CHAPITRE 1. « A propos de la paroisse »

La paroisse est une institution territoriale spécifiquement catholique. Son interprétation est celle de la transcription spatiale de l’unité la plus élémentaire de l’organisation hiérarchique de l’Eglise. Où que se trouvent des catholiques organisés, se trouve une paroisse. Elle fut au fil des siècles reprise et déclinée par toutes les autres confessions chrétiennes. Toute l’aire de diffusion de celles ci a connu la territorialisation des Eglises et son mode quasi unique : la paroisse.

L’expansion européenne à la surface du globe a permis la diffusion des organisations territoriales des Eglises mais la distinction doit être faite entre des espaces « colonisés » par des puissances catholiques (portées par l’évangélisation des masses) et ceux aux orientations plus communautaires portées par les protestants. Dans les lieux occupés par la France, l’Espagne et le Portugal, les trois pays catholiques colonisateurs, les entreprises furent diverses : en Nouvelle France, l’organisation féodale de l’Ouest a prévalu et chaque seigneurie fut constituée d’un certain nombre de paroisses. Globalement et même si les formes diffèrent, le modèle hiérarchique et territorial de l’Eglise catholique s’est imposé et transposé. En Amériques Centrale et du Sud, les diocèses apparaissent rapidement comme des superpositions aux vices royautés et à ses divisions. Les contours des territoires de l’Eglises ne seront définis qu’au terme de l’occupation générale du continent et au moment où la création de nouvelles subdivisions sera jugée nécessaire.

Dans les premières décennies ce sont les minicipes, les divisions civiles ou économiques qui prévalurent. C’est ainsi qu’une encomienda réunit des actifs et non des familles, une hacienda est une unité économique. L’évangélisation catholique reste primordiale et passe tout d’abord par les missions des Jésuites ou d’autres ordres qui tenteront de soustraire et de regrouper les populations du système d’exploitation coloniale (voir le film Mission). Ce qui signifie que si la paroisse existe en Amérique et ailleurs, si son organisation est aussi parfaite qu’en Europe, son rôle, son poids, civil et social sont moindres et que d’autres instances administratives l’ont précédé.

L’expansion des pays protestants fut elle aussi complexe et traduit une grande diversité de réalités. L’essentiel du schéma Anglais a été reproduit sauf au temps des « puritains », dissidents de l’Anglicanisme qui ont eux développé un système où la réunion des saints ou des élus forme des communautés et non le territoire. Aux Etats Unis, les méthodistes et les protestants (Luthériens et Calvinistes), ne donnent ni place ni sens aux divisions de l’espace en paroisses. Enfin, en Afrique et en Asie du Sud Est, le système est moins continu.

Si le principe de la paroisse comme production de l’Occident chrétien n’a pas connu de diffusion universelle, ironie du sort, le changement de définition introduit en 1983 pour qualifier les territoires catholiques français répond mieux à la situation des groupes de catholiques hors d’Europe que la paroisse devait encadrer. L’Eglise doit faire face à des communautés de fidèles moins enracinées et surtout plus diffuses.

La connaissance intuitive de la paroisse est presque exclusivement historique et peut se résumer ainsi : une entité spirituelle, conjointement construction matérielle et facteur d’identification communautaire et familiale. Cette référence territoriale s’est nourrie du temps long et de la reprise du principe dans les découpages civils d’une grande partie du maillage médiéval en Europe. La référence au finage, un territoire occupé par une communauté d’habitants est implicite et est devenue explicite à partir du concile de Trente. C’est par le poids de l’histoire que l’on peut comprendre l’importance qui fut donnée au clocher et à son ombre comme repères essentiels de l’existence d’un groupe, d’une communauté et vecteur identificatoire d’un individu par rapport à un autre. Au temps de l’apogée de la chrétienté, la paroisse comptait automatiquement autant de paroissiens que d’individus vivant sur son territoire. La résidence fournissait ainsi l’appartenance. Le passage ou le remplacement d’une pastorale de chrétienté (sacrements, transmissions de foi) à une d’évangélisation et de mission trouble la lecture et l’analyse des comportements et des structures religieux. Même si le rôle évangélisateur de la paroisse ne peut être que territorial, la nouvelle définition, abstraite et floue, mérite examen à la fois comme contenant et contenus.

La longévité de cette même paroisse explique les multiples acceptions et définitions que l’on rencontre. Pour la plupart des catholiques, la circonscription de base, l’espace de référence élémentaire est la paroisse. Toutefois pour le juriste, la paroisse est une subdivision du diocèse, datée de la révision du droit canon de 1917.

Avec le canon 515 de 1983, la paroisse se dote d’une nouvelle définition qui ne se substituera pas aux autres, se juxtaposera plutôt. Elle devient une « communauté déterminée de fidèles du Christ », l’ensemble des baptisés. Par le baptême, les fidèles s’unissent au Christ et à l’Eglise et, sont appelés à exercer la mission de cette dernière.

Pour le théologien, la paroisse se dote de nouvelles dimensions qui insistent sur son caractère de représentation de l’Eglise universelle, mais aussi comme portion d’un diocèse. Plus que tout, deux éléments furent remis en valeur en 1983 : la paroisse n’est plus exclusivement et seulement, pourrait-on dire, la seule masse des baptisés en un endroit donné mais une communauté de fidèles cimentée par la foi personnelle, entretenue par les sacrements. Enfin, la charge pastorale et l’action du prêtre évoluent, mettant au premier plan le ministère de la Parole et l’Eucharistie (principes des Eglises protestantes). Plus qu’une nouvelle définition de l’institution paroissiale, le canon de 1983 représente surtout l’annonce de nouvelles missions, la re-mobilisation des fidèles pour une Evangélisation globale et la construction des nouvelles perspectives pastorales.

Il convient donc, dans une analyse géographique de faire le bilan des transformations théologiques, canoniques, liturgiques et spatiales de la paroisse en conservant à l’esprit les interrogations suivantes, auxquelles nous devront apporter des éléments de réponses : quelles identités et visibilités affiche désormais la paroisse, nouvelle ? Comment ont évolué les communautés de référence de l’Institution ? Et comment replacer les transformations actuelles dans la totalité des mutations territoriales que la paroisse a connue : une nouvelle adaptation ? une rupture ?