Premier point, formel mais significatif. Les non pratiquants ne parlent jamais de l’Eglise en employant un pronom possessif à la première personne. Elle est toujours évoquée à la deuxième personne du singulier « ta paroisse » - même après leur avoir expliqué qu’en aucun cas, nous en étions membre, ou du pluriel « Votre Eglise » ou encore au moyen de formules impersonnelles « ils devraient ». Dans l’agglomération stéphanoise, le distancé ne s’identifie pas au groupe ecclésial de son quartier – dans la paroisse nouvelle qui se voulait pourtant comme le reflet des quartiers et des bassins de vie locaux. Dès lors, des structures territorialisées voulant réaliser « la communion des communautés » n’a aucun intérêt pour lui.
Pour saisir le plus correctement possible la distance que le demandeur occasionnel instaure entre l’Eglise et lui-même, il faut passer par l’analyse du pratiquant tel qu’il est décrit par les distancés. L’emploi de ce vocable a toujours une connotation péjorative dans la bouche d’un non pratiquant. Si on l’interroge sur ce qu’il faut entendre par là, il parlera de « grenouilles de bénitiers » ou encore de « momiens » ou « momiers 104 ». Même si les distancés ne s’apparentent nullement à une entité constituée, on retrouve une tendance naturelle à valoriser le même et à dévaloriser l’autre. Quoi de plus normal, car, les groupes sociaux ne doivent-ils pas leur cohésion à leur pouvoir d’exclusion, au sentiment de différence attaché à ceux qui ne sont pas comme « eux » ? Les distancés voient dans « les réguliers », « les pratiquants », un groupe inconnu et hostile. L’Eglise est souvent formée par les autres, dont justement ils ne font pas partie : « Nous, on n’est pas des gens d’Eglise » affirmaient plusieurs d’entre eux.
Ainsi, par la distanciation d’avec le pratiquant, le distancé effectue son propre positionnement. Le pratiquant est alors dénigré. Beaucoup ont un regard féroce sur les pratiquants réguliers : « Cette piété exacerbée, cette participation active à la vie paroissiale ne traduisent pas toujours une réelle foi ! ». Pour eux, le vrai croyant est alors celui qui agit en conformité avec l’amour et la bonté du christ et non « celui qui affirme vivre à l’image du Christ, mais qui ne fait rien ! ». Entre le catholique pratiquant hypocrite et « la crevure », il n’y a qu’un pas que certains n’ont pas hésité à franchir. Cette image du pratiquant est conditionnée par le devoir de participer à la messe. Sont pratiquants ceux qui vont à l’église et qui n’agissent pas en conformité avec l’enseignement reçu.
Par ce travail, le distancé dit ce qu’il n’est pas. Bien entendu, tous ces non pratiquants ne se considèrent pas forcément comme chrétiens au sens du modèle qu’ils ont élaboré. La proposition chrétienne, catholique en ce qui nous concerne, leur paraît par trop irréaliste et radicale. Cependant, la plupart se considèrent tout aussi chrétiens, si ce n’est plus, que les pratiquants réguliers. Ils se veulent « catholiques à leur façon ! » Ils affichent des principes d’honnêteté, de loyauté, érigés en vertus cardinales et qui résument à leurs yeux l’essentiel du message chrétien. Ils se « calvinisent », pour employer un néologisme !
Pour de rares sondés, le socio type du pratiquant contient des traces d’oppositions sociales, de lutte des classes. Certains fustigeront les patrons qui « licencient en semaine et qui vont prendre l’eucharistie le dimanche ! 105 ». Les conseillers de paroisse ayant été recrutés jadis parmi les notables et les patrons, cette description se nourrit souvent d’une déception. On garde rancune aux chrétiens de ne pas se montrer à la hauteur de l’idéal évangélique.
Enfin, le pratiquant ainsi défini comporte une incidence sur le plan de l’identité confessionnelle. La césure entre pratiquants et non pratiquants ouvre une fracture plus grande que les différences entre catholiques et protestants. Au niveau du raisonnement, les distancés seront cohérents : « Les différentes religions se valent toutes […] on a tous le même bon Dieu ! ». A un niveau plus profond, sur le plan émotionnel et sentimental, les distancés restent attachés à leur identité confessionnelle catholique pour la majorité, protestante ou musulmane pour de plus rares : « Je ne veux en tout cas pas changer de religion ! ». Quoi qu’il en soit, confession et religion ne sont pas différenciées.
l’emploi de ces deux vocables nous a surpris car il relèvent plus d’une expression plus protestante que catholique.
Nous renvoyons le lecteur à Germinal, où Zola décrit la situation où les mineurs rencontrent les ingénieurs et patrons à la sortie de la messe leur demandant ce qu’ils comptent faire pour améliorer les conditions de vie et de travail plus que déplorables.