IV. Le temps des propositions : L’Assemblée Diocésaine du 17 Février 1996

Cette étape cruciale a amené à recentrer le débat et les interrogations autour de quatre grands thèmes, devenus chantiers : la solidarité, les communautés, les ministères et la formation. A travers l’analyse des comptes rendus de ces quatre chantiers, ont voit poindre en filigrane l’éventail des dimensions à prendre dans la recomposition du diocèse tant dans ses territoires, son fonctionnement que ses missions. Ils illustrent les interrogations et les thématiques développées dans cette thèse où individu ne va pas sans communauté, territoire sans réseau, prêtre sans équipe de laïcs, pratiquant sans militant. C’est à une mosaïque de comportements, de réalités et donc de territoires et de temporalités que l’Eglise diocésaine de Saint Etienne a dû faire face pour mener sa transformation.

La solidarité : le débat s’est articulé autour de trois points : quelles solidarités ? L’accent est mis sur les solidarités humaines, dans un souci de transcender les solidarités religieuses. L’éducation, le travail, l’engagement civique, syndical et politique sont mis en avant. Quelles paroles d’Eglise ? les actes sans parole n’ont de sens. L’Eglise doit rappeler des exigences pour une vie société. Elle doit s’ouvrir doublement au monde. La solidarité est nourriture de la foi, la foi est nourriture de la solidarité, à quelles conditions ? Il est question ici, de donner sens, ne pas opposer foi et monde, aider les individus à devenir des être pleins, en dehors de l’Eglise. L’objectif de cette thématique était de faire prendre conscience et révéler aux chrétiens qu’ils font partis de l’humanité commune. L’Eglise cherche à proposer des lieux de réflexion sur la « parole sociale » de celle-ci .La quête de visibilité forte est affichée. L’institution veut aussi récupérer les différents mouvements de solidarités, toutes ces communautés qui gravitent sans pour autant être satellisées : « A l’intérieur de l’Eglise, qu’il y ait bien collaboration entre les instances de solidarité. Que le conseil de la solidarité soit plus visible 86  ».

Les communautés : c’est certainement la pierre angulaire de la recomposition. Se croisent en effet, des impératifs purement fonctionnels (nombre de prêtres en baisse, administration coûteuse) – même si comme nous venons de l’analyser, cela n’est jamasi évoqué dans le discours diocésain- à une attention à la pluralité des comportements religieux. L’enjeu était de chercher et de mettre en place une nouvelle organisation diocésaine. Communautés et assemblées sont synonymes tout au long de la réflexion et le devenir de la paroisse, en nombre, en fonctionnement ou en tant que concept en est au cœur. Les interrogations furent nombreuses : faut-il regrouper les paroisses ? Peut-on considérer localement que la paroisse n’est pas une communauté unique ou est-ce un lieu de rencontre et de communion entre des communautés diverses ? La réponse fut commune et proposa une véritable idée, un concept même : une communion de communautés.

Elle reflète tout d’abord une manière dynamique de concevoir l’Eglise, dans le sens où elle implique la mise en mouvement et la rencontre. C’est aussi une prise en compte des nombreux groupes et équipes qui structurent la vie et la mission de l’Eglise. Enfin, elle admet l’existence d’une mosaïque de communautés, en accord avec les réseaux de vie, avec des perspectives et des buts précis, chacune reconnue mais nécessaire à la vie de l’Eglise, sorte de « supra communauté ». Concevoir l’Eglise comme une communion de communautés évite de confondre unité et uniformité et dépasse l’esprit de clocher. Cette perspective semble être plus en accord avec les réalités. Il est question de décloisonnement plus que de fusionnement, de créer des lieux et des rassemblements qui respectent l’identité propre de chaque individu, de chaque communauté mais en les inscrivant dans une mission commune avec un souci particulier pour faire aimer l’Eglise aux jeunes.

Cette idée amène nécessairement des interrogations : parle-t-on d’une nouvelle paroisse ? Dans quel cadre institutionnel cette « communion » doit-elle se mettre en place ? Elles trouvèrent leurs réponses dans l’intervention de l’évêque diocésain : « La communion de communautés passe par la création de nouvelles paroisses, de paroisses nouvelles. Mais quand on parle de communion de communautés, cela veut dire qu’il y a des communautés ecclésiales de base [...] Dès qu’une communauté se fonde, si petite soit-elle, elle a besoin d’appui pour vivre. Pour grandir, pour se développer, ces petites communautés doivent pouvoir former avec d’autres des communautés plus larges 87  ».

