3.2 Tourisme et économie locale

‘« Good quality ! Good price !’ ‘Je n’ai que ce que je mérite : gueule de touriste.’ ‘Fantasme de touriste, emplettes-souvenirs de touriste.’ ‘J’appartiens à ce troupeau innocent que l’on trait de ses dollars US».’ ‘Jean-Luc Coatalem, Suite indochinoise (roman)’

Toutefois Turner & Ash (1975 : 186) ne sont pas moins catégoriques lorsqu’ils observent qu’ :

‘« …il n’est pas possible de considérer le tourisme comme un moyen d’amélioration du progrès humain ; en réalité, il y a même beaucoup de raisons de croire qu’il empêche sérieusement le développement et le progrès. C’est, en effet, en matière industrielle, la dernière chose que les destinations auraient dû choisir. Il se peut même que les profits de l’activité touristique soient totalement illusoires et que tous les projets sur les réalisations dans ces domaines aient été faits pour rien… ».’

L’avantage le plus évident et le plus direct du développement touristique est la création d’emplois et la possibilité pour les communautés locales d’accroître leurs revenus et leur niveau de vie. Il permet, en particulier, à beaucoup de jeunes de s’insérer dans la vie professionnelle et d’acquérir assez d’expériences et de compétences pour évoluer dans ce secteur ou bien exercer ensuite leur activité dans des secteurs d’activité connexes. Le tourisme utilise relativement beaucoup de main d’œuvre et crée des emplois à tous les niveaux de compétences ; il favorise également le développement d’autres secteurs tels que le bâtiment, les travaux publics, les transports et l’alimentaire. Par manque d’information, l’analyse du marché du travail généré par le tourisme se limite souvent à l’évaluation des activités dites caractéristiques, dont les spécialistes considèrent par convention que le niveau de production est directement lié au phénomène touristique. Ces difficultés liées à la mesure de l’emploi touristique, au-delà de la multiplicité des sources, des variations saisonnières, du travail clandestin et cætera, relèvent de raisons conceptuelles.

Les emplois engendrés peuvent être directs 50 et indirects 51 . Les emplois directs sont souvent dans les hôtels, les restaurants et les tours opérateurs. Cependant, la rotation du personnel est très élevée dans la plupart des sous-secteurs touristiques et doit être vue à la lumière du caractère saisonnier, des mauvaises conditions de travail, du faible niveau de qualification, du manque de perspectives et de carrières. Cette rotation élevée du personnel représente un obstacle important au développement du secteur car les entreprises touristiques sont obligées d’utiliser beaucoup de ressources pour le recrutement et l’installation de nouvelles équipes. Ils n’arrivent donc pas à construire des groupes bien informés et innovateurs. Le tourisme a aussi des retombées indirectes sur d’autres secteurs de l’économie. L’accroissement de la demande de denrées alimentaires, de souvenirs et d’autres articles, par exemple, crée des emplois dans l’agriculture, les industries agro-alimentaires, les métiers artisanaux et les industries locales. Des emplois sont aussi créés dans le bâtiment et dans les industries de biens d’équipements lors des constructions d’hôtels et de centres de tourisme. Les retombées économiques du tourisme sont donc évidentes sur la communauté locale dans la région d’Amboseli où la tentation est grande pour les habitants d’abandonner les activités pastorales traditionnelles pour se lancer dans l’activité touristique. Le tourisme a encore l’attrait de rapporter plus rapidement que d’autres activités économiques (Kadt, 1979). L’activité touristique crée aussi l’emploi induit 52 . Cependant, cette nomenclature d’emplois touristiques n’est pas pleinement satisfaisante car elle laisse dans l’ombre la foule anonyme des occupations que l’on pourrait qualifier d’occasionnelles, déguisées, clandestines… que le tourisme montre une étonnante propension à faire foisonner : minuscules prestataires de service (souvent enfants et adolescents), prostitués (des deux sexes) et cætera.

La communauté locale peut aussi tirer bien d’autres avantages de la situation nouvelle par une amélioration de la qualité de la vie. Une telle amélioration est souvent marquée par l’installation de logements, d’eau potable, d’évacuation des eaux usées, d’écoles et d’autres services qui ne bénéficient pas qu’aux touristes (cf. par exemple section 14.1 & figure 14.1). Le tourisme rapporte également des devises étrangères. Les principaux gains nets sur devises sont les impôts perçus sur les achats d’articles importés et d’articles locaux.

