Enfin, la dissémination peut s’interpréter dans ce contexte de modernité 29 , selon une approche idéologique : la dispersion des aspirations et des expériences spirituelles. Un des aspects les plus marquants de la sécularisation aujourd’hui est la crise des grands systèmes de convictions, qui unifiaient des groupes humains, des communautés autour de croyances définies, d’espérance partagées et de pratiques sociales communes. Le sens s’est brisé.
Le champ religieux est travaillé par un mouvement de dissémination des croyances et des langages, des propositions de sens et des pratiques communautaires. L’individu, lui, est renvoyé à sa solitude et à la tâche d’avoir à se donner lui-même les repères nécessaires à la conduite de l’existence. Parallèlement en effet, se développe et s’affirme la sensibilité individualiste, décrite dans de nombreux ouvrages sociologiques, dont nous ne citerons que ceux de Gilles LIPOVETSKY avec la réalisation de soi comme leitmotiv de l’existence. 30 Il en résulte une individualisation du croire, très caractéristique de la culture spirituelle contemporaine. Le langage croyant a été durant des siècles attesté et transmis par une communauté de foi. L’adhésion croyante était indissociable d’un engagement communautaire. Le « je crois » du fidèle lambda était l’appropriation personnelle du credo de la communauté. L’expérience de la rencontre avec Dieu était inséparable du contenu de la foi qui s’explicitait dans la confession de foi de l’Eglise. C’est cette articulation qui est devenue problématique. A chacun sa recherche, son itinéraire singulier, sa quête personnelle qui donnera sens à son existence. A chacun aussi sa perception de la vérité ou d’une vérité ainsi que, voire surtout, de la formulation qu’il essaiera d’en donner.
Les contenus de la foi aussi bien que les conduites éthiques échappent de plus en plus au contrôle des institutions religieuses, pour relever de l’autonomie de chacun. L’Eglise elle-même semble moins le corps uni par une expérience commune et une confession de foi toute aussi commune, que le lieu qui cristallise de multiples trajectoires individuelles et symbolise des aspirations différenciées. Il n’est pas étonnant que ces parcours empruntent à diverses traditions spirituelles et amalgament des éléments prélevés ici et là au gré des aspirations individualistes. Les grands textes et symboles chrétiens, détachés de l’expérience de foi qui les portait, sont ainsi fréquemment utilisés au service de ces recompositions singulières. Ils deviennent une symbolique flottante et disponible, réinvestie par chacun, à des fins esthétiques, métaphysiques ou identitaires.
Cette dispersion donne lieu à des aspirations contradictoires. Ainsi s’observent d’un côté un désir d’enracinement, un besoin de retrouver des liens d’appartenance, qui explique l’intérêt pour les recherches généalogiques, mais aussi l’attrait exercé par les communautés chaleureuses, la faveur des retraites monastiques, la requête de lieux offrant un point d’ancrage à ce moi flexible et vulnérable, caractéristique d’une culture narcissique. D’un autre côté s’affirme un désir de changement, de nouveauté, d’innovation, conforme à une certaine logique d’engouement pour la société moderne. L’expérience de la mobilité est intériorisée : elle s’étend à nos goûts et à nos relations, mais aussi à nos croyances et à nos fidélités, devenues elles-mêmes mobiles. Eparpillement géographique, dislocation sociale, dissémination spirituelle : ces trois aspects interfèrent. Ils se distinguent, mais se superposent et se cumulent souvent. Ensemble, ils signalent la complexité de ce phénomène de dissémination qui œuvre à plusieurs niveaux, dans la société et les Eglises.
Phénomène traité par de nombreux auteurs dont nous citerons F. ASCHER « Métapolis ou l’avenir des villes », M.CASTELLS « La société en réseaux » ou encore A.GIDDENS à travers « Les conséquences de la modernité »
« L’Ere du vide » 1983, Paris, Gallimard et « L’empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes » 1987, Paris, Gallimard.