III. Les paroisses nouvelles : laboratoires de la pastorale du futur ?

La mise en œuvre des Orientations diocésaines, tout comme la restructuration des paroisses s’inscrivent dans une dynamique résolument missionnaire. Axée fondamentalement sur une pastorale adaptée à la majorité de la population, les recommençants, la territorialisation actuelle illustre et se fait l’écho des observations réalisées sur le terrain à propos des comportements religieux contemporains.

La société est marquée par la déchristianisation et la pluralité religieuse mais paradoxalement, comme nous l’avons constaté lors de nos entretiens, l’Eglise catholique est interpellée, perçue comme source et lieu de sens, de tradition spirituelle, d’identité et de filiation. Les responsables diocésains ont pris la mesure du contexte dans lequel ils évoluent et ont développé une stratégie intéressante que l’on pourrait résumer par cette phrase prononcée par une animatrice en pastorale : « la foi chrétienne ne nous constitue pas en minorité isolée mais nous rend attentifs au monde tel qu’il est, aujourd’hui ! »

Les points de départs de la recherche spirituelle ou non des recommençants ont été clairement identifiés et recoupent ceux que nous avons auparavant observés :

Les temps forts de la vie sont propices à l’ouverture de l’individu sur d’autres perspectives et donc à l’Eglise. La pastorale sacramentelle comme un mariage, un baptême sont des occasions de rencontres avec des chrétiens pour changer le regard sur l’Eglise. Beaucoup de personnes se tournent vers l’Eglise avec des questions qui sont restées comme en latence en eux-mêmes : pourquoi je vis, pourquoi j’éprouve la solitude, l’angoisse, le désespoir, le bonheur ? La foi apparaît à un moment donné de la vie comme lumière sur soi-même et ses interrogations. Les questions de sens restent une des principales sources de retour au religieux chez les distancés. Le besoin du religieux, comme espace d’espérance : c’est le constat que de nombreux hommes d’Eglises ont fait, comme si le religieux servait la recherche de sécurité dans l’irrationnel. « La proposition d’un chemin de foi peut permettre d’aller plus loin, jusqu’à vivre l’Evangile au quotidien », témoignait un prêtre. Enfin, la recherche de fraternité, d’un nouvel art de vivre est le dernier point de départ du retour à l’Eglise. C’est à la fois une quête de fraternité et d’identité car l’homme se définit par sa relation aux autres.

Spécifique, nécessitant des structures à la fois souples et rigides, la pastorale des recommençants illustre bien la tendance actuelle de la territorialisation du religieux : la superposition d’une action territoriale, en réseau et de mouvements. Comme le soulignait avec justesse M. Anne Marie BURNICHON, de l’Atelier des recommençants : « Ils sont nombreux ceux qui ont tout eu ou presque : baptême à la naissance, un peu ou beaucoup de caté, la première communion… Ils ont donc un passé chrétien, si mince soit-il. Et puis, ils ont pris la distance par rapport à ce passé. Beaucoup ont pu être blessés par la vie ou ont souffert de l’Eglise… Certains attendaient des réponses qu’ils n’ont pas eues… Ils ont donc vécu une rupture ou, en tout cas, un éloignement qui a duré dans le temps […] Bien entendu, la grande majorité des baptisés non-pratiquants ou indifférents ne sont pas en chemin vers un recommencement. Mais il arrive pour certains qu’un « déclic » se produise et les mette en route […] Leur attente première n’est certainement pas de réintégrer l’Eglise, ils souhaitent trouver un lieu où redécouvrir le christianisme, lieu où ils pourront poser leurs questions et être acceptés avec leurs doutes, leurs hésitations, sans être jugés ou récupérés ».

Le repérage des distancés est le premier travail et il possible de dégager trois cibles : Les recommençants qui font partie d’une communauté ecclésiale de base : être capable d’identifier, d’accueillir et d’accompagner ces personnes est un signe de vitalité de la paroisse nouvelle. Ceux repérés dans des cadres ecclésiaux comme la catéchèse ou la pastorale sacramentelle : aider les membres des équipes d’animations spécialisés qui n’ont pas le temps ou la compétence d’entrer en contact. Les recommençants repérés en dehors des cadres ecclésiaux habituels : là l’Eglise se développe dans tous les territoires et les réseaux de la vie sociale. L’attention à ces trois possibilités de rencontres est soutenue dans chaque paroisse

Même si cela ne se traduit pas dans chaque paroisse nouvelle par des lieux dédiés exclusivement à cette pastorale, alors qu’au cours des premiers siècles, dans la ville de Rome, il y avait les tituli, des lieux spécialisés, où la liturgie était célébrée et l’initiation chrétienne réalisée, il est possible d’identifier dans chacune d’entre elle, trois phases de cette pastorale, trois phases territorialisées :

L’éventail des outils développé par l’institution diocésaine locale tend à prouver que ce qui conditionne la justesse des recompositions est la compréhension de la modernité religieuse. Cependant, nous venons de monter que les modalités proposées par l’Eglise diocésaine n’ont pas répondu totalement et parfaitement aux réalités de la sociabilité religieuse actuelle. Ce constat revient à formuler l’hypothèse que les appartenances, les fonctionnements et les structures de la paroisse nouvelle ne prennent pas en compte l’ensemble des registres de cette sociabilité. Dès lors, une interrogation émerge: l’individualisation des pratiques n’aurait-elle pas comme corollaire la production de modalités de territorialisation individualisée dans l’optique de leur plus justes expression ? C’est une des thèses que nous défendons.