Cependant, cette communion de communautés n’occulte pas la question du territoire. On retrouve d’ailleurs, dans les intitulés d’interrogations de nombreux paroissiens, une certaine mise en parallèle des recompositions paroissiales avec celles des institutions civiles : « Au moment où l’administration publique se « territorialise » et se décentralise, ne serait-il pas paradoxal que l’Eglise s’oriente vers des regroupements ? » ou encore « Dans nos propositions pour « faire Eglise » sommes-nous attentifs aux diverses mobilités et aux communautés choisies ? Comment sommes-nous attentifs aux lieux qui peuvent se distendre ou se renouveler ? » Ces deux questions sont intéressantes dans le mesure où la décentralisation est perçue comme un principe allant à l’encontre du regroupement alors qu’il s’agit d’un transfert de territoires à une autre échelle de gestion et d’animation : la région, la métropole ou la communauté de communes. Le thème du « réseau » est présent dans la seconde interrogation à travers la flexibilité et la mobilité qui iraient à l’encontre du principe de territoire. Or, un réseau n’est-il pas une forme de territorialisation ?

Les ministères : cet atelier complétait celui sur les communautés dans la mesure où il revêtait un double caractère, organisationnel et fonctionnel. En 1996, le diocèse de Saint Etienne comptait 132 animateurs en pastorale (salariés et bénévoles), 24 équipes d’animation pastorale (environ 100 personnes), 10 diacres, 283 prêtres (165 de plus de 65 ans, 29 de moins de 50 ans). Cet état des lieux montrait deux réalités : un nombre de prêtres insuffisant au regard du droit à la retraite et des laïcs en nombre croissant exerçant des responsabilités importantes. Un certain conflit semblait s’être établi entre les ministères baptismaux et ordonnés, chacun ne sachant plus trop où se situer, quelles missions accomplir et sur quelles légitimités. Il fut affiché une volonté de clarifier cette situation, de construire des équipes où prêtres, membres de l’Eglise et laïcs travaillent ensemble, chacun à leur place. Le prêtre demeure le seul à être capable d’administrer les sacrements et la paroisse, même nouvelle demeure indissociable de la présence d’un prêtre à sa tête. Mais son activité évolue, il n’est plus celui qui doit exercer toutes les activités, sa fonction mute en celle d’un modérateur. Le prêtre tempère ce qui devient excessif à l’institution diocésaine dans les comportements, les attentes et les structures « parallèles » en œuvre dans la paroisse nouvelle dont il a la charge. Il en régularise le fonctionnement en encadrant et déléguant les autres activités aux laïcs.

Cet atelier voulait amener à penser en termes de services, plutôt que d’autorité ou de fonctionnarisme. Cette vision est souvent partagée dans les réflexions autour des services publics 88 , l’efficience (quels sont les outils et les structures les plus adaptés à la demande – dans ce cas là, les équipes et les individus) et l’efficacité (produisent-ils les effets escomptés) en sont les moteurs. Elle se complète par un désir de penser les ministères en termes de collégialités plutôt que d’organisation pyramidale ou rigide même si le ministère presbytéral devient celui de la présidence des communautés et que les autres ministères, diaconaux et laïcs demeurent complémentaires.

La formation : Ce dernier chantier voulait que se créés les conditions d’accompagner les personnes dans leur formation de « chrétien » que cela soit pour répondre à une prise de responsabilité ou dans le développement spirituel personnel. Le souci de vivre dans son temps est aussi affiché avec la volonté de se servir de tous les moyens de communications actuels. La formation doit aussi permettre à l’Eglise de « se faire entendre » , non seulement par les membres des communautés, de la communautés diocésaine mais aussi par les populations n’en faisant pas partie.

Enfin, l’institution entendait créer les conditions d’une meilleure formation de l’ensemble des communautés afin d’accompagner les ministères laïcs et ordonnés. Il est question aussi de pouvoir une fois de plus encadrer les mouvements spirituels et autres qui eux, offraient une formation souvent poussée, qui entrait en concurrence avec celle –même faible- de l’Eglise diocésaine.

C’est donc, après cette longue préparation de deux ans, faite de discussions, d’échanges, de chantiers que furent promulguées en octobre 1996, les Orientations diocésaines, qui donnèrent le « coup d’envoi » de la recomposition paroissiale.

Notes
86.

« Chrétiens en marche », p5 n° 276, 10 Mars 1996

87.

Propos tenus lors de l’Assemblée diocésaine et rapporter dans « Chrétiens en marche » , p 9, n°276, Mars 1996

88.

PADIOLEAU JG, 2002, « Le réformisme pervers : le cas des sapeurs pompiers » Puf, Paris