D. Le mariage : dépasser le rite pour en faire un acte d’Eglise

L’exemple du mariage est tout aussi intéressant dans la mesure où il se trouve très codifié et organisé par l’institution, toujours dans cette optique de captation des quatre caractères : biologique, familial, une résonance sociale et une forte mobilisation affective, constitutifs de ce passage. Ainsi dans chaque paroisse nouvelle, une équipe de préparation et d’animation est dévolue à la préparation, célébration et suivi des mariages.

1ere ETAPE : rencontre avec les fiancés
DIACRE ou PRETRE
Connaissance avec les futurs mariés, tentative de répondre aux questions posées, explication du choix du mariage. Elaboration du projet de vie
2nde ETAPE : rencontres communes
au cœur de la paroisse nouvelle
DIACRE- PRETRE- EM- COUPLE(S)
Echanges sur la vie en couple, engagement dans la société, la vie de famille, la foi… Présentation, de ce que propose l’Eglise
3ème ETAPE : rencontres personnelles
DIACRE- PRETRE – EM (couple suivant cas)
Elaboration projet, préparation célébration
Célébration du mariage
PRETRE (EM – couple, suivant cas)
 
Suivi dans la paroisse nouvelle
EM- (couple suivant le cas)
Bilan et propositions d’approfondissement foi : groupes, catéchèse…..

Comme pour les baptêmes, nous ne disposons que de statistiques partielles, mais qui permettent toutefois, d’éclairer aussi cette thématique. Pour les paroisses Bienheureux Antoine Chevrier, St Benoît et St Matthieu, le nombre de mariages célébrés en 2002 est largement inférieur à celui des baptêmes. 51 pour la première, 21 pour la seconde et 33 pour la dernière. Toutes ces paroisses ainsi que celles dont nous avons pu comptabiliser l’activité laïque, ont une seule équipe mariage, composée en moyenne de 5 membres, dont un curé : 1 pour 8 à BAC, 1 pour 4 à Saint Luc et 3 pour 6 à Saint Benoît).

Tous les membres de ces équipes se réunissent une fois par an à la Maison
Saint Antoine pour suivre une formation au sein d’une équipe : Centre préparation Mariage. L’essentiel de leur tache, malgré le tableau d’activités prescrites par les instances diocésaines se situe en amont du mariage. Pour la plupart des personnes sondées, ils constatent un engagement relativement faible des mariés après leur célébration. Le suivi régulier des couples s’estompe après la cérémonie. Au mieux une « visite » ou un entretien individuels par an, contre quatre individuels et collectifs avant le mariage. Les moments les plus propices de contacts restant les naissances d’enfants issus de ces couples. Pour autant, ils ne jugent pas leur travail comme perdu d’avance, mais conservent cet esprit missionnaire, cette potentialité érigés touts deux en valeurs dans le processus de recomposition paroissial.

Alors que ces rites avaient un caractère routinier, inscrit dans une religion de la transmission, ils deviennent à présent, dans celle des temps forts, des actes d’évangélisation. Cette nouvelle stratégie développée par l’institution montre bien que la territorialisation du religieux s’inscrit désormais dans la réalité sociale, culturelle et comportementale de la société et non en opposition à son évolution comme cela fut le cas.

Les demandes de rites de passage marquent les temps forts de la vie : elles les solennisent. Elles permettent de faire le point à un moment de changement et d’opérer individuellement un recommencement. La réponse adoptée par les responsables du diocèse de Saint Etienne vis-à-vis de ces demandes est résumé dans ce point de vue, exprimé par un prêtre : « Nous n’avons pas le droit de refuser les demandes des pratiquants occasionnels […] Nous devons accepter d’entrer en matière avec lui, en le considérant comme un partenaire responsable de sa vie spirituelles. Nous lui devons, non pas des réponses toutes faites, mais une formation bienveillante qui l’aide à se mettre en route lui-même. L’enjeu est donc de travailler à un déplacement de la demande. Nous pouvons utiliser cette dernière comme un levier pour accompagner et faire découvrir la foi et les réponses que Dieu apporte ».

Face à l’envahissement de cette religiosité, l’institution se livre à d’extraordinaires efforts d’ajustement de son régime de gestion du temps. La pastorale des jeunes, fondée de plus en plus sur la création d’évènements susceptibles d’opérer une véritable « coagulation collective» des cheminements individuels, en offre les meilleurs exemples. L’enjeu dépasse toutefois la simple mise en adéquation de l’offre et de la demande. Comme le soulignait dans un entretien un prêtre du diocèse stéphanois : « les jeunes boudent massivement la messe du dimanche et apprécient les grands rassemblements aux dimensions festives. Offrons-leur ce qui les attire si c’est le seul moyen de leur proposer une expérience d’église ». Un glissement fondamental s’opère par ce biais. Il dépasse la recherche des moyens pratiques de « toucher les jeunes », va au-delà ; il concerne la mise en place progressive d’un régime nouveau de la temporalité religieuse. Il déboîte la vie religieuse des rythmes de la vie banale et l’associe à des expériences exceptionnelles dans lesquelles la rupture du quotidien est valorisée comme un outil pour accéder à l’épanouissement personnel au-delà des routines ordinaires. La religion tend à être et à se placer sous le signe de l’offre d’évènements susceptibles de reconstituer un nous dépassant l’atomisation de l’expérience ordinaire. Ce passage d’une religion du temps ordinaire à une religion des « temps forts » ne constitue pas uniquement un changement des rythmes de la sociabilité catholique : il localise (territorialise) et induit un changement fondamental du mode de présence de l’Eglise au monde.

Ainsi sur les paroisses nouvelles de Saint Etienne, nous pouvons dire que les structures territoriales sont des compromis. Les relais sont vécus comme les traces de l’ancienne paroisse, garantissent la charge symbolique qui incombait à la paroisse (présence d’une communauté et office dominical) et les marqueurs d’une institution reconnaissant les nouvelles manières de « faire Eglise »en offrant les conditions de l’exercice des pratiques de la modernité religieuse. Par bien des égards, la religiosité actuelle ressemble à celle du pèlerin. Elle est émotive, faite de temps forts et temporaire.