A. Les deux visages de la communication : la distance et la proximité

Dans l’existence, la société est confrontée à deux logiques communicatives. La première généralise les médias audiovisuels par des outils toujours plus nombreux et divers : téléphone portable, Internet, radio ou télévision. La seconde est innée, c’est une communication que l’on peut qualifier « d’humaine ». Elle est irremplaçable mais socialement dévaluée au profit de la communication moderne 

Les technologies apparues au début des années 60 ont rendu possible la communication à distance. Elles se sont appropriées des aspects de la communication traditionnelle : l’ouie, la parole et la vue en les amplifiant, quitte à gommer les autres (écrit notamment). La communication à distance a pris de l’importance par rapport à celle dite de proximité. L’une et l’autre sont bien humaines, mais sans caricaturer, on peut dire que l’une est fugace (instantanéité) et médiatisée par des outils tandis que l’autre et conviviale et prend son temps. Illustration faite par M.CASTELLS qui dit dans le même ouvrage que le réseau, qui caractérise le mieux la communication à distance, est la négation de l’espace et l’annihilation du temps.

Trop longtemps et porté par les alarmistes, le discours a été de dire que la communication instrumentale allait tuer les rapports interpersonnels. Elle les a surtout modifiés. Les outils sont entrés dans les mœurs et de nouvelles habitudes se sont créées, s’additionnant aux anciennes ou entrant en concurrence. On peut légitimement se demander si les nouveaux outils ne sont pas une réponse à de nouveaux besoins ?

L’apparition des nouvelles technologies a redistribuée les compétences en matière d’information. De ce fait, les anciens moyens de communication sociale s’agitent. Ils cherchent le créneau qui leur assurera efficacité et légitimité nouvelle. On s’était habitué à l’imprimé qui valorisait l’écrit comme promotion et mémoire de la parole. La télévision, le téléphone et la radio ont bouleversé cela. L’ordinateur et Internet ont achevé de transformer les manières d’écrire, de penser et de parler. C’est dire que la mobilisation des moyens de communications a mis en effervescence la société toute entière, qui cherche, elle, à recomposer son fonctionnement.

Les conséquences sociales de la médiatisation sont dénommables et nous n’en feront pas ici l’inventaire. Toutefois, certaines ont façonner une véritable culture de masse, bouleversant les rapports sociaux et les comportements individuels : privatisation des pratiques collectives (assister chez soi à un match de football ou à un office religieux le dimanche matin), l’émergence de véritables matrices de comportements qui restructurent le temps social (le prime time, l’access prime time ou les évènements à forte audience) 23 , le stockage de l’information…..

Cependant, une communication de proximité subsiste. Elle n’est pas attachée à la diffusion, mais au contact, au dialogue. C’est la plus ancienne des communications, celle attachée à la famille, au voisinage aux associations.

Les diverses institutions et communautés ecclésiales appartiennent au monde associatif. L’Eglise catholique ne peut donc pas faire comme si la communication sociale n’avait pas changé. Ce qui est en question ici, c’est bien plus qu’une simple adaptation via les habitudes mais le positionnement social même de l’Eglise. Les médias qui visent la plus large audience cherchent le dénominateur commun le plus petit qui permettra d’atteindre le plus grand nombre. L’audimat ne mesure pas uniquement, il est réducteur et impose une loi de simplification maximale. Problème majeur pour l’Eglise, car être membre d’une association, donc d’une Eglise, c’est affirmer sa différence. Dès lors, il faut gérer cette différence sans s’isoler pour autant. Or, les médias ne sont intéressés par la différence que lorsqu’elle est radicale et spectaculaire, en rupture avec les normes du conformisme social. La médiatisation oblige à trouver de nouveaux modes d’expression et cet acte constitue un risque réel pour l’intégrité du message et pour l’identité de l’Eglise qui souhaite le diffuser. Elle peut être tentée de chercher une plus grande audience et une meilleure reconnaissance publique dans un plus de la médiatisation par la théâtralisation, la starisation ou encore la simplification. La quête de médiatisation ne risque-t-elle pas d’édulcorer et même de falsifier le message ? Les médias actuels et surtout l’utilisation qu’on en fait semblent imposer leur logique à la communication sociale dans son ensemble. Mais la communication de proximité peut elle aussi se servir des techniques modernes pour exister.

Dans notre société en mutation, la sécularisation, la nomadisation et la médiatisation réactivent d’anciens débats théologiques. Mais de nouveaux émergent. Ils interrogent toute la société dans laquelle les Eglises – catholique en premier car majoritaire- sont prises à partie et ont un rôle à tenir. Elles doivent se souvenir que leur vocation, est non de conquérir le monde au nom de Dieu mais d’y témoigner de sa Parole ; non de s’installer dans la société, mais d’en relativiser ou d’en renouveler les modèles. Enfin, non de se croire les représentants de Dieu, mais de faire signe, de désigner, au-delà d’elles mêmes, l’Evangile. Toute Eglise est une diaspora.

Notes
23.

Se reporter à la chanson « A la une » de Jean FERRAT. Dans la jungle et dans le zoo. 1991.