2.3 Du tourisme de masse au tourisme durable : un nouveau souffle ?

Avant les années soixante des destinations touristiques internationales ont adopté le tourisme comme une panacée économique. Par conséquent, le tourisme de masse s’est largement développé basé sur le modèle des « 4S ». C’est un sigle fréquemment utilisé dans les analyses sur le tourisme et qui liste les principales motivations suscitées par le littoral : Sand, Sun, Sea et Sex. Il est à l’origine d’un modèle d’aménagement et de développement touristique qui s’est développé au cours des dernières décennies autour des bassins littoraux. Il a représenté, à partir des années soixante-dix, l’archétype du tourisme de masse. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer le processus de massification qu’ont connu de telles destinations :

On peut donc dire que, la massification du tourisme a été rendue possible par la transformation des conditions de son organisation sociale.

Grâce à ces raisons, le tourisme s’est largement développé là où l’administration des destinations s’est intéressée à la quantité plutôt qu’à la qualité. Avec ce développement massif et non contrôlé, le tourisme a généré des effets négatifs pour environnement et le domaine socio-économique (Kadt, 1979 ; Mathieson & Wall, 1982 ; Deprest, 1997). Après 1970 on a largement réalisé que le développement du tourisme de masse a eu des effets négatifs sur l’environnement 39 . Dans la même période, s’est développé un écocentrisme basé sur l’utilisation non-économique de l’environnement (Thomas, 1983 ; Philipsen, 1995 ; Gursoy, et al., 2001). Du point de vue écocentrique, l’homme est une partie du système naturel. L’homme étant un élément de la nature au même titre que la flore et la faune, se doit d’en respecter les règles d’équilibre. Ainsi il ne détruirait pas l’écosystème naturel qui est le fondement de sa vie. L’homme doit vivre en symbiose avec la nature sans songer à la dominer et à l’asservir. En général, l’écocentrisme est pessimiste et souligne l’importance de la limite écologique dans l’écosystème. La possibilité du développement économique doit être considéré en relation avec les conséquences positives ou négatives sur l’environnement. Dans cette perspective, on considère d’abord l’environnement et ensuite l’homme (cf. aussi annexe A10) (Thomas, 1983 ; Runte, 1987 ; Philipsen, 1995).

Ce développement a provoqué une nouvelle perspective qui a reconnu les valeurs environnementales des aires protégées (Runte, 1987 ; WCED, 1987). En conséquence, il y a une attitude de rejet du tourisme de masse par des communautés locales (dans les destinations touristiques) mais aussi par des touristes « élitistes » et des groupes de pression. Donc, la politique concernant les aires protégées a changé et en même temps a souligné l’importance de contrôler le développement touristique dans ces zones qui ont vu la naissance du tourisme durable ou alternatif (Mathieson & Wall, 1982). On peut ainsi dire que ce type de tourisme est encouragé par la demande (cf. aussi section 2.2 & annexe A6). Le goût pour l’aventure et l’incertitude est, pour essentiel, présent dans cette forme de tourisme. Elle est structurée par une exigence de services et une intensité des relations de service. Les interactions entre le touriste et les prestataires doivent être nombreuses car les touristes sont vigilants et exigeants (cf. aussi section 12.2.2). Par conséquent, au contraire du tourisme précédent, le tourisme durable ne passe pas par la minimisation des coûts mais par la qualité des prestations délivrées et par les variations de produits et services touristiques. La vigilance des touristes réclame de la part des prestataires de disposer de savoir et de savoir-faire particuliers (langues, qualité relationnelles, expérience…) pour répondre à leurs attentes. En bref, ils doivent penser leur offre de prestations comme un potentiel de réponses multiples toujours en évolution et anticiper la modification des goûts et ainsi des comportements des consommateurs – touristes. La concurrence entre les prestataires se joue alors sur le niveau de qualité et sur l’originalité des produits touristiques proposés.

Depuis presque une décennie la « durabilité » fait partie du lexique du tourisme. Cependant, la constitution de ce concept a été discutée sans conclusion et son interprétation varie considérablement (cf. par exemple The Brundtland Report : WCED, 1987). C’est un concept ambigu et par conséquent il peut être interprété de différentes manières par des groupes opposés du point de vue politique et philosophique. Pour certains par exemple, la durabilité signifie que le changement est acceptable tandis que pour d’autres la conservation doit être la priorité. Les questions se posent également quant à ce qui doit exactement être conservé, dans quel but, à quel prix et pour qui. Quels sont et seraient les conditions d’un tourisme durable ? Qui détermine la signification du concept de la durabilité, et qui décide comment il devrait être réalisé et évalué? Quels critères et indicateurs peuvent permettre de l’évaluer ? En conséquence, les différences de responsabilités de chacun, enfin, entraînent des modes discursifs différents. Le scientifique use de rigueur et étaye ses affirmations de chiffres et de résultats d’expériences ; les aménageurs se réfèrent à un art, ou à une technique, la politique utilise le compromis, en se référant à une éthique du Gouvernement. Comment peut-on donc, synthétiser les approches, unir les « langages », harmoniser les discours et la diversité des modes de raisonnement ? Quand on parle de « durabilité », de quoi parle-t-on ? Bref, la définition opérationnelle mise en place par des acteurs touristiques variés ne saurait être validée sans de très nombreuses critiques. Des réponses à ces questions peuvent rendre opérationnel le concept de tourisme durable et en fait permettre d’instaurer un dialogue constructif entre les détenteurs des trois valeurs suivantes : le développement local, la satisfaction de touristes et la conservation de l’environnement.

