3.5 Construction des hypothèses

Les résultats de ces études suggèrent que les attitudes des habitants sont influencées par les impacts touristiques perçus. L’activité touristique a des impacts considérables, positifs et/ou negatifs, sur plusieurs plans : environnemental, socioculturel et économique. L’objet de cette section est d’utiliser la synthèse que nous avons faite dans les (sous-)sections précédentes de ce chapitre, pour définir un modèle qui démontre l’effet des facteurs variés des impacts touristiques sur les attitudes de la communauté locale dans la région d’Amboseli. Au cours des pages suivantes, nous présenterons alors des hypothèses sur la relation environnement-communauté locale-tourisme qui nous aideront à proposer un « modèle théorique » 66 d’évaluation des relations possibles afin de déterminer si elles sont directes ou indirectes, valides ou invalides (figure 3.3).

Comme nous l’avons dit plus haut, la majorité des études sur les attitudes des habitants conclut que la communauté locale soutient le tourisme comme une stratégie du développement économique (Beslie & Hoy, 1980 ; Koegh, 1990 ; Peyrou, 1992 ; Lankford & Howard, 1994 ; Jurowski et al., 1997), selon son type et son niveau de développement (Murphy, 1983 ; Allen et al., 1988) et selon l’état de l’économie locale (Lankford, 1994 ; Lankford & Howard, 1994 ). Beaucoup de destinations touristiques développent le tourisme pour les bénéfices économiques qu’il engendre (cf. section 0.0). Presque toutes les études sur les attitudes des habitants mettent en évidence les facteurs économiques (Liu & Var, 1986 ; Miliman & Pizam, 1988 ; Jurowaski et al., 1997). La plupart ont insisté sur les opportunités d’emplois (Kadt, 1979 ; Belisle & Hoy, 1980 ; Pye, 1983; Peyrou, 1992 ; Prentice, 1993 ; Weaver, 1998) et de revenus que la communauté locale peut retirer des activités touristiques (Murphy, 1983 ; Davis et al., 1988 ; Lankford, 1994 ; Jurowski, et al., 1997). Ces travaux ont conclu que les habitants perçoivent le tourisme comme une activité génératrice de revenus et d’opportunités d’emplois. Ils ont également trouvé une relation positive entre les opportunités de création d’activités de loisirs et de commerce et l’attitude de la communauté d’accueil envers le tourisme (Pizam, 1978 ; Davis et al., 1988 ; Koegh, 1990 ; Long et al., 1990). Plusieurs ont trouvé que le développement touristique augmente les offres récréatives (Pizam, 1978 ; Murphy, 1983 ; Koegh, 1990). En relation avec ces résultats, nous proposons l’hypothèse suivante :

Hypothèse 1 (H1) : Il existe une relation directe entre la perception que la communauté locale a des bénéfices économiques du tourisme et le soutien qu’elle apporte à son développement.

Les études touristiques des décennies passées ont relevé que la perception d’effets négatifs du tourisme entraîne des attitudes négatives de la communauté locale à son développement (Millman & Pizam, 1988 ; Koegh, 1990 ; Long, et al, 1990 ; Prentice, 1993 ; Jurowski et al, 1997). Elle reproche fréquemment au tourisme l’augmentation de la délinquance et des embouteillages (Davis et al., 1988 ; Koegh, 1990 ; Long et al., 1990 ; Prentice, 1993). Plusieurs études ont montré que les habitants perçoivent les embouteillages comme un problème majeur résultant des activités touristiques (Pye & Lin, 1983 ; Milman & Pizam, 1988 ; Koegh, 1990 ; Long et al., 1990 ; Prentice, 1993 ; Jurowrski, et al, 1997). Par ailleurs, des chercheurs ont examiné l’hypothèse selon laquelle le développement touristique conduit à l’augmentation de la délinquance. Certains ont trouvé une relation entre le développement touristique et celui de la délinquance (Liu & Var, 1988 ; Milman & Pizam, 1988 ; Long et al, 1990 ; Peyrou, 1992 ; Lankford, 1994), d’autres n’ont pas confirmé cette relation (Pizam, 1978 ; Jurwoski et al.,1997). En nous fondant sur ces travaux, nous pouvons formuler la deuxième hypothèse :

Hypothèse 2 (H2) : Il existe une relation inverse entre la perception que la communauté locale a des impacts négatifs du tourisme et le soutien qu’elle apporte à son développement.

Comme nous l’avons déjà noté beaucoup de destinations ont vu dans le développement touristique une solution à leurs problèmes économiques (Williams, 1979 ; King et al., 1993 ; Weaver, 1998). Plusieurs chercheurs ont conclu que les habitants des destinations qui ont des difficultés économiques sous-estiment les effets négatifs et en même temps surestiment des effets positifs du tourisme (Liu & Var, 1986 ; Johnson & Moore, 1993). Autrement dit une mauvaise situation économique amènera à une exagération des effets positifs et de la minimisation des effets négatifs du tourisme. Ces théories nous ont aidé à développer les trois hypothèses suivantes :

Hypothèse 3a (H3a) : Il existe une relation directe entre l’état de l’économie locale et la perception que la communauté locale a des impacts positifs du développement touristique.

