A. Noire, Rouge… et Verte

Face à cette noirceur cléricale évoquée par Flora TRISTAN, Saint Etienne va revêtir une autre couleur, le rouge. Entre 1850 et 1869, vont se développer les « goguettes » et la chanson libre. Aux chansonniers républicains comme Pierre Philippon et François Linossier, vont se succéder Eugène Besson, Rémy Doutre, Jacques Vacher qui vont, en créant le premier caveau stéphanois en 1869, fustiger l’institution catholique à travers des chansons- aux titres évocateurs- comme : « Le curé Bamboche » et « Comment les frères instruisent les garçons ». Eugène Besson déclarera dans son premier recueil de Poésies anti-cléricales : « il faut que l’ouvrier sorte absolument de cette léthargie profonde où l’ont plongé avec tant de fureur tous les gouvernements du cléricalisme  75 ». On retrouve les mêmes propos chez l’ébéniste Jacques Vacher, notamment dans « les fesses Mathieux de l’Eglise » ou encore « Tout le noir bourbier jésuitique 76  ».

Le noir n’est plus la couleur – et l’absence en même temps- caractérisant la laideur, la tristesse du peuple stéphanois mais évoque la fausseté et l’hypocrisie d’un des piliers du pouvoir dominant. Cette lutte entre une image rouge et noire de Saint Etienne perdure jusqu’à l’entre deux guerres où la ville va se doter d’une nouvelle imagerie que les paroisses nouvelles tentent de retrouver : celle du village. Saint Etienne se veut être un espace villageois, une communauté familiale. Le déterminisme d’Emile Zola qui liait milieu de vie et société est renversé. La contemplation de l’urbain cède la place à la description des réalités humaines. Les distances sociales s’effacent dans un « nous » collectif à base territorial, dans une communauté de type familiale, qui impose, comme les travaux de Georges Simmel, une lecture écologique, naturelle et morale de la ville d’où sont bannis tous antagonismes sociaux. Les quartiers ne sont que villages. Traces et prégnances du rural dans l’urbain, images de la diversité, de la beauté et de l’enracinement qui se substituent à la monotonie, au dépaysement et à la laideur. Les quartiers du Soleil, de Montaud, de Solaure, de Saint François sont autant de villages. Saint Etienne apparaît alors comme une communauté ou un ensemble de communautés villageoises, une société sans conflits, fonctionnant sur le modèle idéal de la famille. « La voix de ses cloches diffère du morne carillon des autres grandes villes : elle est intime et familiale, comme la sonnerie d’un grand village ou d’un vieil évêché 77  » écrira TENANT.

Le village renvoie à la campagne et au vert, à la couleur verte. A la sortie de la seconde guerre mondiale, avec près de vingt ans d’avance, c’est sous la plume de Jean d’Auvergne que Saint Etienne deviendra une ville verte : « du vert, du vert […] couleur d’espérance. Du vert ! du vert partout  78 ! ». Et ce vert de l’espérance est partagé par les tenants des deux couleurs antagonistes du paysage stéphanois. Les noirs aspirent à la stagnation, les rouges à la révolution.

Notes
75.

BESSON E, 1882, in « Poésies anti-cléricales »Saint Etienne, Imprimerie Menard et Duny

76.

VACHER J, 1898, in « Poésies et chansons » Saint Etienne, Imprimerie de la Loire Républicaine.

77.

TENANT J, 1937 p 36 in « Ame de mon pays : Souvenirs et portraits stéphanois. Discours et chroniques », Saint Etienne, Imprimerie Théolier.

78.

D’AUVERGNE J 1952, p 157 in « Saint Etienne, capitale du travail et du cœur » Saint Etienne, Imprimerie Magand