A. L’après 1905 : Vers une nouvelle chrétienté ?

Durant des décennies, l’Eglise catholique tenta de faire face au mouvement de privatisation du religieux induit par la loi de 1905, qui impliquait la fin de son emprise sur l’ensemble de la société. Son emprise sur le système politique, son association à la défense de l’Ancien Régime en témoigne, elle aussi disparaissait. Progressivement, elle abandonna la conception intégrale de son mode de présence dans la société, selon laquelle l’institution estimait manquer à sa mission si elle laissait certains pans de la vie sociale échapper à son action et à sa vigilance.

A cette évolution correspond aussi un affaiblissement continu de son audience. La prise de conscience de son absence dans des couches nombreuses de la population, ouvrières notamment, conduit l’Eglise à la fin du XIXe siècle, et plus encore durant l’entre deux guerres, à mettre en œuvre une stratégie de reconquête. Ce seront les missions dont subsistent dans le paysage rural ou urbain, ici et là, les croix de mission érigées en souvenir. Ce seront les patronages qui prennent en charge, en dehors de l’école, devenue publique, la vie des jeunes dans des activités sportives, culturelles ou sociales. 33 Les « patros » défilent dans la rue, oriflammes en tête. Ce sera dans l’entre deux guerres la création de « l’Action catholique », et notamment de l’Action catholique spécialisée, avec ses mouvements de jeunesse : Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Jeunesse agricole catholique (JAC), Jeunesse indépendante chrétienne (JIC), Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), Jeunesse maritime chrétienne (JMC), puis ses mouvements adultes. « Nous referons chrétiens nos frères : » proclamaient la JOC dont les grands rassemblements manifestaient le projet d’une société redevenue chrétienne. A l’instar des membres des autres mouvements d’Action catholique ou les scouts(200000 jeunes et la Fédération culturelle et sportive de France, laïcisée tout de même, 500000), le jociste montre publiquement son appartenance et sa conviction par le port d’un insigne. Il vend son journal à la criée. Il ou elle est invité à manifester publiquement sa foi, notamment le Vendredi en cessant le travail quelques minutes au milieu de l’après midi. Cela perdurera lorsque les jocistes iront au STO en Allemagne, durant la seconde guerre mondiale, conduisant certains à la déportation. La conquête chrétienne, comme avant, a ses martyrs. L’action catholique comptait 403000 personnes 34 en 1997. Dans ce contexte, la défense de l’enseignement confessionnel demeure pour l’Eglise un enjeu essentiel. La plupart de ses prêtres et de ses militants en sont issus.

Les responsables religieux prennent également conscience que des quartiers entiers de villes risquent de se construire sans que soit assurée la présence chrétienne. Il est décidé, à une époque où le recrutement sacerdotal est encore important, de lancer la construction de nouvelles églises. Sur le modèle des « chantiers du cardinal » à Paris, des initiatives sont prises dans de nombreux diocèses. Il est dit que l’Eglise sera présente dans le grand mouvement d’urbanisation de l’après-guerre.

Plus globalement, sur le modèle, en grande partie imaginé, d’une France moyenâgeuse chrétienne, se bâtit alors le projet d’une « nouvelle chrétienté » 35 . Ce projet est critiqué par des intellectuels comme Emmanuel MOUNIER 36 qui dit : « l’Eglise n’est pas chargée de l’ordre dans la cité, ni de la bonne répartition des biens, ni du bonheur du plus grand nombre ». Lui et d’autres réfutent le projet des chrétiens de l’Action française et celui d’un certain progressisme chrétien. Critiqué au sein même de l’institution, ce projet ne tiendra pas longtemps. Mais ce dessein d’une unification de la vie sociale autour d’un idéal chrétien se maintient au sein de plusieurs mouvements catholiques.

Notes
33.

CHOLVY G ( Dir) 1988 « Le patronage, ghetto ou vivier ? » Nouvelle cité.

34.

Tous les chiffres cités proviennent de la conférence des évêques de France, 1997, « Eglise catholique de France », Paris, Cerf-Centurion.

35.

MARITAIN J ( 1936) « Humanisme intégral. Problèmes temporels et spirituels d’une nouvelle chrétienté » F. Aubier. Pour Maritain, l’Eglise n’a pas à administrer le temporel et le monde mais le chrétien doit travailler en tant que membre chrétien de la cité, à l’instauration d’un nouvel ordre temporel du monde.

36.

p 259 In « Feu la chrétienté » 1950, Editions du seuil