Hypothèse 3b (H3b) : Il existe une relation directe entre l’état de l’économie locale et la perception que la communauté locale a des impacts négatifs du développement touristique.

Hypothèse 3c (H3c) : Il existe une relation directe entre l’état de l’économie locale et le soutien au développement touristique par la communauté locale.

Les réactions des habitants concernant l’utilisation des ressources touristiques peuvent être positives ou négatives. Elles seront positives s’ils perçoivent le tourisme comme un facteur de création et d’amélioration des structures de loisirs (Kendall & Var, 1984 ; Koegh, 1990 ; Weaver, 1998). Cependant cette perception peut être négative s’ils croient que le développement touristique va expulser des habitants des équipements de loisirs (Wie & Choy, 1993 ; Lankford & Howard, 1994). Dans le cas d’Amboseli, nous allons utiliser la même théorie pour examiner l’utilisation des mêmes ressources dans la compétition entre la communauté d’accueil et le tourisme, notamment celles du PNA. En conséquence, nous proposons les deux hypothèses suivantes :

Hypothèse 4a (H4a) : Il existe une relation directe entre l’utilisation des ressources de base (du tourisme) par les habitants et leur perception des impacts négatifs du développement touristique.

Hypothèse 4b (H4b) : Il existe une relation inverse entre l’utilisation des ressources de base (du tourisme) par les habitants et leur perception des impacts négatifs du développement touristique.

Plusieurs chercheurs ont confronté l’attachement de la communauté locale à son patrimoine et son attitude à l’égard des activités touristiques (Pye & Lin, 1983 ; Um & Crompton, 1987 ; McCool & Martin, 1994 ; Jurowski et al,.1997). Toutefois, les résultats de ces travaux sont contradictoires. Um & Crompton (1987) ont conclu que plus les habitants sont attachés à leur communauté, moins ils perçoivent positivement les impacts touristiques. McCool & Martin (1994) n’ont pas trouvé une relation entre les deux variables. Néanmoins, le niveau d’attachement influe sur la perception de l’état de l’économie locale et des impacts positifs ou négatifs du tourisme. A la lumière de ces constatations, nous proposons trois hypothèses :

Hypothèse 5a (H5a) : Il existe une relation directe entre le niveau d’attachement à la communauté d’accueil et la perception que les habitants ont des impacts positifs du tourisme.

Hypothèse 5b (H5b) : Il existe une relation directe entre le niveau d’attachement à la communauté d’accueil et la perception que les habitants ont des impacts négatifs du tourisme.

Hypothèse 5c (H5c) : Il existe une relation inverse entre le niveau d’attachement à la communauté d’accueil et l’état de l’économie locale.

Les habitants peuvent percevoir les impacts environnementaux du tourisme positivement (Murphy, 1983) ou négativement (Pizam, 1978 ; Pye & Lin, 1983 ; Liu & Var, 1986). Précédemment, des chercheurs ont trouvé que des habitants ayant des valeurs écocentriques soutiennent la préservation de l’environnement tandis que ceux qui ont des valeurs anthropocentriques 67 encouragent la transformation de l’environnement selon les besoins de l’homme (Thomas, 1983 ; Philipsen, 1995 ; Holden, 2000). Cette constatation se fonde sur l’existence de vues divergentes dans une communauté donnée sur la relation entre l’environnement et le développement touristique. Par la suite, ces perceptions influent sur le soutien ou l’opposition au développement touristique par la communauté d’accueil. Ainsi nous proposons deux hypothèses :

Hypothèse 6a (H6a) : Il existe une relation directe entre le niveau des valeurs écocentriques des habitants et leur perception des impacts positifs du développement touristique.

Hypothèse 6b (H6b) : Il existe une relation directe entre le niveau des valeurs anthropocentriques des habitants et leur perception des impacts négatifs du développement touristique.

Figure 3.3 : Modèle théorique
Figure 3.3 : Modèle théorique

Source : Elaboration personnelle

Notes
66.

Ce modèle est basé sur la théorie d’échange social qui conclut qu’une personne choisit un échange selon les bénéfices et les coûts perçus. Ainsi des individus qui évaluent l’échange favorablement perçoivent l’impact d’une façon différente que ceux qui l’évaluent défavorablement. Du point de vue touristique, le soutien au développement touristique résulte d’une volonté de la communauté locale d’être dans l’échange (cf. Ap, 1992). Jurowski et ses collègues ont développé un modèle sur cette théorie (1997).

67.

Dans les dimensions anthropocentriques, les valeurs humaines sont plus importantes que l’environnement. Ainsi, c’est l’homme qui a le droit de déterminer ses projets de développement selon ses priorités de vie. Selon ce point de vue, c’est l’homme en premier et ensuite l’environnement (cf. Thomas, 1983 ; Jorwaski et al., 1997 ; Philipsen, 1995).