En arrivant dans une destination, un touriste fait du sport, visite des monuments ou des parcs d’attractions, va au cinéma ou au restaurant payant chaque fois pour les services recommandés. Le tourisme est alors peut-être l’une des activités économiques ayant des effets multiplicateurs les plus divers. Par exemple, quand un touriste paye sa note d’hôtel, l’argent perçu par l’hôtelier sera utilisé pour régler différentes dettes : électricité, téléphone, repas, personnel et autres biens et services. Les bénéficiaires, à leur tour utilisent l’argent perçu pour payer leurs factures et satisfaire leurs besoins. L’argent du touriste est ainsi dépensé plusieurs fois, s’étendant dans différents secteurs d’économie, donnant chaque fois naissance à de nouveaux revenus. Il irrigue non seulement les industries de la consommation mais aussi certaines branches de production, les services publics, les banques, les assurances et les administrations fiscales. Les dépenses effectuées par les touristes hors des entreprises touristiques prolongent ces effets. Néanmoins, les calculs de ces multiplicateurs sont sans doute très complexes et fastidieux.

Toutefois, ces créations d’emplois génèrent souvent un déséquilibre dans une zone touristique. Un courant de migration depuis les zones voisines s’installe, dépassant les capacités d’embauche. Les emplois y deviennent insuffisants, et le chômage s’installe dans des régions où le coût de la vie est devenu très élevé, ce qui engendre la misère et la prostitution (Kibicho, 2004). D’ailleurs l’emploi touristique est normalement médiocre et saisonnier.

L’internationalisation du marché touristique met en difficulté les produits qui, par conviction, par éthique ou par respect d’une législation plus exigeante, sont plus respectueux des « intérêts » des populations/économies locales. Par ailleurs une fois transporté, il arrive que le touriste ne croise même plus l’autochtone : c’est la formule « club » 53 . C’est là qu’un simple grillage caché par des feuillages fixera la frontière infranchissable entre « les Uns – Nous » et « les Autres », interdisant toute main tendue, l’étranger étant désormais plus « chez lui » que l’habitant lui-même. Amalou (2001) et ses collègues considèrent ce type de tourisme comme le plus dommageable : quant à l’accès aux parcs, aux musées et aux centres culturels, ne sont-ils pas souvent gratuits, une fois payés le transport aux compagnies aériennes, le gîte et le couvert à la chaîne internationale d’hôtels ? Ni les tours opérateurs ni leur clientèle ne seraient en mesure de contrôler, s’ils le voulaient, l’utilisation et la distribution des sommes payées à l’achat. Certains pays récepteurs ont pris conscience du fait que les sommes versées par les touristes ne favorisaient pas le développement économique autant qu’elles le pourraient. En Gambie, par exemple, la décision a été prise de refuser l’accueil d’un tourisme à forfait (Davis, 2003). Cela n’est pas du goût des agences de voyages (internationales) : le nombre de touristes a chuté (Amalou et al., 2001).

Notes
50.

Les emplois directs sont créés directement par les dépenses des touristes : hébergements divers, restaurants, bars, boîtes de nuit, services récréatifs (sports, culture, spectacles), agences de voyages et de location saisonniaire, services divers liés aux transports d’accès et intérieurs (compagnies aériennes et maritimes, aéroports et ports, cars d’excursion, location de voitures, de motos, de vélos ou de bateaux, taxis…), services publics de l’Administration du tourisme et services annexes, par exemple : douane, entreprises de production et de distribution de biens à destination principalement touristique par exemple, artisanat (souvenirs).

51.

Les emplois indirects sont des activités conventionnelles/banales ou spécialisées fournissant exclusivement ou partiellement, avec ou sans régularité, le secteur d’entreprise touristique : construction des infrastructures et des équipements, maintenance et rénovation ; approvisionnements multiples de nature agricole et alimentaire, énergétique, industrielle et artisanale ; commerce polyvalent de détail vendant aux visiteurs comme aux intermédiaires spécialisés, et cætera.

52.

Les emplois induits par les effets multiplicateurs de la dépense touristique internationale, engendrés par la demande exprimée localement par les agents économiques ayant reçu des revenus directs, ou répercutés, en provenance des visiteurs extérieurs (Cazes, 1992c).

53.

Tourisme/voyage à forfait (cf. section 5.2.4.2).