Avant l’apparition de cette dénomination, à la fin du Ier siècle, la paroisse du grec paroikos, n’était pas un substantif appliqué à un groupe ou à un lieu. Le terme évoque une existence précaire, « à côté ». Le chrétien réside dans le pays mais comme étranger. Sa foi est reconnue mais il n’est en aucun cas considéré comme un citoyen à part entière. La communauté chrétienne est alors appelée « l’église séjournant à » ( ekklèsia paroikousa). Elle conserve un caractère provisoire et original. L’idée du terme paroïka est celle du temps du séjour. C’est ainsi que la paroisse devient conjointement un temps pour demeurer et un lieu pour vivre avec une communauté.
Dans la bible même, on retrouve cette signification. Abraham est vu tout au long de la Genèse comme un paroikos, il est un étranger, en exil, en marge ( Gn12,10.15,13.20,1.21,23.23,4). Ce qui veut pour lui , vaut aussi pour son peuple dont la situation est celle d’un peuple étranger ( dèmos paroikos), en Egypte et ailleurs, un peuple de passage, nomade. ( Ps 38,13.119,54.120,5). Dans le nouveau Testament, le vocabulaire employé fait toujours référence à cette idée de « séjour » Le disciple du Christ est « étranger » ou « voyageur sur terre » ( 1P2,11.He11,13). Et là où les chrétiens vivent, ils ne sont que de passage.( 1P1,17).Le christianisme ne se scindera véritablement du judaïsme qu’avec la destruction du Temple de Jérusalem en 70 et la disparition de cette première génération chrétienne, celle des apôtres.
Dès lors, va s’effectuer une double prise de conscience : la découverte que les disciples de Jésus ont engendré bien plus qu’un mouvement mais une religion indépendante et la nécessité de donner à celle ci une existence durable. Les chrétiens vont alors, chercher leur propre place, originale, dans la société où ils vivent. Le christianisme marque une rupture par rapport à toutes les religions en ce qu’il était « sans temples, sans prêtres et sans sacrifices » 5 .
C’est dans ce contexte d’une quête identitaire que le terme de « paroisse » va prendre une légitimité et une place significative pour caractériser la communauté. Celle ci devient église et paroissiale, une assemblée marquée par la précarité, la non installation. L’Eglise s’instaure comme un peuple de migrants, en séjour passager dans le monde. On retrouve cette idée d’une « fraternité à travers le monde »(1P2,10) dans tout le nouveau Testament : « Vous êtes édifiés en maison spirituelle » (1P2,5), « à tous les biens aimés de Dieu qui sont à Rome » ( Rm1,7), « à l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe » ( 1Co1,2.2Co1,1).
Il n’en demeure pas moins que la notion de paroisse va évoluer rapidement. Elle ne qualifiera plus seulement la condition des chrétiens, mais va devenir un terme technique pour désigner les communautés qu’ils constituent ça et là, au milieu des populations considérées comme païennes. Ces entités s’appelleront « paroisses » mais elles seront tout d’abord des communautés placées sous la responsabilité d’un évêque. Le sens spirituel va progressivement s’effacer au profit d’une signification fonctionnelle. Toutefois, la dimension spirituelle n’est pas à négliger. Les chrétiens ne forment une Eglise que dans la mesure où la foi suscitée en eux les a rassemblés en une communauté spécifique. La communauté paroissiale ou religieuse, suivant la qualification pour laquelle on opte, n’est pas une communauté comme une autre : ce n’est pas une association dont les membres se rassemblent, ils sont rassemblés pour être la maison de Dieu, une « fraternité dans le monde »(1P5,9). Quelque soit le choix, paroisse assemblée en un lieu ou paroisse, communauté de disséminés, l’Eglise catholique a pour vocation d’être paroikia, une communauté provisoire, celle des résidents étrangers dont l’ancrage, la « vraie patrie n’est pas ici » 6 .
THEISSEN G « L’histoire sociale du christianisme primitif » cité in « L’Eglise disséminée » p 21.
HOEKENDIJK JC, 1966 « Vers une Eglise pour les autres » p 18, Genève, Labor et Fidès