C. Des quartiers paysages aux quartiers stratégies sociales :

Qu’il soit l’unité élémentaire de vie sociale comme le décrit Pierre Henry CHOMBART de LAUWE, la fraction d’espace urbain présentant des caractères communs de Georges CHABOT ou encore les anciennes unités autonomes distinctes par la composition de leur peuplement, ou par leur fonction, leur age d’insertion dans la ville, comme le souligne Pierre GEORGE 81 , le quartier demeure, sociologiquement parlant, une entité vivante à l’intérieur de la ville, une réalité géographique.

En mixant les quartiers institutionnalisés (approche synchronique) et ceux pratiqués et vécus (approche diachronique), l’Eglise avait maillé le territoire stéphanois en 7 secteurs de 26 paroisses. Est-ce à dire pour autant, qu’il y avait autant de quartiers que de paroisses ? Si l’on se base sur les chiffres de fréquentations des églises, on peut affirmer que globalement le contraire et que la réalité d’une unité spécifique ne s’applique pas à toutes les paroisses. La Grande Eglise, qui au regard de l’histoire aurait dû être cathédrale, avait une fréquentation composée à 86% d’une population du quartier alors que pour la majorité des autres édifices, le taux oscillait entre 35% à St Louis et 58% pour les autres.

Saint Etienne est structurée par un ensemble d’espaces hétérogènes, traversés par un axe nord sud – La Grand’Rue- avec deux extrémités : La Terrasse et Bellevue. Même les fusions de Terrenoire en 1970 et de Rochetaillée en 1973 n’on pas changé cette réalité. Après la seconde guerre mondiale, l’Eglise s’est livrée à une véritable conquête des quartiers stéphanois. La confrontation fut inévitable entre les prêtres ouvriers et les amicales laïques. Le quartier s’est structuré autour des amicales laïques, qui ont encadré la population stéphanoise en exerçant des fonctions de stimulation, de la lutte des classes, d’éducation et de récréation. Le quartier existe et se structure autour des antagonismes entre les différentes institutions et les appartenances politico idéologiques : défilé contre procession, chanson ouvrière contre hagiographie, belote vs dames…. Rythmé, clivé, c’est ainsi que le quartier trouvait son unité et sa transparence de type village. Les espaces se fondent et la mobilisation générale est déclarée dès que s’organise une kermesse ou un bal populaire. Le quartier est unifié par ce dualisme, que l’image de « Don Camillo et de Pépone » illustre à merveille.

C’est cette appartenance à une institution ou à une autre, c’est de cette lutte politico idéologique qu’existe le quartier. Si prégnante dans l’histoire stéphanoise, elle fut dédramatisée par les associations paroissiales. Les bulletins paroissiaux à diffusion interne qui s’intitulaient l’Echo, le Messager comme pour bien insister sur la diversité, furent rebaptisés Ensemble, en Equipe, En Famille ou encore Contacts et furent distribués à la population entière du quartier. C’est ainsi que l’on pouvait lire : « Pourquoi grâce aux contacts, ne se créerait-il pas davantage dans notre quartier un esprit de compréhension réciproque qui nous permettrait à tous de nous connaître un peu plus, de voisins à voisins, de maison à maison, animés d’un désir de chercher dans un mutuel respect de nos diversités, ce qui rapproche, ce qui unit, ce qu’ensemble nous pouvons bâtir et non ce qui sépare ou divise 82  ».

Avec l’éclatement du quartier milieu de vie où se différencient à présent les espaces fonctionnels, antérieurement superposés, vont apparaître de nouvelles formes de groupements à base territoriale. Aux antagonismes entre amicales laïques et œuvres paroissiales et patronales (de concert), vont se substituer les enseignants, membres de professions paramédicales, cadres moyens qui vont mettre à mal et vouloir transformer le mythe de la communauté villageoise, du quartier et faire le procès de la gestion idéologique des rapports sociaux. L’apogée de ce mouvement sera atteinte en 1975 avec la création des « maisons de quartiers ». Cependant, l’affrontement entre laïcs et chrétiens va perdurer, mais larvé. Les partis de gauche ont voulu supplanter l’Eglise et le patronat dans l’éducation des populations. On retrouve ce clivage entre jeunesse communiste et CGT d’un côté, jeunesse chrétienne et CFDT (à travers le poids des jocistes) de l’autre.

C’est à ce passé et à cette image de village que fait référence, à notre avis, l’Eglise dans l’édification et la vie des paroisses nouvelles. Le but sera-t-il atteint ? Il est trop tôt pour en juger. De plus, il ne faut pas s’ôter de l’esprit que le quartier, garant d’une identité, explose toujours à Saint Etienne. Que cela soit par l’emprise industrielle ou technologique trop forte pour ne pas en faire un espace de vie : le Marais ; d’une trop grande proximité d’un centre ville, qualifié d’hyper centre : Saint François ou Saint Roch ; ou encore par la discontinuité et la rupture tant sociale, économique que géographique : La Rivière ou la Terrasse, les quartiers vécus et perçus tendent à éclater ou à disparaître. Terrenoire et Rochetaillée sont toujours des villages, des espaces fonctionnant comme des communes à part entière, Montreynaud et la Cotonne apparaissent toujours comme des espaces créés artificiellement pour servir de « réservoirs » à l’industrie pour le premier et à Centre 2 pour le second. Que dire de la Métare, Beaulieu ou Montchovet, doit-on parler de quartiers urbains ?

Fig. 1 : LES QUARTIERS STEPHANOIS
Fig. 1 : LES QUARTIERS STEPHANOIS

L’histoire des rapports entre Eglise et sociétés locales et les interrogations restées en suspends sur l’existence effective de quartiers à Saint Etienne allaient sans nulle doute peser sur la recomposition paroissiales. Fondé le 30 Mai 1971, le diocèse de Saint Etienne allait s’inscrire dans une nouvelle étape pour « rester dans le souffle de l’Esprit » comme le signalait l’évêque de Saint Etienne en 1996 dans les Orientations Diocésaines. La lettre pastorale publiée en décembre 1994 par l’évêque Pierre JOATTON fut le point de départ du processus de recomposition qui allait aboutir à la création de 29 « paroisses nouvelles », en mai 1999.

Notes
81.

CHOMBART DE LAUWE PH, 1952 « Paris et l’agglomération parisienne » Tome 1 : L’espace social dans une grande cité. Paris, PUF, 262P CHABOT G, 1970 « Vocabulaire Franco-allemand de géographie urbaine » Paris, Ed Ophrys, 69p GEORGE P & VERGER F, 1997, « Dictionnaire de géographie » Paris, PUF

82.

Contact Juin 1951. cité par LUIRARD M, 1976, in « L’intérêt historique des bulletins paroissiaux ». Bulletin du centre d’histoire régionale. Université de Saint Etienne, n°2 p63 à 79