2.1 Développement du tourisme international dans le monde

L’origine du tourisme est liée à la révolution industrielle, notamment à l’apparition du chemin de fer qui a permis d’effectuer des voyages moins coûteux pour un grand nombre de personnes. Le train s’associe au voyage et en constitue une partie intégrante. Il a permis d’accéder rapidement à des espaces touristiques fréquentés jusqu’alors seulement par l’aristocratie et quelques autres privilégiés. Le tourisme est alors devenu un phénomène de masse, accessible à tous, à des degrés divers. La massification du tourisme renvoie à deux aspects différents mais étroitement liées :

à la démocratisation de l’activité touristique, c’est-à-dire à la l’extension à de larges couches de la société de l’accès au tourisme, et

à un modèle de comportement qui peut être caractérisé comme étant une forme d’organisation de voyage dans laquelle le touriste achète un ensemble de prestations qui sont identiques à celles qu’achètent les autres touristes (cf. section 5.2.4.2).

Cette révolution provient aussi du développement des lieux de vacances et des stations balnéaires surtout loin des centres urbains. De plus, les transformation qui apparaissent dès le XVIIIème siècle tant au niveau du réseau routier qu’au niveau des véhicules de transport vont bouleverser la société et le rapport à l’espace. On peut, en particulier, dire que l’automobile rendait les déplacements plus fréquents et, en quelque sorte, libérait l’individu de l’immobilisme.

Qui plus est, l’industrialisation 28 continue et la croissance de la société de consommation ont fait naître le besoin « d’être » et « d’exister », en dehors de la sphère mécanisée et robotisée des aires urbaines. La libération progressive de périodes de temps au sein de la journée de travail ou dans la semaine a permis au travailleur de connaître, dès IXème siècle, les joies de la récupération des forces de travail et de vivre les premières expériences du loisir (Thomas, 1983 ; Runte, 1987 ; Urry, 1991 ; Philipsen, 1995 ; Roux, 1999). L’existence d’une norme de progression des salaires réels en fonction des gains de productivité obtenus dans le processus de production a autorisé à penser des modes de vie nouveaux centrés sur la consommation. L’extension de la disponibilité temporelle et financière a été utilisée pour prendre des vacances. D’ailleurs, la maîtrise de l’espace par la technique et l’augmentation relative des niveaux de vie vont permettre la démocratisation relative d’une pratique réservée jusqu’ici à une minorité - élite (Runte, 1987). Cette démocratisation a articulé d’autres dimensions, en particulier un lien étroit avec le travail, et ne peut donc se résumer à l’extension pour de larges couches de la société de l’accès aux produits touristiques. Pourtant, le besoin d’établir un équilibre entre le travail et le temps libre a obligé à réfléchir à la mise en place de modèles de loisirs qui allait servir de référent à la société entière. Sans vouloir exagérer le lien qui peut être établi entre le processus d’enrichissement et l’avènement du tourisme international, il nous semble que durant cette étape historique d’industrialisation, les activités touristiques ont intégré la norme sociale de consommation intensive permettant un nouvel équilibrage des temps sociaux. On peut dire ainsi que, l’activité touristique répondait à des attentes et à des insatisfactions provoquées, en partie, par les excès du mode de travail intensif (Urry, 1991 ; Cuvelier, 1998).

La technologie aérienne, stimulée par les deux Guerres Mondiales, a beaucoup contribué au développement du « tourisme international » 29 . Autrement dit, c’est le développement du réseau aérien qui a rendu les pays lointains plus accessibles. En outre, la politique d’Open Sky 30 des Etats-Unis a représenté également un aspect majeur des transformations touristiques. La dérégulation des marchés a entraîné l’ouverture à la concurrence et l’entrée de nouveaux acteurs. L’entrée s’est d’abord faite par imitation des compagnies en place : duplication du réseau existant, offre d’un meilleur service à prix quasi-équivalent, et s’est généralement soldée par un échec (Vellas, 1996 ; Cuvelier, 1998 ; Viard, 1998). Les alliances et la constitution innovatrice de réseaux globaux ont abouti à la recomposition du secteur aérien. D’ailleurs, les fusions des compagnies aériennes ont bénéficié des synergies et économies d’échelle potentielles, des complémentarités entre expertises technologiques et commerciales de différents acteurs. Point par point tous les coûts variables ont été minimisés ce qui a abouti à des prix dérisoirement bas au regard des tarifs standards incitant ainsi à faire l’expérience. Cette politique de transport aérien a joué un rôle essentiel dans la production des ‘forfaits touristiques’ 31 par les voyagistes (cf. section 5.2.4.2).

