II. Au-delà d’une situation, une vocation ?

Dans ce contexte, le thème de la diaspora ressurgit, chargé d’une dimension et signification théologique. Les profondes mutations analysées précédemment donnent à ce thème une nouvelle résonance. A la dissémination comme description d’une situation, celle des communautés dispersées, précaires, changeantes, en un mot, à la dissémination comme crise, s’oppose celle, au sens étymologique du terme : la dissémination comme semence.

L’Eglise s’articule autour d’un double mouvement : elle est rassemblement et dispersion, rassemblement en vue d’un envoi dans la dispersion, et dispersion porteuse d’une promesse de rassemblement de tous. D’où les deux pôles qui définissent l’Eglise catholique: le rassemblement par la parole et le sacrement, et la dispersion pour le témoignage et le service. Même si cette définition semble plus juste lorsque l’on parle du protestantisme. L’intention théologique prônée dans les recompositions paroissiales est claire : rendre à l’Eglise son orientation missionnaire, pastorale, de proposition de l’Evangile au monde entier. Dès lors, les circonstances à première vue négative : effritement, fragilité, dissémination… sont réinterprétées positivement : la dissémination comme ensemencement du monde par le témoignage évangélique, la dilution des chrétiens dans la société comme « sel de la terre ». La crise que représente la situation de diaspora peut être assumée comme le passage vers une nouvelle figure de l’Eglise : « la communauté des disséminés ».

Cette approche de l’Eglise catholique comme « diaspora » est partagée par certains théologiens. Karl Rahner écrit : « Dieu nous a placé, dans un temps où il y a des chrétiens partout et qui partout vivent en diaspora. C’est notre destin et notre mission. Il ne peut pas en être autrement, si christ doit être la pierre angulaire et le signe de contradiction jusqu’à la fin….. Parce que Christ « doit » souffrir et rencontrer la contradiction,, nous vivons aujourd’hui en diaspora au milieu de nos plus chers et de nos plus proches. Il nous faut l’assumer dans la patience et dans la foi, dans la responsabilité et la préoccupation authentique du salut de ces autres… ».

Puis, dans un autre texte, intitulé « Le chrétien dans son environnement », le même auteur précise : « Le chrétien reconnaît la diaspora dans laquelle il doit vivre, aujourd’hui et partout, comme la situation de son existence chrétienne qui est à comprendre positivement. […] Cette diaspora doit aujourd’hui apparaître au chrétien comme la situation voulue par Dieu pour son christianisme. Elle est la situation de sa foi personnellement libre, qui ne peut être remplacée par aucune coutume sociale, la situation de libre décision, de responsabilité individuelle, et de confession de foi personnelle qui aide à comprendre la formule ancienne : on ne naît pas chrétien, on le devient  31 ». Même si, il est plus commun de dire : « on ne naît pas protestant, on le devient » ! La diaspora ou la dissémination ne sont pas des situations d’exception ; elles sont les conditions communes des croyants, liées à leur monde et leur être au monde. Le thème de la vocation permet de relire la situation de manière positive et d’en assumer les difficultés.

Notes
31.

RAHNER K , 1967 « Der Christ und seine unglaübigen Verwandten » p 438, Schriften zur Theologie, vol III, Zurich, Cologne, Benziger Verlag, 1967, (7e ed) et 1971 « Der Christ in seiner Umwelt » p 92-93 ibid, vol VII (2e ed)