont apparues comme un argument puissant en faveur de la création des aires protégées au Kenya voire dans les autres pays. La conservation de la nature pour elle-même n’est pas un thème suffisamment mobilisateur (cf. Western, 1969 ; 1973 ; Thomas, 1983 ; Runte, 1987 ; KWS, 1991 ; 1994 ; 1997 ; Olindo, 1991 ; Richez, 1992 ; Wood, 1992 ; Sindiga, 1995 ; Sindiyo, 1996 ; Kibicho & Dewailly, 2004). Ce sont les retombées économiques que le tourisme induit pour l’Etat et pour les communautés locales qui restent bien l’élément moteur, seul capable de faire accepter les limitations voire les interdictions que les aires protégées entraînent inéluctablement.

Photo 01 
Photo 01 
Tableau 1.1 : Réserves et parcs nationaux au Kenya
Tableau 1.1 : Réserves et parcs nationaux au Kenya

Source : KWS (1994) ; Kenya (2002)

Figure 1.1 : Kenya
Figure 1.1 : Kenya
Figure 1.2 : Localisation des réserves et des parcs nationaux de Kenya
Figure 1.2 : Localisation des réserves et des parcs nationaux de Kenya

La politique de base des aires protégées au Kenya est évoquée dans le Sessional Paper N°. 3 of 1975, « policy on wildlife management in Kenya », qui stipule que les Parcs Nationaux sont des territoires d'Etat qui sont administrés exclusivement pour les quatre objectifs suivants:

Plus avant, le Sessional Paper déclare l'agriculture, les activités pastorales et la sylviculture illégales dans les parcs nationaux. En général, l’utilisation des ressources dans les aires protégées n’est pas autorisée (KWS, 1990; 1994).

Par ailleurs, les aires protégées restent le seul moyen de protection des espèces importantes. C’est pourquoi, depuis l’indépendance, le Gouvernement les a multipliées, pour garantir le capital national et s’assurer du contingent de touristes pour des safaris. D’ailleurs, les promoteurs du tourisme de safari ont également contribué à la représentation que les touristes ont des aires protégées qu’ils ont visités. Agissant sur les représentations, les premiers ont aussi fait évoluer les comportements touristiques.

Notes
22.

L’aire protegée a pour objet de : (i) protéger ce patrimoine, notamment par une gestion adaptée des milieux naturels et des paysages, (ii) contribuer à l’aménagement du territoire, au développement socioculturel, économique et à la qualité de la vie, (iii) assurer l’accès touristique, l’éducation et l’information du public.

23.

National Parks of Kenya Ordinance 1945, devenue Act, Cap 377.Calquée sur celle qui en 1872 institua aux Etats-Unis le premier Parc National du monde, le Yellowstone National Park (cf. sections 1.2 & 1.3).

24.

Cette initiative a été la première décision importante du pouvoir politique en matière de conservation, permettant ainsi de traduire dans les faits le concept de « sanctuaire du milieu sauvage ».

25.

La mission du KWS est de travailler avec les autres individus ou/et organismes à la conservation, à la protection et à l’aménagement de la biodiversité inestimable du Kenya dans l’intérêt de sa population et du patrimoine mondial. Plus précisément, son objectif est d’établir, conserver et gérer de manière durable un réseau national des aires protégées. Ces aires protégées, sources de fierté nationale pour les générations présentes et futures, doivent être des lieux de préservation, d’éducation, de récréation et doivent contribuer au développement des communautés riveraines et à l’économie régionale et nationale. Il est nécessaire de noter que toutes les visites des parcs nationaux au Kenya sont payantes. Ce paiement a deux objets : la nécessité de générer des revenus pour la vie du parc à part, et le paiement par l’individu touriste est un geste psychologique et social pour faire prendre conscience au payeur de la valeur et du respect de l’objet ou du service pour l’acquisition duquel il a dû payer.