Le CRS aussi a joué un rôle fondamental dans la commercialisation des produits touristiques. A la différence des systèmes traditionnels de réservation spécifiques auprès d’une compagnie aérienne ou d’une chaîne hôtelière, ils permettent à une agence de voyage de disposer, à partir d’un seul terminal et en temps réel, de l’accès à toutes les compagnies aériennes et à toutes les sociétés de services qui ont choisi de vendre leurs services par l’intermédiaire de ce réseau. En outre, on doit souligner le fait qu’un système de réservation a d’abord pour but de permettre au touriste, ayant fait un choix parmi plusieurs destinations, d’effectuer les démarches pour s’assurer de la concrétisation de ce choix dans les conditions prévues. Ces démarches cependant, doivent être simples et dénuées de toute source de tracas et de complications pour le touriste (Vellas, 1996 ; Deprest, 1997 ; Viard, 1998 ; Hazebroucq, 1999). Ces transactions électroniques ont laissé apparaître une nouvelle forme d’organisation du marché : la médiation. En tant que médiateurs, les CRS ont pour rôle de trouver dans l’ensemble des produits différenciés, celui qui répond le mieux aux besoins de ce touriste ; tout en minimisant les coûts de transaction. A l’heure actuelle les CRSs sont devenus les nœuds intelligents de gigantesques réseaux qui ont permis d’offrir aux agences de voyages un accès direct aux disponibilités des compagnies aériennes, puis à des prestations associées comme l’hôtellerie, la location de voitures, les lignes maritimes, et tous les services de tourisme et de loisirs.

Les nouvelles technologies supportant les activités touristiques, les nouveaux marchés, les nouvelles ressources, l’élargissement des ressources fondamentales – par exemple multiplication des ressources construites ou artificielles (parcs à thème, sites industriels…) - ont eu pour conséquence l’émergence de nouveaux acteurs, de nouvelles stratégies et de nombre de ré-arrangements organisationnels et institutionnels, encore très largement en cours. En plus, le développement démographique, l’enrichissement des populations des pays du Nord, les modes et la publicité grâce aux moyens modernes de communication (principalement le télévision et l’internet qui ont fait découvrir « visuellement » des destinations et des paysages lointains, créant ainsi l’envie de les visiter physiquement), ont eu des effets profonds sur le tourisme international (cf. aussi section 11.2.2).

Ces changements ont provoqué une croissance touristique sans précédent. En 1950, par exemple, il y eut 25 millions de touristes internationaux, 166 millions en 1970, 459 millions en 1990 et 561 millions en 1995 (WTO, 2001). Aujourd’hui, le tourisme est considéré comme la plus grande « industrie » mondiale et comme le secteur d’activité qui connaît la croissance la plus rapide. En 2000, le tourisme a représenté plus de 11% du PNB mondial et procuré directement 200 millions d’emplois à travers le monde. Durant la même année, le PNB a progressé de 2,4%, et 698 millions de personnes ont visité un pays étranger ; ainsi le tourisme international a généré des recettes de l’ordre de 1 445 milliards de dollars Américains (WTO, 2001). Cette croissance est estimée devoir se poursuivre avec une possibilité d’avoir 1 milliard de visiteurs à l’horizon de 2010 (WTO, 2001) (cf. tableau 2.1). Autrement dit, l’évolution du nombre de touristes prend la forme d’une courbe exponentielle, dont la caractéristique majeure est de croître sans limite. Si les prévisions de croissance ne se démentent pas et si les proportions restent les mêmes, on dénombrerait donc près de 20 milliards de touristes chaque année dans le monde dans une bonne vingtaine d’années. Pour Krippendorf (1977 : 25) « l’explosion du tourisme qui en est encore à ses débuts, constitue un des exemples les plus frappants de ce processus ». En effet, comme le soulignent certains rapports de l’Organisation Mondiale de Tourisme (OMT) 32 (OMT, 1993a ; 1993b ; 1997 ; 1999 ; WTO, 1993 ; 1996 ; 2000 ; 2001), le tourisme est devenu le secteur majeur du commerce international de services ; il est aussi le plus important secteur d’activité de nombreux pays ou au moins leur principale source de devises étrangéres ; enfin, il est dans la plupart des pays un vecteur important de création d’emplois.

