III. Cartographie représentative de quelques stéphanois : repères d’une territorialisation plurielle et adaptée

En définissant ces quatre dimensions pour tenter de cartographier les trajectoires d’identification d’une population donnée, nous cherchons à analyser autrement les rapports à la recomposition paroissiale. Nous plaçons notre réflexion dans le contexte du développement d’une individualisation croissante des modalités de territorialisations de religieux. Une fois les représentations cernées, nous interrogeons les gens sur le regard qu’ils portent sur l’institution et son action de recomposition par rapport à celles-ci. Ce choix permet de cadrer avec plus de finesse ce qu’attendent ou n’attendent pas les population de la part de l’Eglise diocésaine en matière de structures territoriales. Les différents entretiens ayant permis de définir les quatre dimensions d’identification ont servi à élaborer un nouveau questionnaire, plus synthétique et semi directif. Il s’agissait sur une échelle de 0 à 10, de définir le degré d’importance accordé à ces dimensions (Nullement- Partiellement- Moyennement- Fortement et Exclusivement) afin de dresser la cartographie des identifications religieuses à Saint Etienne.


DIMENSION COMMUNAUTAIRE
Quel est pour vous le degré d’importance de l’idée de communauté dans votre identification au catholicisme ?

DIMENSION EMOTIONNELLE
Diriez-vous que votre rapport à la religion et l’Eglise est de l’ordre de l’émotionnel ?

DIMENSION CULTURELLE

Reconnaissez-vous au catholicisme une valeur culturelle ?

DIMENSION ETHIQUE
Jugez-vous que les valeurs prônées par le message de l’Evangile conditionnent les comportements extra religieux ?

Afin de dresser cette cartographie, nous proposons le schéma suivant :

Figure 11 : Schéma construction identité socio religieuse
Figure 11 : Schéma construction identité socio religieuse

L’institution assure en principe la régulation de tout un ensemble de tensions au travers du contrôle d’un pouvoir. Mais, dans le contexte actuel, une question se pose : que se passe-t-il lorsque comme aujourd’hui, la capacité régulatrice de l’institution est remise en question par la capacité autonome des individus de rejeter les identités « clés en mains » pour construire eux-mêmes, à partir de la diversité des expériences, leur propre parcours d’identification ? La première observation réalisée est celle d’une facilité remarquable de sortir de la religion. Le catholicisme qui ne définit plus les formes du lien social et de l’organisation politique des sociétés laïcisées, ne prescrit plus non plus aux individus des identités sociales inaliénables. L’abandon d’une identité héritée, la recherche personnelle d’une confession plus adaptée aux attentes personnelles, toutes ces modalités de « sortie de la religion » peuvent être analysées à l’aide de ce modèle mais ce travail dépasserait celui auquel nous devons nous livrer ici.

Cependant, des recompositions identitaires, plus ou moins complètes, peuvent être mises en avant dans cette étude. La « sortie de la religion » n’est pas définitive. Les individus sollicités par les enquêtes montrent qu’ils conservent néanmoins une bribe des identités qu’ils ont abandonnées. C’est ainsi que le retrait religieux le plus explicite peut coexister chez le même individu avec la préservation, plus ou moins consciente, d’adhérences communautaires : « je ne vais pas à l’église mais je me sens proche des personnes qui s’y rendent » ou encore, à propos de cette même assemblée : « Ils forment une communauté dont je me sens membre » ; culturelles, beaucoup de personnes interrogées se sentiront proche « d’une culture chrétienne » sans pour autant en donner une définition claire ; éthiques, là aussi, l’attachement à des valeurs dites ou interprétées comme chrétiennes est affiché comme la solidarité, l’amour, la famille… ou encore affectives mais là, la superposition avec la dimension communautaire est certaine.

Sur le même panel de 30 personnes venant de paroisses différentes et regroupées en trois catégories : pratiquants réguliers, jeunes et autres on obtient le schéma suivant :

Figure 12 : TRAJECTOIRES D’IDENTIFICATIONS RELIGIEUSES STEPHANOISES
Figure 12 : TRAJECTOIRES D’IDENTIFICATIONS RELIGIEUSES STEPHANOISES

Chez les pratiquants réguliers, la dimension communautaire est de loin, à l’inverse des deux autres catégories sondées, le trait majeur de l’identification religieuse. Cela s’explique par la position qu’ils occupent sur l’échiquier des comportements religieux actuels. Ils s’apparentent à la figure classique du pratiquant, celui qui vit sa foi comme une transmission. En cela, ils donnent une réelle importance à la paroisse, à ses contours, à sa structure. Ils n’ont que peu de recul vis-à-vis des recompositions paroissiales et lorsque celles si sont évoquées, le seul point négatif qu’ils soulignent et l’éloignement du prêtre et l’impossibilité – pour les moins mobiles- à se rendre sur le lieu de culte « imposé » par l’institution lorsque qu’une rotation est instauré au sein de la nouvelle paroisse. Cependant, on sent nettement chez eux un sentiment d’injustice « … aux vues des efforts déployés par l’Eglise pour aller à la rencontre de ceux qui n’y vont pas ». Même si l’institution ne les pointe pas du doigt comme une catégorie particulière, préférant à notre distinction, l’idée martelée de « communion de communautés », il apparaissent très clairement comme une population marginalisée mais idéalisée . Marginalisés car l’attention n’est pas focalisée sur eux et idéalisés car ils restent les illustrations, fugaces, de cette civilisation paroissiale évanouie.

