3.4 Elaboration de la problématique

Les réflexions qui précèdent permettent de situer la relation communauté d’accueil-tourisme dans leur contexte actuel dans la région d’Amboseli. Une relation complexe et parfois conflictuelle caractérisée par le pouvoir que possèdent des centres urbains de déterminer les manifestations et des infrastructures dans les aires rurales, et de construire ces aires comme un objet de l’imagination métropolitaine. D’une façon générale cette conflictualité provient des « exigences » et/ou « conceptions » des touristes (citadins) différentes et ou opposées à celles des la communauté locale/d’accueil. Par exemple, cette étude (cf. section 8.3) montre que ces deux groupes, habitants locaux /ruraux et touristes/citadins, ont des perceptions tout à fait différentes de l’environnement. Alors que la communauté d’accueil regarde le tourisme comme un moyen d’alléger les « problèmes » associés à une pénurie, les touristes regardent cet isolement comme le produit touristique lui-même.

Comment et jusqu’à quel point l’évolution touristique influe-t-elle sur la vie de la communauté maasaï ? Par qui et pourquoi le tourisme a-t-il été introduit dans la ‘région d’Amboseli’ 56  ? Comment, peu à peu, est-il devenu, aux yeux de quelques membres de la communauté d’accueil, le seul moyen de développement économique ? Devant le développement vigoureux du tourisme national, en particulier à Amboseli, une question pertinente fut posée avec insistance par plusieurs spécialistes : les activités touristiques génèrent-elles plutôt des bénéfices socioculturels et économiques ou des inconvénients pour les communautés d’accueil ? De quelle nature sont ces conséquences ? Positives ou/et négatives ?

En somme, comme dans plusieurs destinations des pays du Tiers Monde, les relations communauté d’accueil-tourisme se structureraient autour de trois axes prioritaires: le changement de la ressource foncière, le changement économique et le changement socioculturel (Pizam, 1978 ; Kadt, 1979 ; Koegh, 1990 ; King et al., 1990 ; Cazes, 1992c). Cependant, pour comprendre les défis auxquels est confrontée la communauté d’accueil dans la région d’Amboseli (les Maasaïs), en raison du développement touristique, il est essentiel d’identifier la contradiction entre l’image très répandue du pastoralisme Maasaï soutenu par le lait, la viande, et « le sang » (Kessel, 1958 ; Milley, 1973 ; Fouchon, 1984 ; Ficatier, 2004) et l’expérience actuelle de cette communauté qui vit dans des régions du Kenya ‘riches en faune sauvage’ 57 . La classique représentation du Maasaï est souvent vendue comme élément de l’expérience touristique – ‘un composant de safari’ 58 (cf. par exemple Photo 09) (Fouchon, 1984). Les touristes payent pour visiter des ‘villages maasaïs’ 59 , où ils entendent le bruit des cloches du bétail et observent des filles et les morans dansant… Il convient de noter que derrière ces images célèbres de pastoralisme il y a des changements de valeurs et d’aspirations, dans la communauté, du fait des circonstances modernes, propulsées par des influences telles que le tourisme.

Photo 09 
Photo 09 
Notes
56.

La région d’Amboseli est d’abord un territoire habité, sur lequel l’homme d’aujourd’hui actualise une histoire qui dépasse ses intérêts et ses consciences : de sorte que l’espace vécu se fonde sur une sensibilité collective, un imaginaire social. Et il n’est point nécessaire que cet imaginaire collectif et transhistorique soit consciemment perçu pour exercer sa puissance sur les divers aspects de la vie en communauté (cf. Tacussel, 2000).

57.

La faune sauvage en pays maasaî est si riche, en grande partie grâce aux Maasaï qui vivent en harmonie avec la nature.

58.

Les Maasaïs, au lieu d’être reconnus pour leur remarquables savoir-faire dans l’art de façonner un environnement pastoral favorisant l’épanouissement de la vie sauvage en même temps que la survie de leur bétail, leur image devenue mondialement célèbre de « magnifiques guerriers buveurs de sang » ! Au point que « l’Etat moderne » n’a jamais voulu conserver d’eux que cette image, au détriment toujours de leur réalité devenue au fil des ans et des incompréhensions accumulées, de plus en plus complexe (cf. par exemple Kessel, 1958 ; Milley, 1973 ; Fouchon, 1984 ; Péron, 1995 ; 2004 ; Ficatier, 2004).

59.

Les touristes ne voient que des villages touristiques sur les voies menant aux aires protégées. Les chauffeurs-guides perçoivent un pourcentage chaque fois qu’ils amènent les touristes dans un village plutôt qu’un autre. Une fois sur place, ils insistent sur le fait que la visite doit être courte car les Maasaïs sont « imprévisibles », voire dangereux. Ceci continue de forger auprès des Occidentaux l’image guerrière et « sauvage » des Maasaï (Milley, 1973 ; Hoffman, 2000 ; Péron, 2004).