Tableau 2.1 : Tourisme mondial : arrivées et recettes 1970-2000
Années Arrivées (milliers) Recettes ($ milliards)
1970
1990
1993
1995
1999
2000
166
459
519
561
657
698
18
268
322
386
455
476

Source : WTO (2001 : 26)

Ces résultats exceptionnels démontrent à nouveau le caractère très dynamique du secteur touristique mondial qui continue son expansion alors qu’on enregistre dans de nombreux pays un ralentissement de la croissance économique. L’un des phénomènes les plus marquants de l’évolution actuelle du tourisme international est une plus forte exigence du rapport qualité-prix qui contribue à renforcer la croissance des nouveaux pays touristiques du Sud (cf. section 11.1.2.3). C’est ainsi que la répartition de la richesse du tourisme global se modifie rapidement au profit des pays touristiques du Sud qui ont jusqu’à présent développé un tourisme de haut de gamme qui a permis d’enregistrer une croissance plus rapide.

En conséquence, parmi les autres évolutions récentes du marché touristique mondial, les activités du tourisme international sont souvent marquées par un mouvement des pays développés vers ceux en voie de développement, ou « du Nord au Sud » 33 (cf. par exemple Smith & Turner, 1973 ; Kadt, 1979 ; Barnier, 1983 ; Kiss, 1990 ; OMT, 1993a ; Cuvelier, 1998 ; Michel, 1998). De façon plus générale mais plus systématique, il a été observé que, ces flux nord-sud correspondent aussi aux grands courants d’échanges commerciaux (Kadt, 1979 ; Kiss, 1990 ; Urry, 1991 ; Spindler, 2003). De 1980 à 1995, l’Europe et l’Amérique du Nord ont connu un déclin relatif des arrivées internationales pendant qu’en Afrique et en Asie, les arrivées internationales ont augmenté (WTO, 1996). Cependant, il n’en demeure pas moins que les flux de recettes et de dépenses touristiques proviennent essentiellement d’échanges Nord-Nord, entre pays industrialisés ou nouvellement industrialisés. Outre l’augmentation des visites internationales, il convient de noter que, depuis les années 1960, l’intérêt pour le tourisme de nature a augmenté. Cette augmentation est due à l’accès plus facile aux aires protégées et à la publicité vigoureuse pour ces zones. Ainsi, le tourisme de safari est devenu très populaire surtout auprès des touristes américains et européens (cf. photo 01).

Notes
28.

L’industrialisation d’une façon générale a transformé la relation de l’homme à l’espace, en créant des lieux hypercodés, dans un univers orthonormé. Dans cet univers standardisé, le temps des vacances devient un temps de la compensation, voire un temps thérapeutique et curatif qui libère du quotidien.

29.

C’est la forme du tourisme où les touristes se déplacent en dehors de leur pays de résidence, pour au moins une nuit et pas plus qu’une année dans le but de visiter le pays etranger choisi et non d’y exercer une activité rémunérée. De cette définition, sont par conséquent exclus les excursionnistes séjournant moins de 24 heures dans le pays visité et qui contribuent néanmoins souvent de façon significative à l’économie touristique de certaines régions frontières et de nombreux petits pays insulaires qui reçoivent essentiellement des touristes de croisière (cf. OMT, 1993).

30.

Open Sky est basée sur le principe de la liberté d’accès au marché pour tous les transporteurs aériens.

31.

Le voyage à forfait est un voyage organisé suivant un programme détaillé, comprenant un ensemble plus ou moins étendu de prestations touristiques, pour un prix fixe, determiné à l’avance. Le tour opérateur choisit, à l’avance et à la fois : la destination, le moyen de transport, l’hébergement, ainsi que le mode d’accompagnement qui peut être complet ou partiel, voire limité à l’acceuil. En général les voyages à forfait comprennent les formules « tout compris » et des formules « mixtes » dans les quelles une partie seulement des prestations touristiques est fournie (cf. par exemple Davis, 2003).

32.

L’OMT a été créé en 1970. Il regroupe aujourd’hui 133 Etats membres et plus de 5 membres associés.

33.

Il y a une opposition entre les pays du Nord et ceux du Sud par la différence qui les opposent dans l’appréhension du phénomène touristique : les uns s’arrogeant toute prérogative au détriment des autres, ce qui conduit à une forme de tourisme que l’on qualifie de « tourisme prédateur ». Autrement dit, il y a une « double bi-polarisation », qui oppose, d’une part, le Nord et le Sud et, d’autre part l’environnement et le développement local (Spindler, 2003).