Alors que les jeunes favorisent majoritairement la dimension émotionnelle et donc, une « religion à la carte », les pratiquants réguliers réfutent toute idée de « bricolage religieux ». A travers les différents témoignages, l’unicité de l’Eglise est évoquée : « Je me réfère à un seul Seigneur », ou « le baptême est l’unique attestation de mon existence, en tant que chrétien ». Tout comme sa sainteté et sa particularité : « Il y a un lien avec Dieu qui fait que l’Eglise est libre dans le monde, par rapport à tout groupe ou institution […] Nous chrétiens – le terme catholique n’est que très rarement employé- n’avons nullement besoin de nous justifier ! ». Enfin, pour compléter cet instantané, la reconnaissance relative des dimensions éthique et culturelle émergent dans les référents aux caractères apostolique : « Je suis un messager, un dépositaire et non un propriétaire de l’Evangile ! » et universel de l’Eglise catholique : « L’Eglise est pour tous car elle annonce le règne de Dieu ! ».

Les pratiquants réguliers stéphanois sont les plus proches de la figure idéale du catholique que cette méthode a défini. Les jeunes, eux, illustrent plus la sortie de la religion combinée à un besoin de convivialité, d’émulsion collective, de transcendance, dans la mesure où ils favorisent les dimensions émotionnelle – donc individuelle et culturelle – donc sociale, dans leur identification. Ils recherchent des expériences pouvant leur donner confiance au lendemain, des repères idéologiques, des personnes partageant leurs valeurs qu’ils assimilent à un patrimoine culturel : « Grâce aux JMJ, je repars gonflée à bloc, confiante en l’avenir, confiante dans l’Eglise et dans ma foi ! »

Enfin, le troisième groupe, lui est révélateur de la modernité religieuse décrite. Le rapport à l’Eglise est conditionné par un intérêt personnel, un besoin particulier et symbolique. Ses membres ont un rapport « de-institutionnalisé » avec le catholicisme : « Je prends mes distances vis-à-vis du curé, de ma paroisse. », ou « Ma conduite et ma morale de vie ne sont pas dictées par l’Eglise ». Ils ne sont pas pour autant sans religion. Ces personnes restent sensibles au rôle que peut jouer l’institution lorsqu’il est question de la mort. Les obsèques, parmi d’autres rites – dont l’importance sera analysée- s’inscrivent avec ces populations dans une logique « identités mémoires 97  ». Il ne fut pas rare d’entendre : « Le baptême, le mariage ou les obsèques permettent d’inscrire une histoire personnelle dans la longue durée […] Cela permet de préserver un héritage familial, une identité collective ! ». Ils ne se sentent pas concernés par les recompositions paroissiales, mais ont un regard critique sur les modalités territoriales mises en œuvre. Ils s’inscrivent dans un rapport de quasi clientèle, choisissant les groupes et les structures qui répondent à leurs attentes et ne nécessitant pas de leur part un « effort important ».

Quoi qu’il en soit, ces trois catégories se rejoignent sur un point : chacune de ces dimensions de l’identification peut lorsqu’elle est autonome par rapport aux autres, devenir elle-même l’axe d’une construction ou reconstruction de l’identité religieuse. Citons, au gré des enquêtes : « l’expérience émotionnelle », « le désir de préserver une culture religieuse », « le besoin de rejoindre une communauté » ou encore des réponses appelant à « une mobilisation éthique », comme autant d’expériences qui peuvent constituer le point de départ d’une élaboration identitaire singulière et individuelle. Pour certains, la participation « enthousiaste » à un rassemblement de jeunes est le vecteur d’intégration à un groupe au sein duquel ils vont acquérir progressivement une culture religieuse. Pour d’autres, c’est la découverte des solidarités vécues dans l’engagement humanitaire –local ou international- qui initie un parcours spirituel et conduit à l’affiliation communautaire. Enfin, pour d’autres encore – nous en avons rencontrés que quatre- une expérience esthétique associée à la découverte culturelle d’une tradition religieuse (pèlerinages, cérémonies….) inaugure, en quelque sorte, un engagement communautaire. Mais le sentiment d’appartenance, d’adhésion change rapidement d’échelle pour définir une identification plus nationale vis-à-vis d’une autre confession religieuse que locale pour tenter de cerner le lien avec l’Eglise diocésaine et paroissiale.

Conscients que le travail réalisé n’est pas suffisant pour proposer une cartographie des trajectoires possibles de l’identification religieuse applicable à l’ensemble des comportements actuels, le seul apport d’une telle recherche est l’illustration de quelques types de profils religieux saisis ça et là. Ils se dessinent lorsque deux dimensions de cette identité religieuse s’articulent pour former un axe majeur, reléguant au second plan les autres. Cependant, ils se révèlent être des outils redoutables pour cerner la typologie des « clients » de l’Eglise.

Notes
97.

Selon l’expression de CAMPICHE RJ, 1991 in « La déconfessionnalisation de l’identité religieuse ». Revue Suisse de sociologie. N°3 Religion et Culture.