CHRONOLOGIE ET GEOGRAPHIES DES STRUCTURES DE L’EGLISE CATHOLIQUE

« Dans chaque église, il y a toujours quelque chose qui cloche ! ». Cette réflexion de Jacques Prévert, tirée de Paroles aurait pu être formulée par n’importe quel ministre de l’Eglise. Cette institution, prise dans une société en mouvement, confrontée aux phénomènes contraires de la chute des pratiques religieuses dites traditionnelles et de volatilité immense des comportements religieux, cherche depuis une vingtaine d’années les moyens de retrouver lisibilité et gouvernance.

La paroisse, conjuguant construction matérielle et facteur d’identification communautaire a, depuis l’édit de Milan en 314, proclamé l’installation de l’Eglise et a imposé un certain modèle de société, la civilisation paroissiale qui perdura jusqu’à la fin des années soixante dix. Circonscription territoriale qui épousait les contours de la vie sociale, la paroisse resta jusqu’à la révolution française, la cellule de base de l’administration étatique à laquelle on lui superposa et supplanta la commune. Or, cet outil de lisibilité et de gouvernance ne semble plus adapté à la géographie religieuse actuelle. Cette situation s’inscrit dans un double phénomène. Interne tout d’abord. La sécularisation du fait religieux à travers ses trois tendances de fond : laïcisation de la société – la religion n’est plus la légitimité fondatrice et l’instance régulatrice de la société, affaiblissement du lien religieux – baisse de la pratique, vieillissement des populations pratiquantes, développement spiritualité personnelle et ordinations moindres et mutation du champ religieux – pluralisation des messages de salut et subjectivisation des modalités du croire, a fragilisé les structures territoriales et le fonctionnement de l’Eglise. Externe, car elle s’inscrit dans la mise en mouvement globale de la société dont les traits majeurs peuvent se résumer à la mobilité, l’individualisation et la tendance au repli sur la sphère privé où chaque individu trace son itinéraire dans un monde d’objets toujours disponibles, transposables et nomades eux aussi.

Dès lors, fonder cette thèse sur la mise en lumière des stratégies développées par l’institution catholique pour répondre à l’inadéquation des structures territoriales et fonctionnelles héritées équivaut à analyser auparavant les points suivants : quelles identités et visibilités a affiché la paroisse à travers le temps ? Comment ont évolué les communautés de références de l’Eglise ? Comment replacer cette situation dans l’ensemble des mutations que connaît la société ? Et dernière interrogation : quelle (s) place(s) accorder aux territoires dans le processus de recomposition ?

C’est donc à ce travail que sera consacré cette première partie dont l’objectif est d’encadrer le contexte dans lequel les stratégies d’ajustement des structures religieuses à la nouvelle géographie sociale, aux nouvelles modalités territoriales et fonctionnelles induites et produites par les comportements religieux actuels sont mises en œuvre ainsi que les enjeux qu’ils sous tendent. Dans un premier temps, il s’agira d’analyser le système paroissial et de réaliser l’étude chronologique de la paroisse, objet territorial et concept organisationnel. Puis, de montrer de quelles manières les transformations comme les mutations qui touchent l’Eglise s’inscrivent dans une profonde modification des pratiques et des territoires du quotidien. Ce travail se poursuivra par la tentative de rapprocher la situation actuelle avec les fondements théologiques du catholicisme qui font de l’Eglise une diaspora, élevant la dispersion au rang de principe. Cette analyse esquissant l’hypothèse que la paroisse résumait le territoire à un cadre, illustrant l’idée du passage de l’appropriation du monde pour Dieu à l’appropriation du monde pour l’Eglise. L’étude de la géographie des communautés catholiques complètera cette première partie. La dispersion des comportements religieux est aussi un phénomène interne à l’Eglise, et son histoire fut traversée par le développement de telle ou telle forme d’appartenance dépassant le cadre traditionnel de la paroisse. Cette entreprise permettra de montrer que la singularité de la situation vient surtout du déséquilibre entre le modèle paroissial et les autres formes de sociabilité religieuse, poussées à leur paroxysme. Enfin, nous verrons quel statut le territoire – concept géographique et réalité sociale- revêt dans cette phase de déséquilibre.