B. Une religiosité originale.

Le pèlerinage est accepté comme un rite et une expérience religieuse. Cependant, le caractère individuel du cheminement n’exclut pas des soucis de pastorale adaptée. Ce même pèlerinage, comme itinéraire individuel ou expérience personnelle, sans relation évidente avec les communautés de chrétiens, vécu hors de la structure territoriale hiérarchique de l’Eglise, hors de la paroisse ou des mouvements d’Eglise connus, parait bien singulier. C’est ainsi qu’aller chercher hors de la communauté, hors de la paroisse, une approche du salut peut paraître un affranchissement individuel des structures sociales traditionnelles 115 . Mais les destinations varient assez peu, les itinéraires sont connus, historiques, et il n’est pas rare de pouvoir savoir pour chaque région, chaque diocèse, ses sanctuaires religieux principaux, ses pèlerinages.

Sur l’ensemble du diocèse de Saint Etienne, ils sont aux nombre de 3 : Notre Dame de Valfleury, Notre Dame de Cotatay – le Lourdes de la vallée de l’Ondaine- et Notre Dame de Pitié à Saint Genest Lerpt. Quand aux sanctuaires divers, on en dénombre une dizaine, tous liés à un saint ; - c’est le cas du Sanctuaire Marcellin Champagnat à Saint Chamond ou celui du Rozey à Marlhes – ou au culte marial : Notre Dame de l’Hermitage et l’office du 15 août présidé par l’évêque. Enfin, une troisième catégorie de lieux peuvent être assimilés à des sanctuaires, de part leurs caractères historiques ( Grand’Eglise), symbolique ( Cathédrale Saint Charles) ou de part leur position au cœur de la ville ( St Louis).

Le pèlerinage suscite des relations sociales extraordinaires, qui ne relèvent pas des formes habituelles, ni civiles ni religieuses. Toutefois, il peut être considéré comme une forme de communauté de croyants réunie sous une forme insolite ou inhabituelle et temporaire. Ainsi, à l’initiative d’une agence de voyages spécialisée dans les pèlerinages – Route biblique- 50 personnes de 18 à 35 ans, se sont rendus en Terre Sainte. Cette conclusion étaye l’hypothèse de structures en réseaux, de territoires mobilisables temporairement mais fonctionnant comme n’importe quelle autre forme d’organisation, avec ses centralités, ses polarités, ses connexions, ses trajectoires.. Ces structures ne sont visibles que temporairement, au moment des pèlerinages.

N’importe quel pèlerinage nécessite une forme d’accueil, une logistique collective qui conduit à protéger conjointement, le pèlerin, le pèlerinage et le sanctuaire. Cela peut se mettre en place à travers divers ordres religieux, diverses structures spécialisées. Outre le service mis en place par le diocèse, citons notamment LAC ( Lourdes Action Cancer), l’Hospitalité de Notre Dame de Lourdes et les divers communautés ethniques qui organisent avec ou sans leurs paroisses de rattachement des pèlerinages propres. De modalité territoriale singulière, les pratiques pèlerines deviennent modalités territoriales singulières. Il est donc nécessaire de rendre collectif ce qui est individuel.

Logiquement, un besoin de contrôle et d’organisation de ces mouvements est apparu. La hiérarchie catholique a mis en place les structures pour gérer les lieux et les sanctuaires de pèlerinages, avec des responsables qui relèvent fréquemment du diocèse, mais pas systématiquement. Pour structurer les groupes de pèlerins, diverses organisations sont en place : paroissiale et essentiellement diocésaine, en charge des déplacements vers les lieux majeurs ou diocésains de pèlerinage. Ainsi à Saint Etienne, comme dans chaque diocèse, on trouve l’ordre des pèlerinages diocésains. Ce service correspond à une volonté de récupération des expériences individuelles par le clergé diocésain afin de les canaliser dans l’optique d’une religiosité classique. Une fois de plus, nous retrouvons cette hypothèse de compromis. Chacun étant persuadé de sa propre légitimité : le pèlerin en exprimant sa sociabilité religieuse en dehors des cadres classiques et les instances diocésaines, en légitimant en quelque sorte le pèlerinage et en l’encadrant, au moins d’un point de vue administratif.

Au demeurant, les lieux de pèlerinage relèvent de l’autorité épiscopale dans l’Eglise catholique, puisque le Droit canon définit les sanctuaires comme « une église ou autre lieu sacré vers lequel les fidèles nombreux font pèlerinage, avec l’approbation de l’Ordinaire du lieu, par motif de particulière ferveur» (canon 1230 &1232). Ce qui signifie que le culte et par définition l’eucharistie qui y sont célébrés ne peuvent être autorisés que par l’évêque. Dans ce cas, le pèlerinage ne devient qu’une territorialisation complémentaire, acceptée et organisée même par l’Eglise locale. Tant que le caractère sacré des signes observés en un lieu n’est pas reconnu par la hiérarchie de l’Eglise catholique, il ne saurait y avoir de réel pèlerinage. Ainsi, apparitions, manifestations diverses doivent être formellement reconnues et approuvées, par l’évêque diocésain pour que le culte soit autorisé.

Cependant, tous les pèlerinages n’ont pas la même audience dans la nébuleuse religieuse. Ils sont hiérarchisés. A ce titre, il paraît nécessaire d’en déterminer les différentes échelles géographiques. Chaque lieu de pèlerinage renvoie à une histoire locale ou régionale. Certains connaissent des audiences internationales.

Notes
115.

Voir notament : TURNER V & TURNER E, 1978, « Image and Pilgrimage in Christian Culture : Anthropological Perspectives » New York, Columbia University Press