C. Une nouvelle affirmation et une nouvelle visibilité de l’Eglise catholique

Ces stratégies de présence sans visée d’explication visible sont en effet mises en question à la fin des années 1970. Sous l’effet de quels facteurs ? Sous l’impulsion de quels phénomènes ?

Sans doute faut-il les situer dans la diversification du monde religieux français durant ces dernières décennies. Dans l’espace public, de nombreux groupes se manifestent : de confessions autres ou en marge du catholicisme. Avec la diversification de l’offre religieuse, les concurrences entre le catholicisme et des groupes non chrétiens, particulièrement prosélytes, ou chrétiens hétérodoxes s’exacerbent. L’affaiblissement général de la pratique religieuse contribue au développement de l’hétérodoxie. Et, plus généralement, c’est l’indifférence et la méconnaissance religieuses contemporaines qui croissent et qui conduisent les responsables à penser différemment le mode de présence de l’Eglise. L’attraction exercée par des groupes « en marge » de l’Eglise traditionnelle, conduit certains à penser que l’Eglise doit utiliser les mêmes moyens d’expression que ceux-ci et, en particulier, à manifester publiquement son message.

L’affirmation publique viendra singulièrement des groupes traditionalistes qui refusent la modernité, et au-delà, plus fondamentalement, la pluralité religieuse. Mgr Lefebvre ouvre son séminaire en 1976. Ses futurs prêtres revêtent la soutane qui permet de les distinguer dans la rue. Ils défilent et occupent des églises. D’autres encore, participent à des manifestations d’une extrême droite qui s’approprie des symboles religieux (Jeanne d’Arc). Quand la séparation avec l’Eglise des tenants de Mgr Lefebvre sera consommée, certains groupes choisiront le compromis qui leur permet de se maintenir dans l’Eglise catholique. Mais ils garderont ce souci de manifestation publique de leur conviction et de mise en cause ouverte de certaines lois (les Vierges Pèlerines, les groupes anti-IVG ou encore Laissez les Vivre ; trop rarement progressistes : Parténia 2000, Droits et Libertés dans les Eglises).

Par ailleurs, issus de la tradition du pentecôtisme protestant, les différents groupes du Renouveau charismatique expriment ouvertement et publiquement leur appartenance : les chorales de rue par exemple, le port de signes religieux. Les prêtres formés dans certains de ces mouvements revêtent des tenues particulières. Certains ordres religieux nouveaux font de même en choisissant notamment de porter en tout lieu une tenue distinctive. Ces groupes et ces congrégations nouveaux connaissent un développement notable 39 . Certains de ces groupes créent également des dispositifs d’action sociale vers des catégories de population défavorisées (le Secours Catholique regroupait à lui seul 72000 bénévoles et 773 permanents. On peut citer notamment les Instituts missionnaires masculins et féminins, les Sociétés de St Vincent de Paul (14000 membres) ou les Œuvres Hospitalières de Malte rompant ainsi avec le mouvement inexorable de laïcisation de l’action sociale et de prise en charge croissante de celle-ci par l’Etat (sic) et par différentes ONG ou associations.

Des organisations conservatrices comme les Associations familiales catholiques, qui pendant longtemps, ont eu une existence assez confidentielle, ont gagné du terrain dans les institutions de représentation des familles (Espérance et Vie, Renaissance, Familles Nouvelles, Cana… pour un total de 400000 personnes). La CFTC, qui s’était maintenue après le congrès de transformation de la CFDT en 1964, réaffirme plus clairement que par le passé ses références chrétiennes et intervient fortement sur des questions touchant notamment à la famille.

L’éloignement de l’Eglise de beaucoup de chrétiens engagés dans l’action politique, pour lesquels celle-ci suffit à donner sens à leur existence 40 , de même que le départ de nombreux prêtres dans les années 1970 contribue également à mettre en question les stratégies de présence de l’Eglise. Il faut ajouter que les proximités politiques de certains mouvements chrétiens font peur à certains. La JOC et l’ACO ont été accusées de faire le jeu du Parti Communiste, un comble pour des groupes catholiques.

La fin des années 1970 et le début des années 1980 semblent marquer une rupture dans la stratégie de l’Eglise catholique en France. En témoigne un rapport présenté par Gérard DEFOIS, alors secrétaire général de la Conférence épiscopale, devant les évêques en 1981. Il s’y livre à une critique du modèle militant et il souligne que les institutions ecclésiales « doivent traduire dans la vie quotidienne ce qu’il en est de la solidarité au nom de la foi ». Devant la confusion entraînée par la multiplicité des messages des différents groupes religieux, y compris catholiques, il importe que le message soit clairement énoncé 41 .

