A. L’image de Dieu

Le non pratiquant cherche les preuves contraignantes de l’existence ou de la non existence de Dieu. La question reste objectivée ainsi que l’atteste la prédominance de la perception visuelle. A ce titre le verbe voir joue un rôle prédominant : « quand je vois ce qu’il se passe […] Votre Dieu je ne le vois pas, alors…. » ou encore « Quand j’aurai vu… ». A l’instar de Raymond Devos dans un de ses sketches, on peut dire que les non pratiquants aspirent à dire : « Dieu existe, je l’ai rencontré ! ». Deux images contradictoires –logiques- émergent : celle d’un Dieu existant et celle d’un Dieu inexistant ou tout au moins absent.

Examinons tout d’abord l’image de la présence de Dieu. Elle s’énonce comme un principe explicatif. Il ne s’agit pas d’une recherche démonstrative et objective mais d’un principe unificateur vague, constituant une réponse aux liens qui tissent la trame secrète de la vérité. Les distancés justifient leur croyance en Dieu en affirmant « qu’il y a quelque chose au dessus de nous ! ». Dieu viendrait en quelque sorte colmater les brèches ouvertes par les questions que pose l’existence. Cela renforce l’idée du développement du « new age », de l’ésotérisme et des ponts que jettent les non pratiquants entre mysticisme, bouddhisme, chamanisme et catholicisme. A l’occasion d’un deuil, le non pratiquant reconnaîtra que « c’est quand même pas nous qu’on commande ». Dieu devient en quelque sorte le garant du cours des choses qui est le principe de la conservation du monde. Il devient la force de la nature : « Moi ? Je dirai que je suis athée, mais je crois quand même en quelque chose […] il y a bien quelque chose ou quelqu’un qui nous domine, qui nous régit […] Je n’ai pas de religion, mais je crois à la destinée, à l’heure des choses, au destin ! ». En Dieu, ils reconnaissent un principe supérieur dont leur destiné dépend. Cette croyance n’est pas uniquement négative. « Dieu, je le rencontre surtout quand je vais en forêt ! » ou même « On prie plus facilement devant un beau coucher de soleil ! ». Même si on ne sait pas exactement ce que les forces cachées et condensées dans ce Dieu, « l’indicible » comme l’appelait Howard Philips Lovecraft, recouvrent, on leur reconnaît secrètement une vertu de conservation et un pouvoir de préserver un certain bonheur. Il s’agit bien de territoires nouveaux et difficilement « gouvernables » pour l’Eglise.

Cependant, Dieu n’agit pas ou n’agit plus. L’image d’un Dieu garant de la justice et de la sécurité des hommes se brise sous les coups de boutoir de la réalité : « Quand je vois le monde et toutes ces guerres […] Pourquoi Dieu laisse-t-il mourir des enfants ? ». Certains non pratiquants ne comprennent plus ; Dieu devrait être tout puissant, mais constatent qu’il ne l’est pas. La conception divine est façonnée par l’imagination, par la toute puissance qu’on lui accorde. Or, l’expérience de la vie opère sa sanction redoutable. L’injustice règne dans ce monde et fait irruption dans la vie personnelle. La prière spontanée à ce Dieu devient le lieu de la cristallisation des désirs de l’homme. Chacun espère à un moment précis, pour des raisons diverses l’intervention de dieu. Ils ne sont pas rare à dire à demi mot ce que Jacques Brel chantait dans La Statue : « Moi qui n’ai jamais prié Dieu que lorsque j’avais mal aux dents, moi qui n’ai jamais prié Dieu quand j’avais peur de Satan… ». Ainsi, un homme de 47 ans, qui avait perdu sa femme disait : « Pourquoi Dieu a permis qu’on me l’enlève ? Je vous dis, ma cabine de camion devenait une vraie chapelle. Je priais tellement, je voulais qu’elle guérisse. Mais tout cela n’a servi à rien. Elle est partie quand même. Je croyais en Dieu, mais ils – en parlant des ecclésiastiques et des pratiquants- peuvent me raconter tout ce qu’ils voudront, tout cela c’est du bla-bla pour moi à présent ! ».

Si la théodicée – justification de la bonté et de la justice de Dieu- est en crise, comment la territorialisation du religieux pourrait se réaliser. L’une conditionne l’autre.