Le tourisme durable est la traduction de la locution anglaise sustainable tourism qui n’ayant pas de véritable équivalent en français est aussi traduit par « tourisme soutenable » (Deprest, 1997). Preuve en est la multitude de désignations fréquemment associées à ce terme ou employées indistinctement, écotourisme, tourisme de nature, tourisme vert, tourisme alternatif, tourisme rural… Ces différentes désignations montrent l’absence d’homogénéité et de consensus, aussi bien dans les conceptions que dans les pratiques. Pour cette étude, le tourisme durable est celui qui vise à trouver le ‘juste équilibre’ 40 entre les objectifs environnementaux, économiques, socioculturels et récréatifs, dans les limites fixées par la dynamique des systèmes dans une destination. Il prétend assurer un avenir raisonnable aux pratiques, en harmonisant développement économique local, enrichissement culturel des visités et protection de l’environnement (cf. aussi annexes A4, A5 & A6). Toutefois, dans la logique du développement durable, le tourisme doit respecter et utiliser convenablement le patrimoine naturel, historique et culturel. Par ailleurs, la conception responsable d’un projet de développement durable est contraire à l’interprétation du tourisme comme modèle univoque de développement. Pour qu’un projet de développement atteigne les objectifs de durabilité, il doit réunir un ensemble intégré et diversifié d’activités dont le tourisme peut être un aspect remarquable mais jamais exclusif (cf. Wood, 1992 ; Sindiga, 1995 ; Arriba, 1999). Par ailleurs, plusieurs auteurs précédents insistent sur le fait que le tourisme durable est l’implication simultanée et donc complexe des acteurs dans un système de « bonne gouvernance » pour répondre aux besoins sociétaux d’une pratique touristique respectueuse et qui apporte de la valeur ajoutée socio-économique (Krippendorf, 1977 ; Mathieson & Wall, 1982 ; Barnier, 1983 ; Kendall & Var, 1984 ; WCED, 1987 ; Kiss, 1990 ; Cazes, 1992c ; Spindler, 2003).

Plusieurs chercheurs ont observé que, si le tourisme est pratiqué de manière durable, il peut être une force agissant en faveur de la conservation et il peut fournir des occasions uniques de renforcer la sensibilisation et le soutien aux efforts de protection de la nature (Runte, 1987). Ainsi, le tourisme doit être planifié, géré et pratiqué d’une manière qui ne nuise pas à la biodiversité et qui soit écologiquement durable, socialement bénéfique et économiquement viable (Barnier, 1983 ; Kendall & Var, 1984 ; WCED, 1987 ; Kiss, 1990 ; Cazes, 1992c). Le développement du tourisme durable doit donc répondre aux besoins actuels sans compromettre la capacité des générations futures à faire appel aux mêmes ressources. Une conclusion semble donc s’imposer d’emblée : il s’agit de minimiser les coûts de développement tout en préservant les bénéfices à venir. On va voir que cette conclusion est au cœur de la philosophie générale qui fonde la notion de tourisme durable : une forme de tourisme où des citadins-touristes coexistent avec des ruraux-communauté d’accueil.

Un des signes de qualité du tourisme dans ces dernières années a été la demande accrue de produits touristiques « verts » ou « environnementaux-amicaux » - green consumerism. Une telle demande est liée à la conscience élevée des touristes des issues socio-environnementales du développement touristique. Comme le souligne de manière pertinente Weaver (1998), ces nouveaux touristes sont davantage ouverts, compréhensifs et indépendants. Ils veulent voir, expérimenter quelque chose de différent et profiter mais sans détruire. Ils ont changé de valeurs et de style de vie. Cette évolution de la conscience est favorisée par la grande diffusion des informations et par le rôle de la publicité. En conséquence, durant les années quatre-vingt la promotion du tourisme durable est devenue l’ingrédient inévitable pour presque n’importe quelle destination touristique. Les destinations ont introduit des objectifs environnementaux dans leurs stratégies dans le but d’attirer plus de visiteurs et d’améliorer leur « image » en focalisant leurs produits touristiques sur le thème de l’environnement. Ainsi, l’environnement est devenu un objet de consommation et une image marketing forte. On peut s’interroger toutefois sur la capacité de cette offre touristique à maintenir une qualité et un niveau de prestations compatibles avec l’explosion touristique citée plus haut. A l’origine quelques touristes ne perturbent guère une destination visitée. Mais dès qu’un hébergement spécifique est construit, s’établit un rapport commercial et plus artificiel. Parallèlement au développement des destinations, se créent des équipements et aménagements d’abord légers, puis lourds. La nature est de plus en plus maîtrisée et artificialisée, ce qu’il perd en authenticité de vécu.