Et, pour que le message soit lisible, il est nécessaire que l’Eglise soit visible. Comme le réaffirme plus tard Mgr DEFOIS : « dans cet univers éclaté et pluraliste, l’Eglise n’a pas conscience d’être dite selon ce qu’elle veut être. D’où depuis dix ans un besoin d’identité chrétienne qui marque les spécificités et les contours de l’appartenance ecclésiale. Alors que les représentations sociales et les requêtes éthiques sont à la fois floues et évolutives, l’Eglise éprouve l’urgente nécessité- et Rome insiste sur ce point en matière morale ou catéchétique- de préciser son credo et ses frontières spécifiques 42  ». L’annonce de l’Evangile dans une société marquée par le pluralisme religieux et l’indifférence nécessite qu’on puisse offrir des lieux diversifiés, repérables et durables. Tel semble être le principe que l’on peut lire dans de nombreuses déclarations 43 .

Certes, il n’est pas question pour les responsables de l’Eglise de revenir en arrière ni de procéder par diktat, comme le souhaitent certains groupes et comme Rome semble l’afficher. Certains jugent secondaire la question des vêtements ou des signes extérieurs. Or, c’est parce que la théologie s’applique d’abord à l’état incorporé que le mode d’habillement des prêtres fait l’objet d’un contrôle institutionnel incessant. Tout récemment, les autorités de la congrégation vaticane pour le clergé, en la personne de Mgr Dario Castrillon Hoyos, ont lancé une polémique violente au sujet des effets dévastateurs d’une banalisation des marqueurs vestimentaires de la fonction sacerdotale. Ce prélat s’en prend aux « prêtres laïcisés dans leur manière de penser, de s’habiller ». Il les accuse d’avoir « une vision unique et plate de leur fonction, comparable à celle d’une assistante sociale, utile seulement pour qui désire un christ posé dans une niche au panthéon des philanthropes et une Eglise genre société de secours mutuel, branche d’une sorte de Croix-rouge internationale ou d’une ONU 44  ».

Les exemples de recherche d’affirmation publique à la fois des institutions et des membres de l’Eglise sont multiples, par exemple dans diverses manifestations organisées à l’occasion du Jubilé de l’an 2000. « Comment rendre visible notre démarche de croyants dans la vie de tous les jours ? » demandaient des jeunes à l’archevêque de Paris. Une solution est trouvée : la distribution d’écharpes conçues par un grand couturier pour la durée du carême 2001 45 . Comme l’affirme différents documents glanés ici et là, dans les diocèses et notamment à Saint Etienne, l’Eglise ne se trouve pas dans une logique de conquête missionnaire où il faudrait développer des stratégies qui mobiliseraient quelques élites mais elle ne peut pas se contenter d’un enfouissement silencieux et où elle semble vouloir avoir le souci apostolique de présence dans la vie de la société.

Notes
39.

C’est le cas par exemple de la Congrégation Saint Jean, créée en 1975. Se reporter à ROUVILLOIS M « Diffusion d’un ordre religieux nouveau » in BERTRAND JR & MULLER C ( dir) 1999, Religions et Territoires, Paris, l’Harmattan.

40.

DONEGANI JM, 1979 « Itinéraire politique et cheminement religieux. L’exemple de catholiques militant au Parti Socialiste » Revue française de science politique, vol 29, n°4-5

41.

« La mission dans la société et l’histoire », in Assemblée générale de l’épiscopat, l’Eglise que
dieu envoie. Paris. Le Centurion. D’après PALARD J « Institution religieuse et recomposition territoriale. La paroisse catholique et le système sociopolitique local » in BERTAND JR & MULLER C (dir) op.cit

42.

DEFOIS G, 1991 « Annonce explicite et visibilité de l’Eglise » in CHOLVY G, COMTE B & FEROLDI V ( dir) Jeunesses chrétiennes au XXe siècle, Paris, Editions ouvrières.

43.

Se reporter à divers articles dans La Croix comme celui de CHENU B, du 4 juillet 2000 : « Il est plus que jamais nécessaire de se prendre par la main pour faire exister un petit groupe de croyants dans chaque village, qui se risque à une certaine visibilité »

44.

SUAUD C op cit ; cf TINCQ H « une vive polémique oppose un évêque français à la curie romaine » Le Monde, 1er avril 1997.

45.

TERNISIEN X « cinquante mille écharpes griffées pour rendre visible un carême trop discret » Le Monde 17 janvier 2001