B. La représentation du monde et de l’homme

La perception que les distancés ont du monde et de la société fait apparaître quatre déterminations. Nous ne voulons pas entrer dans une analyse exhaustive, nous les survolerons donc. La première est due à la pression économique : « Aujourd’hui tout passe par l’argent » ou « Il faut se battre pour vivre ». La seconde se concrétise dans la prise de conscience d’une mutation, un progrès ou pseudo progrès irréversible, nécessaire mais dangereux. La vitesse revient souvent comme un caractère non maîtrisable de la société actuelle : « on est pris par le mouvement » ou « Tout va si vite maintenant ». Ce sentiment de l’accélération de l’histoire est souvent teinté d’inquiétude : « On ne sait pas où cela nous mènera ».

Puis vient l’impuissance à changer le cours du monde. Cela se fait à travers l’image – par moment juste- stéréotypée de « la télévision fenêtre ouverte sur les malheurs du monde ». Un athée convaincu disait à ce propos : « Pour ma part, j’essaye de tirer l’épingle du jeu, concernant le fait du pourquoi je ne suis pas devenu croyant, pourquoi je n’ai pas rejoint l’Eglise : le monde est tellement cruel, il y a une telle injustice, une telle violence, que pour un non croyant comme moi, il me paraît tout à fait normal de rejeter une quelconque croyance, en quelqu’un ou en quelque chose ». On discerne à travers les propos des non pratiquants, l’appréhension de la dureté de l’existence. Maigre consolation, ils conviendront qu’il existe des « plus malheureux que moi ». Il ne fait que raviver un profond sentiment d’impuissance. Cette vision tragique contraste avec d’autres plus hédonistes où il est question de vivre pour le plaisir et « que l’on a mérité ce que l’on a gagné ». Malgré l’idéologie dominante qui affirme que l’homme est à la mesure de toute chose et que malgré la raideur des pentes, les difficultés seront franchies, la conscience de soi des contemporains interrogés nous semble dominée par ce sentiment d’impuissance.

La quatrième détermination se manifeste dans la crise des valeurs. Le rabattement de l’enthousiasme pour les grandes causes se fait au profit d’une recherche plus personnelle, plus immédiate du bonheur. Chacun pense à lui et l’émulsion fusionnelle des JMJ ou de Taizé n’est qu’un moyen de satisfaire une envie bien personnelle. Théodicée en crise renvoie à une « sociodicée » en crise elle aussi. Fort de ce constat, il est possible de dégager les deux pôles inhérents à l’ambivalence du système de croyances des distancés.