Les concepts de tourisme durable et de protection de la biodiversité proposés par les organismes internationaux et les innombrables organisations non-gouvernmentales (ONG) locales, ont ouvert les yeux aux chefs locaux et aux familles étendues. Ils ont à leur tour, proposé un produit/service touristique qui réponde à ces concepts « sur le papier » mais qui, dans la pratique, laisse beaucoup à désirer. En réalité, les communautés d’accueil subiront des mutations et devront s’adapter à un discours et à divers projets touristiques qui leurs seront toujours étrangers, mais qui leur permettront d’augmenter leurs revenus. Autrement dit, la réponse à la demande de tourisme durable ne se construit que dans le but d’augmenter le volume des affaires ou d’améliorer la prestation de service.

Par conséquent, la fiabilité des « simples déclarations » par des destinations touristiques soulignant leur sensibilité à l’environnement est souvent difficile à vérifier. Beaucoup de personnes par exemple, restent sceptiques sur la déclaration d’un fournisseur des produits/services touristiques prétendant qu’il utilise des pratiques « vertes » et que son processus de production est respectueux du fonctionnement environnemental. Ils le soupçonnent de manœuvres de relations publiques (Runte, 1987 ; Weaver, 1998 ; Spindler, 2003). Par ailleurs, les touristes peuvent se laisser abuser par des produits nuisibles à la nature, à cause du manque de détails ou d’informations incomplètes et parfois erronées présentées par des fournisseurs. Ceci nécessite le recours à des critères aisément identifiables et mesurables qui supposent une définition objective de la durabilité. Il convient de définir concrètement les critères et indicateurs socioculturels, économiques et environnementaux pour arriver à une évaluation de la durabilité. Cela permettra aux destinations et aux acteurs touristiques de se positionner et de mesurer éventuellement le chemin à parcourir vers les impératifs de la durabilité. De fait, la mise en place d’une « norme » impose donc également l’intervention d’un organisme tiers, accrédité et indépendant, qui se charge d’attribuer les « certificats » de conformité aux destinations et aux fournisseurs de produits/services touristiques désireux de se soumettre à la norme. Par exemple, les organismes tels que The Green Globe, Fair-Trade et Tourism Concern ont été influents en mettant en application des normes fixées par The World Travel and Tourism Council (WTTC) pour des entreprises et des destinations touristiques. En effet, The green Globe fournit des informations et conseille les opérateurs touristiques afin que les fournisseurs de produits/services touristiques puissent modifier leurs procédures de gestion et ainsi améliorer la qualité environnementale de leurs opérations.

En outre les destinations certifiées disposent de leur côté d’un signe de qualité officiellement reconnu et valable dans le monde, tandis que les touristes bénéficient d’une information fiable parce qu’indépendante de préoccupations purement commerciales. En d’autres termes, non seulement l’agence agit concrètement sur les destinations touristiques concernées, en misant sur les « meilleures » équipes locales, mais elle se crée aussi une image positive. Le durable devient son image de marque, sa propre publicité. La multiplication d’organismes de certification 41 non-contrôlée toutefois alourdira les contraintes pesant sur des destinations touristiques qui se retrouveront soumises à des règlements et à des procédures de plus en plus sévères et diversifiées.

En somme, pour passer du concept tantôt vague, tantôt technocratique, de tourisme durable, aux marques quotidiennes et pérennes dans chaque élément du produit touristique, il conviendra d’être plus précis dans la définition des critères et indicateurs. Il s’agira également de ne pas les appréhender dans une vision comptable mais comme :

In fine, il faudra définir la notion de durabilité et comprendre sa transposition à l’aire protégée kenyane, dresser le tableau d’un tourisme de safari en tenant compte de l’inadaptation encore forte à de vraies pratiques professionnelles et de l’implantation d’infrastructures dont le caractère diffus est autant heureux qu’handicapant. Les questions qui restent sans réponses sont les suivantes : si les aires protégées se placent dans la perspective d’être les modèles de la durabilité, quelles compétences doivent-elles développer pour tenir cette ambition ? Il convient donc de se demander avant tout si le tourisme durable est réaliste, s’il est performant, si les dispositions qu’il exige sont faciles à instaurer, et enfin, quelles politiques pourraient allier des critères d’exigence partagés entre la communauté locale, les touristes, les gestionnaires des aires protégées et les entrepreneurs locaux?

Notes
39.

cf. annexes A5 & A6.

40.

On doit noter avec insistance, que trouver la compatibilité entre développement local, conservation de l’environnement et développement touristique est un équilibre périlleux.

41.

Les systèmes de certification, les éco-labels, les codes d’éthique sont des formes de réponse institutionnelles diversifiées et appropriées aux différents types de problèmes qui ne peuvent être traités par le fonctionnement normal du marché (cf. par exemple, Foster, 1973 ; Krippendorf, 1977 ; Kiss, 1990 ; IUCN, 1991 ; Bisleth & Jensen, 1995 ; Brandon, 1996 ; OMT, 1997 ; Amalou et al., 2001 ; Spindler, 2003).